Seine-saint-denis : les commerçants rackettés brisent l’omerta

Il aura fallu beaucoup de courage à ces huit commerçants de Tremblay-en-France (Seine-Saint-Denis) pour oser franchir la porte du commissariat de Villepinte. Mardi au petit matin, pour ne pas éveiller la curiosité, ils se sont décidés à déposer plainte contre ceux qui les rackettaient et leur faisaient vivre un enfer depuis six mois.

Le soir même une surveillance policière était montée aux abords des commerces. Quatre hommes étaient interpellés en flagrant délit, alors qu’ils venaient de ravager un restaurant et une boutique de téléphonie. Agés de 23 à 32 ans, et originaires de Tremblay, après 72 heures de garde à vue, ils viennent d’être déférés devant le parquet de Bobigny qui a ouvert une information judiciaire pour extorsion en bande organisée avec arme. Les faits sont punis de vingt ans de prison. Les suspects sont déjà connus de la justice : l’un est sous contrôle judiciaire, un autre sort de prison et un troisième est frappé d’une interdiction de paraître à Tremblay. Ce vendredi soir, ils ont tous les quatre été mis en examen : trois d’entre eux ont été placés en détention provisoire, le quatrième est sous contrôle judiciaire avec interdiction de se trouver en Seine-Saint-Denis.




« On ne dormait plus la nuit », confie l’une des victimes qui nous donne rendez-vous dans une ville voisine. Malgré les plaintes et les interpellations du noyau dur, il continue à être intimidé par les proches des agresseurs. « Les familles nous appellent et nous demandent de retirer les plaintes, d’autres viennent nous voir directement au magasin », confie-t-il anxieux.

«Tu paies, si tu veux la paix»
Pour ce commerçant, les ennuis ont commencé par des incivilités répétées. « Des groupes de trois, quatre personnes venaient, quelquefois avec des chiens. Ils renversaient les présentoirs, s’en prenaient aux clients. » Un climat oppressant s’est installé. « On me demandait de montrer un article et on partait avec. Ça s’est passé des dizaines de fois. Puis un autre revenait et me disait : tu paies, si tu veux la paix. Ils menaçaient de s’en prendre à ma famille », décrit-il. Il est arrivé que les agresseurs frappent des employés.

Dans un restaurant, les fauteurs de troubles commandaient, consommaient sur place et partaient sans payer. « Ils rentraient dans les cuisines, passaient derrière la caisse », précise une victime. Ils intimaient aux clients de ne plus revenir dans l’établissement.

Pour ce gérant à bout de nerfs, le point de non-retour a été atteint début août. Un homme se présente au comptoir : « On veut 1 500 euros. On passera les chercher demain à 20 heures ». Pour appuyer sa démonstration, l’individu ouvre un sac, au fond duquel le commerçant aperçoit clairement le canon d’une arme. Il ne s’exécutera pas malgré ces menaces explicites. Mais il choisira de fermer boutique plusieurs semaines.

Des commerçants contraints de fermer temporairement
Cette victime n’est pas un cas isolé. Au pied de cette barre d’immeuble repeinte de couleurs vives, la plupart des boutiques ont reçu la visite de ces équipes réclamant leur dîme en échange d’une supposée protection. Une source proche du dossier a établi qu’une « petite dizaine » a été victime de ces agissements.

« Certains ont déjà payé car ils ont eu très peur, moi j’ai refusé », assure l’un d’eux. « 500, jusqu’à 3 000 € », se murmure-t-il. Aucun des commerçants rançonnés n’a osé avouer officiellement avoir versé de l’argent. En tout cas, ceux qui ont refusé ont vu débouler « des petits qui venaient casser. Ils ravageaient tout un rayon et repartaient », relate un commerçant. Une stratégie d’usure qui a failli avoir raison de la supérette de produits exotiques. Le propriétaire a dû fermer deux mois son affaire.

Il a rouvert en septembre. Depuis un homme a fait son apparition dans le magasin. Vêtu d’un jogging décontracté, il n’a rien d’un vigile. Pourtant il est devenu l’ange gardien de la boutique. « Je suis un habitant du quartier. Je connais tout le monde », explique-t-il sobrement. Il est aussi une figure respectée dans la cité. Sa présence garantit la tranquillité des lieux. « Depuis la supérette n’a pas été vandalisée », reconnaît un voisin.
 
Une embauche forcée
Une enseigne nationale n’a pas échappé aux convoitises. Elle se faisait délester des chariots de victuailles. « Sous la pression, il a dû embaucher l’un des membres de la bande », indique une source. La recrue n’a pas pu prendre son poste début octobre. Elle fait partie des quatre individus interpellés.

Face à ces exactions qui se déroulaient quasiment sous les fenêtres de sa mairie, François Asensi, (FG) a joué un rôle décisif : « Je ne pouvais imaginer ça à deux pas de la mairie. Ce sont des actes dignes du grand banditisme », fustige-il. « Depuis dix jours, nous nous sommes déplacés chez les commerçants. Avec le commissariat, la police municipale et nous les avons encouragés à porter plainte. La peur doit changer de camp. » Depuis mercredi, les CRS ont fait leur apparition en centre-ville. Les gendarmes mobiles vont prendre la relève.
 
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