Sheykh tierno bokar le sage de bandiagara - tariqa tijânniyâ

Drianke

اللهم إفتح لنا أبواب الخير وأرزقنا من حيت لا نحتسب
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Tierno Bokar nait en 1875 à Ségou sur la rive droite du fleuve Niger. Par sa mère, il est le petit-fils de El Hadj Seydou Hann, grand maître soufi haoussa de Sokoto (Nord-Ouest de l’actuel Nigéria), installé à Ségou en 1862, à l’appel d’El Hadj Oumar Tall (ou El Hadj Omar) qui veut développer l’enseignement de l’Islam selon la tradition de la Tidjaniya.

Par son père, il est prince toucouleur, de la famille d’El Hadj Oumar Tall, lui aussi disciple de la Tidjaniya. Ainsi ses origines familiales lui apportent, par-delà l’unité du soufisme, la diversité des traditions africaines.

Avec la conquête française, la famille de Tierno Bokar doit quitter Ségou : elle s’installe donc à Bandiagara, en pays dogon, au Mali. Il trouve là l’enseignement d’un grand maître soufi mystique Tidjani : Amadou Tafsirou Bâ qui lui ouvre sa bibliothèque et lui permet de découvrir la pensée d’El Hadj Omar et surtout celle de Si Ahmed Tidjani, fondateur de l’ordre. Cependant, tout en lui permettant l’accès aux livres, Amadou Tafsirou Bâ le met très fermement en garde contre l’utilisation de textes mal compris reprenant en cela l’engagement à la "grande Djihad" enseigné par l’exemple familial : l’effort vers Dieu passe d’abord par une lutte contre soi-même.

On a pu mieux connaître l'enseignement de Tierno Bokar grâce à Amadou Hampâté Bâ, un de ses disciples, tant dans son livre de souvenirs d'enfance Amkoullel, l'enfant peul que dans son petit livre Vie et enseignement de Tierno Bokar.
 

Drianke

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Extrait du livre Vie et enseignement :

Un jour de cette année 1933 que je passai auprès de lui, il était assis dans la case où il devait mourir sept ans plus tard. S'adressant aux aînés de ses élèves, il développait la signification ésotérique du chapelet Tidjani. Nous étions tous sous le charme. A l'extérieur, le vent soufflait. Il faisait courir le sable dans la cour et retroussait les plumes du coq qui s'obstinait près du pilon. Une rafale plus violente ébranla la charpente. Sous le choc, un nid d'hirondelle, qui était situé en équilibre en haut du mur, sous l'avancée du toit, s'entrouvrit. Un poussin tomba en piaillant. Nous lui jetâmes un regard indifférent ; l'attention de l'auditoire n'avait pas faibli un instant. Tierno termina sa phrase, puis se tut. Il se dressa, promena un regard attristé sur ses élèves et tendit les doigts, qu'il avait longs et fins, vers le petit oiseau :

- Donnez-moi ce fils d'autrui.

Il le prit dans ses mains réunies en forme de coupe. Son regard s'éclaira :

- Louange à Dieu dont la grâce prévenante embrasse tous les êtres ! dit-il.

Puis, déposant l'oisillon, il se leva, prit une caisse et la posa au-dessous du nid. Il sortit et revint peu après. Entre ses doigts, nous vîmes une grosse aiguille et un fil de coton. Il monta sur la caisse, déposa le petit d'hirondelle au fond du nid qui s'était déchiré et répara celui-ci avec le même soin qu'il mettait autrefois à broder les boubous. Puis il redescendit et reprit sa place sur la natte. Nous attendions impatiemment la suite de sa leçon ; mais au lieu de reprendre le chapelet qui servait de base à ses explications, il le laissa de côté. Après un moment de silence, il s'adressa à nous :

« Il est nécessaire que je vous parle encore de la Charité, dit-il, car je suis peiné de voir qu'aucun de vous n'a suffisamment cette vraie bonté du cœur. Et cependant, quelle grâce ! ... Si vous aviez un cœur charitable, il vous eût été impossible d'écouter une leçon, portât-elle sur Dieu, quand un petit être misérable vous criait au secours. Vous n'avez pas été émus par ce désespoir, votre cœur n'a pas entendu cet appel ... Eh bien ! mes amis, en vérité, celui qui apprendrait par cœur toutes les théologies de toutes les confessions, s'il n'a pas de charité dans son cœur, il pourra considérer ses connaissances comme un bagage sans valeur. Nul ne jouira de la rencontre divine s'il n'a pas de charité au cœur. Sans elle, les cinq prières ne sont que des gesticulations sans importance ; sans elle, le pèlerinage est une promenade sans profit. »

La scène de ce jour-là s'est gravée à tout jamais dans ma mémoire. Je le revois encore, dressé dans son tourtil blanc, réparant délicatement la demeure de ce « fils d'autrui » dont nous n'avions pas su entendre l'appel, tout préoccupés que nous étions de nous-mêmes.

D'une manière générale, il nous enseignait de ne jamais tuer un animal sans nécessité, fût-ce un simple moustique. Pour lui, la nature entière, animaux et végétaux compris, devait être respectée car elle était non seulement notre Mère nourricière, mais encore le grand Livre divin où tout était symbole vivant et source d'enseignement. (pp. 160-162)
 

Drianke

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Il y a 3 vérités : ma vérité, ta vérité et la Vérité. Ma vérité, comme ta vérité, ne sont que des fractions de la vérité. Ce sont des croissants de lune situés de part et d'autre du cercle parfait de la pleine lune.

La plupart du temps, quand nous discutons et que nous n'écoutons que nous même, nos croissants de lune se tournent le dos ; plus nous discutons, plus ils s'éloignent de la pleine lune

Il nous faut d'abord nous retourner l'un vers l'autre, alors nos 2 croissants de lune vont se faire face, se rapprocher peu à peu et, peut être, finalement, se rencontrer dans le grand cercle de la Vérité."
 

Drianke

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Parabole des oiseaux noirs et des oiseaux blancs

«Non seulement, Tierno Bokar s'abstenait de juger autrui, mais encore il essayait de nous faire comprendre qu'une bonne pensée est toujours préférable à une mauvaise, même lorsqu'il s'agit de ceux que nous considérons comme nos ennemis. Il n'était pas toujours facile de nous convaincre, comme le montre l'anecdote suivante où il fut amené à nous parler des oiseaux blancs et des oiseaux noirs.

«Ce jour-là, Tierno avait commenté ce verset : "Celui qui a fait le poids d'un atome de bien le verra ; celui qui a fait le poids d'un atome de mal, le verra" (Coran XC, 7 et 8).»

Comme nous le questionnions sur les bonnes actions, il nous dit :

- La bonne action la plus profitable est celle qui consiste à prier pour ses ennemis.

- Comment ! m'étonnai-je. Généralement, les gens ont tendance à maudire leurs ennemis plutôt qu'à les bénir. Est-ce que cela ne nous ferait pas paraître un peu stupide que de prier pour nos ennemis ?

- Peut-être, répondit Tierno, mais seulement aux yeux de ceux qui n'ont pas compris. Les hommes ont, certes, le droit de maudire leurs ennemis, mais ils se font beaucoup plus de tort à eux-mêmes en les maudissant qu'en les bénissant.

- Je ne comprends pas, repris-je. Si un homme maudit son ennemi et si sa malédiction porte, elle peut détruire son ennemi. Cela ne devrait-il pas plutôt le mettre à l'aise ?

- En apparence, peut-être, répondit Tierno, mais ce n'est alors qu'une satisfaction de l'âme égoïste, donc une satisfaction d'un niveau inférieur, matériel.

Du point de vue occulte, c'est le fait de bénir son ennemi qui est le plus profitable. Même si l'on passe pour un imbécile aux yeux des ignorants, on montre par là, en réalité, sa maturité spirituelle et le degré de sa sagesse.»

- Pourquoi ? lui demandai-je. C'est alors que Tierno, pour m'aider à comprendre, parla des oiseaux blancs et des oiseaux noirs.

- Les hommes, dit-il, sont les uns par rapport aux autres, comparables à des murs situés face à face.

Chaque mur est percé d'une multitude de petits trous où nichent des oiseaux blancs et des oiseaux noirs. Les oiseaux noirs, ce sont les mauvaises pensées et les mauvaises paroles.

Les oiseaux blancs, ce sont les bonnes pensées et les bonnes paroles. Les oiseaux blancs, en raison de leur forme, ne peuvent entrer que dans des trous d'oiseaux blancs et il en va de même pour les oiseaux noirs qui ne peuvent nicher que dans des trous d'oiseaux noirs.
 

Drianke

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L'Émeraude des Garamantes

Voici ce que dit Théodore Monod dans son ouvrage «L'Émeraude des Garamantes» publié aux Éditions Actes Sud.

«Je regardai et voici que m'apparut un coin de paysage soudanais, un pan de mur d'argile, une cour noyée de soleil, au loin un éboulis de pierrailles calcinées, de maigres buissons, la haute silhouette de quelques rôniers. Un homme, tourné vers l'Orient, se prosterne pour la prière canonique du dhohor ; c'est un pieux musulman, un noir, Tierno Bokar, celui que l'on a pu appeler le saint François d'Assise soudanais.»

Connu plus tard sous le nom de Tierno Bokar, ou "maître Bokar", Bokar Salif Habi appelé Tierno tout court par ses disciples, serait né en 1875 et se serait établi à Bandiagara en 1893 peu après la prise de Ségou par Archinard.
Il subit fortement la double influence d'une mère courageuse, douce et pieuse, Aïssata, et d'un maître vénéré qui lui enseigna les sciences islamiques, Amadou Tafsirou Bâ.

Sa naissance le destinait au métier des armes mais il se fait tailleur-brodeur, sur le conseil de sa mère : «Plutôt que d'ôter la vie aux hommes, apprends à couvrir leur nudité de leur corps en leur cousant des vêtements, avant d'être appelé à l'honneur de couvrir, en prêchant l'Amour, leur nudité morale.»

 

Drianke

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Pour Tierno Bokar la violence est un scandaleux et inutile pis-aller :

«Si l'on tue par les armes l'homme qu'anime le Mal, ce dernier bondit hors du cadavre qu'il ne peut plus habiter et pénètre par les narines dilatées dans le meurtrier pour y reprendre racine et redoubler de puissance. C'est seulement quand le Mal est tué par l'Amour qu'il l'est pour toujours ...»

Questionné sur la guerre sainte, il avoue : "Personnellement je n'admire qu'une seule guerre, celle qui a pour but de vaincre en nous nos défauts... Parmi ceux-ci l'orgueil reste un des plus malfaisants" :

"Notre planète n'est ni la plus grande ni la plus petite de toutes celles que Notre Seigneur a créées... Nous ne devons nous croire ni supérieurs, ni inférieurs à tous les autres êtres.

"Les meilleures des créatures seront parmi celles qui s'élèvent dans l'amour, la charité et l'estime du prochain. Celles-là seront lumineuses comme un soleil montant tout droit dans le ciel. »

L'humilité nécessaire conduit au sentiment de la fraternité humaine et à cette haute certitude que les chemins divers peuvent conduire à une unique Vérité. Grande et difficile leçon que refusent tous les fanatismes mais qu'inlassablement répétera Tierno Bokar.

«Frère en Dieu, venu au seuil de notre zaouïa, cellule d'Amour et de Charité, ne querelle pas l'adepte de Moïse ni celui de Jésus, car Dieu a témoigné en faveur de leurs prophéties.

- Et les autres ?

- Laisse-les entrer et même salue-les fraternellement pour honorer en eux ce qu'ils ont hérité d'Adam... il y a en chaque descendant d'Adam une parcelle de l'Esprit de Dieu. Comment oserions-nous mépriser un vase renfermant un tel contenu ? »

«L'arc-en-ciel doit sa beauté aux tons variés de ses couleurs. De même, nous regardons les voix des croyants divers qui s'élèvent de tous les points de la terre, comme une symphonie de louanges à l'adresse d'un Dieu qui ne saurait être que l'Unique.

Un homme, quelle que soit sa race, dès que l'adoration illumine son âme, celle-ci prend l'éclat du diamant mystique. Ni sa couleur, ni sa naissance n'entrent en jeu. »

Message résolument universaliste on le voit, et qui rejoint aisément celui des prophètes d'Israël, celui de l'Évangile, celui d'un Ramakrisna ou d'un Vivekananda dans leur essentielle affirmation que l'Esprit souffle où il veut et qu'il y a "plusieurs demeures dans la maison de mon père."

Tierno Bokar avait disparu derrière le mur d'argile, souriant au nid d'hirondelle et retournant à son travail de brodeur.
 

Drianke

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Dieu est Amour et Puissance. La création des êtres procède de Son Amour et non d’une quelconque contrainte. Détester ce qui est produit par La Volonté divine agissant par amour, c’est prendre le contrepied du Vouloir divin et contester Sa Sagesse. Exclure un être de l’Amour primordial, c’est faire preuve d’ignorance capitale. La vie et la perfection sont contenues dans l’Amour divin qui se manifeste en Force rayonnante, en Verbe créateur qui anime le Vide-vivant*. De ce Vide-vivant, Il fait apparaître des formes qu’Il répartit en règnes.

Que notre amour ne soit pas centré sur nous-même ! Qu’il ne nous pousse pas à n’aimer que ce qui nous ressemble ou à n’épouser que les idées semblables aux nôtres ! N’aimer que ce qui nous ressemble, c’est s’aimer soi-même, ce n’est pas aimer.

L’infidèle, en tant qu’Homme, ne peut être exclu de l’Amour divin. Pourquoi le serait-il du nôtre ? Il occupe le rang auquel Dieu l’a élevé. Le fait, pour un homme, de s’abaisser peut entraîner un châtiment sans pour cela provoquer une exclusion de la source dont il est issu.

*Tierno Bokar comparait ce Vide-vivant, potentialité pure, à la notion mathématique du zéro, point initial qui contient en germe tous les noms qui sortiront de lui. Il ne s’agit pas ici de « néant », mais plutôt de « non manifesté ».
 
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