Radovan Karadzic, le psychiatre de Sarajevo
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Radovan Karadzic, l'ancien dirigeant bosno-serbe dont la présidence serbe a annoncé lundi l'arrestation en Serbie, se considérait tout à la fois comme un philosophe, un poète, un homme d'Etat et un héroïque défenseur du peuple serbe.
Pour les procureurs internationaux et les Bosniaques au nom desquels ils demandent justice, c'était un despote et un criminel de guerre responsable des 43 mois de siège de Sarajevo - le plus long imposé à une ville d'Europe au XXe siècle - et du massacre de Srebrenica, sans précédent sur le continent depuis 1945.
Sourires de façade sous une abondante chevelure argentée, Karadzic devint le porte-parole des étrangleurs de Sarajavo pendant qu'à Belgrade son patron politique, Slobodan Milosevic, mort en mars 2006 en détention à La Haye, semblait garder ses distances.
S'adressant soir après soir aux télévisions étrangères, il affirmait en anglais que la capitale bosniaque n'était pas en état de siège, que les Musulmans se bombardaient eux-mêmes et que les civils fuyaient son armée de leur plein gré.
Karadzic perdra le sourire en se voyant condamné à se cacher après son inculpation pour crimes de guerre par le Tribunal pénal international pour l'ex-Yougoslavie (TPIY) et le traité par lequel les Occidentaux ont mis un terme au conflit fin 1995.
Karadzic et son chef militaire Ratko Mladic, à présent l'homme le plus recherché par le TPIY, sont tous deux accusés de génocide pour le massacre de 8.000 Musulmans en 1995 à Srebrenica, enclave qu'était censée protéger l'Onu, et le siège Sarajevo, qui fit environ 12.000 morts en trois ans et demi.
Affirmant son innocence, Karadzic a rejeté le TPIY en le qualifiant de tribunal politique.
PSYCHIATRIE, POÉSIE ET NATIONALISME
Devant l'indignation mondiale provoquée par le sort de Sarajevo et le "nettoyage ethnique" en Bosnie, Milosevic s'était posé en homme de paix, réservant le rôle de bouc émissaire à Karadzic quand celui-ci eut rejeté les projets de règlement avancés par les grandes puissances. Belgrade présenta dès lors Karadzic comme un profiteur de guerre.
Les gouvernements occidentaux, qui avaient accusé Milosevic d'avoir plongé l'ex-Yougoslavie dans le sang, se résignèrent à ce que Karadzic joue le rôle du "méchant" parce que le dirigeant yougoslave restait trop utile pour qu'on l'ignore.
Karadzic, que ses fidèles tiennent pour le sauveur des Serbes bosniaques, n'est pourtant pas originaire de Bosnie. Il a vu le jour le 19 juin 1945 au village de Petnjica (Monténégro), dans une famille pauvre et nationaliste, qui exécrait le système communiste du président yougoslave Josip Broz Tito. Le père de Karadzic, nationaliste serbe, avait été blessé par les partisans de Tito durant la Seconde Guerre mondiale, puis emprisonné.
Durant sa jeunesse, Karadzic gagne la capitale bosniaque ou il étudiera la médecine. Devenu psychiatre, il exercera notamment auprès du club de football de Sarajevo. Il publie des poèmes et mène une vie confortable, mais sans être tout à fait accepté par l'élite intellectuelle locale. Il est emprisonné pour fraude dans les années 1980, ce en quoi il verra une sanction politique.
Quand Milosevic exalte le nationalisme serbe, Karadzic se lie avec des universitaires et des écrivains acquis au projet de "Grande Serbie". Les protégés du dirigeant yougoslave choisissent Karadzic pour diriger provisoirement le nouveau Parti démocratique serbe (SDS) en république de Bosnie, mais il se révèle habile et se maintient au pouvoir.
Alors que la Yougoslavie se fissure, le parti de Karadzic facilite l'armement des Serbes de Bosnie et crée des régions autonomes avec l'aide de l'armée et de la police yougoslaves.
En 1992, peu avant la guerre, Karadzic met en garde le parlement régional contre une proclamation de souveraineté de la Bosnie. Dans ce discours souvent cité, il annonce un "enfer" pour la république si elle prend une telle direction, en soulignant que sa population musulmane risque de "disparaître" parce qu'elle ne "pourra pas se défendre si une guerre éclate".
Les forces de Karadzic, appuyée par Belgrade, contrôlent rapidement plus de 70% de la Bosnie, expulsant ou tuant les Musulmans majoritaires dans de nombreuses villes. Mais les dirigeants bosno-serbes sont de plus en plus isolés.
Milosevic, soucieux de voir lever les sanctions occidentales contre la Yougoslavie, signe en décembre 1995 les accords de paix de Dayton sous l'égide des Etats-Unis, malgré les protestations du camp Karadzic qui en est tenu à l'écart.
CLANDESTINITÉ
Karadzic qualifie de "désastre" ce règlement de paix, qui crée un Etat bosniaque divisé en deux entités. Il s'accroche au pouvoir qu'il est censé abandonner jusqu'en juillet 1996, quittant alors la présidence bosno-serbe sous les pressions.
En 1997, il plonge dans la clandestinité mais, même à l'écart des projecteurs, il continue d'encourager un sabotage des accords de paix. Une membre de son parti, Biljana Plavsic, défie son autorité. Bientôt présidente de la République serbe de Bosnie, Plavsic l'accuse de corruption et écarte son parti du pouvoir aux législatives de novembre 1997. Il y revient en 2000, ce qui fait craindre une influence persistante de Karadzic malgré les démentis de ses responsables.
Réduit à se déplacer dans le pays avec des gardes du corps, Karadzic ne pourra plus s'estimer en sécurité avec les recherches qu'entament en 1997 les troupes de l'Otan contre lui et d'autres personnes inculpées de crimes de guerre. Les rumeurs le signalent dans une zone de Bosnie orientale encore contrôlée politiquement par des Serbes de tendance "dure", parfois aussi à Belgrade. Son influence, en tout cas, n'est plus qu'un souvenir.
Le filet de l'Otan a paru se resserrer plusieurs fois autour de lui - en décembre 1998, lors de l'arrestation de son vieux complice le général bosno-serbe Radislav Krstic, puis en 2000 lors du renversement de Milosevic, transféré ensuite à La Haye.
Ces derniers mois, les pressions diplomatiques se sont accentuées sur la Serbie qui souhaite obtenir le statut officiel de candidat à l'intégration à l'Union européenne d'ici la fin de l'année. L'UE réclamait en retour que la Serbie collabore plus étroitement avec le TPIY et livre Ratko Mladic et Radovan Karadzic.
Desk International