Où il est question de journalisme et de secret.
Vous êtes responsable du pôle enquêtes à Mediapart, vous avez été au cœur des enquêtes sur les « affaires », ces 10 dernières années, et pourtant, la « transparence » est un terme que vous récusez…
Le terme de “transparence” est utilisé, sinon a été inventé, par ceux qui n’en veulent pas. Pourquoi le mot “transparence” me gêne-t-il ? Je n’aime pas l’idée qu’il faudrait voir au travers des gens ou qu’il ne devrait y avoir aucune zone d’opacité. J’aimerais substituer au terme “transparence”, en
hommage historique au XVIIIème siècle, le mot de “publicité”, qui, hélas, a été détourné de son sens originel par l’usage marchand.
La publicité renvoie historiquement à la publicité des débats et à la publicité dans la chose judiciaire.
Le mot est né pendant la Révolution française et il contient une leçon de choses essentielle: la publicité relève de ce qui appartient au public.
Alors que la transparence recouvre, elle, une idée d’agression, de violation de la souveraineté intime et personnelle.
Ce mot “publicité” n’est certes plus utilisable et nous-mêmes, à Mediapart, utilisons celui de transparence. Il est sans doute trop tard pour l’imposer.
Vous dites qu’il doit y avoir des zones d’opacité, donc de secret ?
Bien sûr qu’il faut du secret en démocratie :
le secret et la publicité, ce sont deux véhicules indispensables dans un espace démocratique, qui peuvent parfois entrer en collision. C’est très « intranquille » comme contradiction, mais je trouve cela formidablement stimulant pour une démocratie. I
l faut du secret de la défense nationale, du secret médical, du secret de la vie privée et même, pourquoi pas, du secret des affaires.
Le bémol considérable que je mets, c’est qu’en France le secret y est mal défini et mal contrôlé.
De ce fait, dans tous les domaines que j’ai cités, le secret peut être utilisé comme un paravent qui empêche les citoyens d’avoir connaissance d’informations qui, pourtant, leur appartiennent.
Ce n’est pas un problème de principe, mais de degrés. La transparence totale n’est pas la question.
La question est bien celle du curseur du secret.
Que faut-il savoir des politiques qui ne sont, au fond, qu’une prolongation de nous-mêmes, payés par cet instrument magnifique qu’est l’impôt, c’est-à-dire la part publique de notre argent privé ?
Nous sommes, nous les citoyens, les créanciers de cette démocratie. Il est par conséquent normal de savoir quelle est l’utilisation qui en est faite.
Mais, en France, notre curseur relève d’une incroyable immaturité politique, culturelle, législative et citoyenne. C’est ce que mon métier m’a appris.
La Cour européenne des Droits de l’Homme (CEDH), la justice supranationale à laquelle la France comme tout autre pays membre de l’Union européenne doit se soumettre, l’a dit il y a longtemps à propos de l’affaire Calvet, l’ancien patron de Peugeot : l’intérêt public peut être supérieur au secret, en l’occurrence fiscal, donc un journaliste peut publier ces informations.
C’est valable aussi pour le secret médical. La maladie de François Mitterrand était, selon moi, un sujet bien plus important que sa fille cachée.
Si j’avais été au courant de l’existence de Mazarine, je pense que je n’aurais pas publié d’informations à ce sujet. Parce que ce n’est pas d’intérêt public. Alors j’entends : « Mais on a utilisé des deniers de l’Etat pour la protéger ! »
Mais c’était son enfant, c’est donc normal. Si on considère que ce n’était pas normal, on entre alors dans un jugement exclusivement moral — sous-entendu, c’était un enfant adultérin…
Mais alors, le « secret des sources », doit-il, lui aussi, connaître des limitations ?
Le secret des sources a été créé pour lutter contre les autres secrets.
C’est en quelque sorte un secret contre les abus du secret.
Entendons-nous bien : le secret des sources n’est pas la liberté donnée aux journalistes de faire ce qu’ils veulent et éventuellement n’importe quoi. C’est la possibilité donnée à n’importe quel citoyen, un jour, de pouvoir alerter la presse sur des informations qu’il estime, lui, d’intérêt public. Avec une arrière-pensée ou pas — ce qui peut bien sûr être le cas. Et alors ?
.../...
Vous êtes responsable du pôle enquêtes à Mediapart, vous avez été au cœur des enquêtes sur les « affaires », ces 10 dernières années, et pourtant, la « transparence » est un terme que vous récusez…
Le terme de “transparence” est utilisé, sinon a été inventé, par ceux qui n’en veulent pas. Pourquoi le mot “transparence” me gêne-t-il ? Je n’aime pas l’idée qu’il faudrait voir au travers des gens ou qu’il ne devrait y avoir aucune zone d’opacité. J’aimerais substituer au terme “transparence”, en
hommage historique au XVIIIème siècle, le mot de “publicité”, qui, hélas, a été détourné de son sens originel par l’usage marchand.
La publicité renvoie historiquement à la publicité des débats et à la publicité dans la chose judiciaire.
Le mot est né pendant la Révolution française et il contient une leçon de choses essentielle: la publicité relève de ce qui appartient au public.
Alors que la transparence recouvre, elle, une idée d’agression, de violation de la souveraineté intime et personnelle.
Ce mot “publicité” n’est certes plus utilisable et nous-mêmes, à Mediapart, utilisons celui de transparence. Il est sans doute trop tard pour l’imposer.
Vous dites qu’il doit y avoir des zones d’opacité, donc de secret ?
Bien sûr qu’il faut du secret en démocratie :
le secret et la publicité, ce sont deux véhicules indispensables dans un espace démocratique, qui peuvent parfois entrer en collision. C’est très « intranquille » comme contradiction, mais je trouve cela formidablement stimulant pour une démocratie. I
l faut du secret de la défense nationale, du secret médical, du secret de la vie privée et même, pourquoi pas, du secret des affaires.
Le bémol considérable que je mets, c’est qu’en France le secret y est mal défini et mal contrôlé.
De ce fait, dans tous les domaines que j’ai cités, le secret peut être utilisé comme un paravent qui empêche les citoyens d’avoir connaissance d’informations qui, pourtant, leur appartiennent.
Ce n’est pas un problème de principe, mais de degrés. La transparence totale n’est pas la question.
La question est bien celle du curseur du secret.
Que faut-il savoir des politiques qui ne sont, au fond, qu’une prolongation de nous-mêmes, payés par cet instrument magnifique qu’est l’impôt, c’est-à-dire la part publique de notre argent privé ?
Nous sommes, nous les citoyens, les créanciers de cette démocratie. Il est par conséquent normal de savoir quelle est l’utilisation qui en est faite.
Mais, en France, notre curseur relève d’une incroyable immaturité politique, culturelle, législative et citoyenne. C’est ce que mon métier m’a appris.
La Cour européenne des Droits de l’Homme (CEDH), la justice supranationale à laquelle la France comme tout autre pays membre de l’Union européenne doit se soumettre, l’a dit il y a longtemps à propos de l’affaire Calvet, l’ancien patron de Peugeot : l’intérêt public peut être supérieur au secret, en l’occurrence fiscal, donc un journaliste peut publier ces informations.
C’est valable aussi pour le secret médical. La maladie de François Mitterrand était, selon moi, un sujet bien plus important que sa fille cachée.
Si j’avais été au courant de l’existence de Mazarine, je pense que je n’aurais pas publié d’informations à ce sujet. Parce que ce n’est pas d’intérêt public. Alors j’entends : « Mais on a utilisé des deniers de l’Etat pour la protéger ! »
Mais c’était son enfant, c’est donc normal. Si on considère que ce n’était pas normal, on entre alors dans un jugement exclusivement moral — sous-entendu, c’était un enfant adultérin…
Mais alors, le « secret des sources », doit-il, lui aussi, connaître des limitations ?
Le secret des sources a été créé pour lutter contre les autres secrets.
C’est en quelque sorte un secret contre les abus du secret.
Entendons-nous bien : le secret des sources n’est pas la liberté donnée aux journalistes de faire ce qu’ils veulent et éventuellement n’importe quoi. C’est la possibilité donnée à n’importe quel citoyen, un jour, de pouvoir alerter la presse sur des informations qu’il estime, lui, d’intérêt public. Avec une arrière-pensée ou pas — ce qui peut bien sûr être le cas. Et alors ?
.../...