Reportage: 24h de la vie d’un Moqaddem

Véritable pivot des rouages de l’administration, le moqaddem est aussi au cœur de notre vie quotidienne. Mais quelle est la sienne, au jour le jour ? TelQuel a suivi l’un d’entre eux. Récit.

A première vue, Omar est un citoyen lambda. Mais en réalité, il joue un rôle décisif dans la vie des habitants de son quartier : il est moqaddem. C’est lui qui vous délivre le fameux certificat de résidence, atteste que vous êtes célibataire, certifie que vos enfants sont bien les vôtres et même bien vivants quand vous, ou vos proches, vous faites délivrer un certificat de vie ! Et c’est surtout grâce à lui, en grande partie, que l’administration sait presque tout de vous : penchants politiques, appartenances syndicales et/ou associatives. A fortiori quand il s’agit de “clients de choix”.

Un thé avant la moqataâ

Ce jour d’été, Omar, 55 ans au compteur, se réveille tôt comme à son habitude. Même après une nuit blanche, il quitte toujours son domicile à 7 h pile. Direction son café de toujours pour le petit-déjeuner, mais surtout pour les besoins de son travail.

C’est à ce moment que commence sa collecte de renseignements : les événements les plus importants de la veille qui auraient pu échapper à sa vigilance, tout comme les faits les plus banals de la vie de son “secteur”. Ses sources ? Le serveur du café, quand ce n’est pas le patron lui-même, les clients habituels et les “petites gens” qui gravitent autour : cireurs, vendeurs de cigarettes au détail… Et tous s’y prêtent de bonne grâce, parfois sans qu’on le leur demande.

Car, d’une manière ou d’une autre, ils sont tous redevables à Si Omar pour un service rendu, une démarche facilitée ou une longue attente évitée grâce à son intervention. D’ailleurs, notre moqaddem paie rarement ses consommations vu qu’il se trouve toujours quelqu’un pour l’inviter, et pas seulement pour ce qu’il représente. La majorité est consciente qu’un moqaddem touche des miettes en guise de salaire.

Au café, Omar passe son temps à serrer des mains et à répondre aux saluts des passants. Il parle rarement, écoute beaucoup ce qu’on lui dit et ce qui se dit autour de lui. “Je ne fais que mon travail pour le bien de tous et du pays”, répond-il quand on lui demande s’il éprouve de la gêne à espionner ses semblables.

Il est presque 9h, cap sur la moqataâ. Notre moqaddem, vêtu modestement, prend part à un premier briefing en présence de ses homologues du secteur. La réunion est présidée par un cheikh (chapeautant 3 à 5 moqaddems selon l’étendue du secteur) qui, à son tour, fera un compte-rendu au caïd. En cas d’événement important, le caïd peut convoquer le moqaddem concerné pour l’écouter directement.

Cette réunion matinale terminée, Omar poursuit sa routine, cette fois purement administrative : recevoir les citoyens en quête de papiers administratifs pour lesquels notre homme est un passage obligé. “Ma signature est obligatoire pour nombre de documents administratifs et cela engage aussi une énorme responsabilité”, souligne Si Omar. Depuis quelque temps, il a trouvé une astuce qui, dit-il, lui facilite la tâche. Il s’est muni d’un grand registre où il consigne les renseignements relatifs à tous les habitants de son secteur : âge, adresse, emploi… Mais Si Omar ne s’éternise pas sur la chaise de son bureau. D’autres missions peuvent surgir à n’importe quel moment.
 
Tberguig non-stop

La journée s’achève, mais Si Omar ne rentre pas se reposer chez lui pour autant. Il reste à l’écoute des échos de son secteur. Il change de café pour rencontrer des connaissances, mais garde un œil sur son entourage et reste toujours à la disposition de son patron, le caïd en l’occurrence. Car le moqaddem peut être appelé à n’importe quelle heure pour les besoins du service : une catastrophe naturelle, un crime, un incendie… Quand la situation est calme, il se fait quand même un devoir de ne rentrer chez lui que sur les coups de 22 h, après d’autres haltes chez les épiciers du coin pour des échanges dont la durée varie en fonction de l’intérêt que porte notre homme aux propos de ses interlocuteurs.

Parfois, il y a ce qu’on pourrait appeler les “hautes saisons” : des périodes où il ne faut pas baisser la garde. C’est le cas à l’annonce d’une manifestation de protestation, d’une grève… Comme pour les autres services de renseignements, le moqaddem doit être au courant de tout : meneurs, timing… C’est également à lui qu’il revient de “mettre de l’ordre” dans son secteur en prévision d’une visite royale, par exemple. L’occasion de faire le tour pour ordonner que soient repeintes des façades ou que déguerpissent, même momentanément, marchands ambulants et mendiants. Dans ce dernier cas, cela peut signifier plusieurs nuits blanches pour Si Omar qui, le cas échéant, peut être appelé à mettre la main à la pâte pour remettre en état l’éclairage public, un espace vert…

Du reste, Omar est de toutes les fêtes célébrées dans son secteur. Et des décès aussi. Quand il délivre la paperasse nécessaire pour enregistrer une nouvelle naissance ou un certificat de célibat, il s’entend généralement dire “Wa douz almqadem !” (Passe donc moqaddem !). Et dans la majorité des cas, il répond à l’invitation, sans avoir besoin de demander l’adresse. Son secteur, il le connaît sur le bout des doigts depuis qu’il a pris ses fonctions il y a près d’un quart de siècle. Les fêtes, c’est l’occasion de retrouver, réunis, ses “administrés” et de prêter l’oreille aux longues conversations où il glane généralement de précieux renseignements qui pourraient servir, à court ou moyen termes. Notre moqaddem, doté d’une extraordinaire mémoire, “enregistre” tout et parle peu, comme d’habitude.

Le M20 m’a libéré...

Mais la donne a radicalement changé depuis les manifestations du 20 février. Pour la première fois dans l’histoire du Maroc, ces auxiliaires de l’autorité ont bravé tous les interdits pour protester contre le sort qui leur est réservé. On les a ainsi vu manifester dans plusieurs villes, y compris devant la wilaya de Casablanca. Le ministre de l’Intérieur, au parlement, promet de répondre à leurs revendications, salariales en premier lieu. Fin mai, c’est chose faite. Et le travail peut redémarrer pour de bon. Le moqaddem a désormais d’autres missions : traquer les membres du Mouvement du 20 février.
 
C’est lui qui les localise, qui est chargé de les reconnaître lors des manifs. Voire de leur faire parvenir les notifications leur interdisant de manifester. Plus tard, ce sont les moqaddems qui se sont chargés, principalement, de mobiliser les masses contre le Mouvement du 20 et essentiellement dans les quartiers populaires. Et de faire le porte-à-porte pour “sensibiliser” à la nouvelle Constitution. Le message de notre moqaddem est clair et ne diffère pas de celui de ses dizaines de milliers de collègues : voter pour la Constitution est synonyme de loyauté envers le roi. Le jour du scrutin, soit le 1er juillet, ce sont essentiellement nos “agents du HDI” (terme inventé par la rue et parodiant le FBI, en référence à hedyane) qui veillent sur tout pour obtenir le maximum de participation et de “Oui”.

Notre moqaddem manie aussi bien son argumentaire de toujours (l’amour du pays et de la monarchie) que la menace ou encore les mille et une promesses : autorisations en tout genre, facilités, voire dons en nature... La Constitution est passée grâce à un score à la Driss Basri et le moqaddem, homme à tout faire, n’y est pas étranger.

Les chiffres-clés

Plus de 40 000 cheikhs et moqaddems répartis en catégories 1 et 2.
Plus de 4000 DH/mois pour les cheikhs et moqaddems urbains.
2000 DH/mois pour le cheikh rural.
1500 DH/mois pour le moqaddem rural.

Suite : http://www.telquel-online.com/489/mag2_489.shtml
 

brolyy

VIB
Comme a dit mon professeur : le Maroc dispose du meilleur systeme de veille base sur les ressources humaines
bon courage a nos mqadem et chyoukh
 
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