similitude entre l'arabe et l'hébreu

  • Initiateur de la discussion Initiateur de la discussion Barlamane
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En lien avec le propos tenu sur un autre fil, faisant écho à la proximité linguistique entre les 2 langues
Je ne m'étais jamais interrogée sur laquelle des 2 langues a pu dériver de l'autre

A ce stade de mes recherches, je n'ai pas la réponse à ma question, mais j'ai appris que l'hébreu est plus ancien que l'arabe
 
La source n'est pas folichonne mais "on" prend et "on" hésitera à revenir sur ce qui est déclaré, avec des sources académiques
L'avantage, c'est que c'est vulgarisé donc à la portée de tout un chacun.

Les historiens et les linguistes s’accordent à dire que le sumérien, l’akkadien et l’égyptien sont les langues écrites les plus anciennes. Tous les trois sont éteints, c'est-à-dire qu'ils ne sont plus utilisés eux-mêmes et n'ont pas de descendants vivants sur lesquels leur branche linguistique puisse vivre.

Quant à la langue vivante la plus ancienne, elle compte également plusieurs prétendants. L’hébreu et l’arabe se distinguent parmi eux car ils ont des délais clairs que les linguistes peuvent retracer.

L'hébreu est une langue sémitique, comme l'arabe, et appartient à la branche des langues cananéennes. Elle est considérée comme la plus ancienne langue sémitique encore utilisée aujourd’hui.

Les premières formes d'hébreu, qu'on appelle parfois l'hébreu biblique, remontent à environ 1200 av. J.-C., avec les premiers textes hébraïques apparaissant dans les manuscrits bibliques. L'une des plus anciennes inscriptions en hébreu est celle de la stèle de Tel Dan, datée du IXe siècle avant notre ère.

L'hébreu a évolué à travers plusieurs phases : l'hébreu biblique, l'hébreu mishnique (au temps du Talmud), et enfin l'hébreu moderne, qui a été revitalisé à partir du XIXe siècle.

L'arabe est également une langue sémitique, mais son développement en tant que langue écrite et standardisée est plus tardif. L'arabe moderne trouve ses racines dans l'arabe classique, qui est apparu avec la révélation du Coran au VIIe siècle. Cependant, l'arabe dans ses formes anciennes, parfois appelé proto-arabe, existait bien avant cette période.

Les premières inscriptions en arabe datent d'environ 300 av. J.-C., sous forme d'inscriptions nabatéennes, un dialecte précurseur de l'arabe. Mais l'arabe classique, tel que nous le connaissons aujourd'hui, s'est vraiment développé après la révélation coranique.

L'hébreu en tant que langue écrite apparaît donc plus tôt que l'arabe classique.

Voici des exemples des plus anciennes inscriptions en hébreu et en arabe, qui témoignent de l'ancienneté de ces langues dans leur forme écrite :

1. Inscriptions les plus anciennes en hébreu

a) L'inscription de Khirbet Qeiyafa (vers 1000-950 av. J.-C.)

Cette inscription, découverte en 2008 dans l'ancien site de Khirbet Qeiyafa en Israël, est considérée comme l'une des plus anciennes inscriptions en hébreu. Elle est datée du Xᵉ siècle av. J.-C., une période qui correspond aux débuts de la monarchie israélite.

Le texte est écrit dans un alphabet proto-cananéen et contient des phrases qui semblent refléter des préoccupations sociales et juridiques.

Bien que les experts débattent encore pour déterminer si elle est effectivement en hébreu ou dans une langue cananéenne apparentée, elle est souvent citée comme un exemple très ancien d'écriture hébraïque.
 
b) L'inscription de Gezer (vers 925 av. J.-C.)

Cette inscription est un calendrier agricole inscrit sur une tablette de pierre et retrouvée à Gezer en Israël. Elle est datée de la fin du Xᵉ siècle av. J.-C. et est écrite dans un alphabet proche de l'hébreu ancien.

Le calendrier de Gezer décrit les différentes phases de l'agriculture au cours de l'année, telles que la récolte des fruits et la plantation des graines.

c) La stèle de Tel Dan (IXᵉ siècle av. J.-C.)

Découverte en 1993 à Tel Dan, dans le nord d'Israël, cette stèle est une pierre gravée qui mentionne la "Maison de David", une des premières références écrites au roi David, figure importante dans la Bible hébraïque.

Bien qu'elle soit rédigée en araméen, cette inscription est cruciale car elle utilise des noms hébraïques et reflète la proximité linguistique des peuples voisins.

2. Inscriptions les plus anciennes en arabe

a) L'inscription de Namara (328 ap. J.-C.)

L'épitaphe de Namara, découverte en Syrie, est l'une des plus anciennes inscriptions en arabe. Elle date de l'an 328 ap. J.-C. et honore le roi des Lakhmides, Imru' al-Qays.

Cette inscription est rédigée en alphabet nabatéen, qui est l'une des formes écrites ayant influencé le développement de l'arabe classique. Elle montre les premières traces de la transition entre l'alphabet nabatéen et l'alphabet arabe.

b) Les inscriptions de Safa (Iᵉʳ siècle av. J.-C. – IIᵉ siècle ap. J.-C.)

Les inscriptions safaites, découvertes dans la région désertique du nord de l'Arabie et du sud de la Syrie, sont des gravures rupestres laissées par des nomades arabes. Elles datent du Iᵉʳ siècle av. J.-C. au IIᵉ siècle ap. J.-C. et sont écrites dans un alphabet safaitique, une ancienne forme d'écriture arabe.

Ces inscriptions contiennent des récits simples concernant la vie quotidienne, comme les expéditions ou les prières.

c) Les inscriptions nabatéennes (IIᵉ siècle av. J.-C.)

L'arabe nabatéen est considéré comme un précurseur direct de l'arabe moderne. Les Nabatéens étaient un peuple arabe établi dans ce qui est aujourd'hui la Jordanie, et leur alphabet a évolué pour donner naissance à l'alphabet arabe. Une des plus anciennes inscriptions nabatéennes datée du IIᵉ siècle av. J.-C. est l'inscription de la tombe de Hegra, située à Al-Hijr (Madâ'in Sâlih, en Arabie Saoudite actuelle).

d) Les inscriptions préislamiques (VIᵉ siècle ap. J.-C.)

Avant la révélation du Coran, plusieurs inscriptions préislamiques montrent l'évolution de l'arabe vers sa forme classique. Ces inscriptions, trouvées dans différentes régions de la péninsule arabique, datent du VIᵉ siècle ap. J.-C. et sont souvent gravées sur des pierres ou des stèles funéraires. Elles reflètent déjà des formes linguistiques proches de l'arabe classique.

Conclusion

Les inscriptions en hébreu remontent à environ 1200-1000 av. J.-C., ce qui en fait l'une des langues les plus anciennes de la région. Les inscriptions en arabe ancien, bien que plus récentes dans leur forme écrite standardisée, commencent à apparaître vers le IIᵉ siècle av. J.-C., avec des formes plus élaborées au IVᵉ siècle ap. J.-C. et avant le développement de l'arabe classique au VIIᵉ siècle. Ces inscriptions témoignent de l'évolution de ces deux langues, toutes deux profondément enracinées dans l'histoire du Moyen-Orient
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Je suis allée demander à google qui étaient les nabatéens

Les Nabatéens (en arabe : الأنباط al-Anbɑːṭ ou النبطيون) étaient un peuple arabe commerçant de l'Antiquité qui vivait au sud de la Jordanie et de Canaan ainsi que dans le nord de l'Arabie. Façade d'El Khazneh (la Trésorerie) à Pétra (capitale de la Nabatène) en Jordanie.

Les milliers de documents épigraphiques nabatéens et les quelques textes à l'encre prouvent, sans conteste, que les Nabatéens écrivaient en araméen, mais les savants s'accordent généralement pour penser qu'ils parlaient une certaine forme d'arabe archaïque qui n'a survécu sous forme écrite que dans quelques .

Les Nabatéens étaient polythéistes et vénéraient une grande variété de dieux locaux ainsi que Baalshamin, Isis et des dieux gréco-romains tels que Tyché et Dionysos. Ils étaient surtout aniconiques et préféraient décorer leurs lieux sacrés avec des motifs géométriques
 
Toujours dans ce même fil d'échange,
Un intervenant juif semble t-il précise à toutes fins utlies,

Techniquement, l'Hébreu est supposé être plus ancien. Mais l'hébreu moderne est une "reconstruction", donc l'arabe est plus ancien…

Pour en savoir plus cliquez sur le lien que je posterai plus bas.
 
Un autre qui juge que la question de savoir laquelle des 2 langues est la plus ancienne est vide de sens, complète son propos comme suit

Revenons à nos moutons: La seule question concernant l'âge respectif de l'hébreu et de l'arabe à avoir un sens quelconque serait la suivante: "A quand remonte la première attestation des deux langues?".

La réponse à cette interrogation est évidemment que l'hébreu est attesté bien plus tôt que l'arabe. Mais l' examen linguistique de l'arabe littéral montre que cette langue n'est nullement "plus jeune" que l'hébreu biblique. Comment une langue qui encore aujourd'hui à bien des égards a des traits plus archaїques que ce dernier pourrait-elle être plus jeune?
 
La langue arabe et l'hébreu ont évolué de manière indépendante. L’hébreu utilise un alphabet dérivé de l'alphabet phénicien, tandis que l'arabe utilise un alphabet dérivé de l'alphabet nabatéen.

En outre, les langues arabes et hébraïques ont des racines différentes. L'arabe est souvent considéré comme une langue sémitique sud, tandis que l'hébreu est une langue sémitique nord.

Enfin, les recherches linguistiques modernes ont montré que la langue araméenne n'a pas exercé une influence majeure sur la langue arabe et l'hébreu.

Bien qu'il puisse y avoir des similitudes entre ces langues, ces similitudes peuvent être expliquées par des influences et des échanges culturels plutôt que par une filiation directe. Il est donc plus juste de dire que ces langues ont des origines sémitiques communes, plutôt que de les attribuer à une seule langue ancestrale.
 
Il y a de très nombreuses langues sémitiques qui se ressemblent et ont un tronc commun, à l'arabe et l'hébreux, il faut ajouter l'araméen qui était beaucoup plus parlé

Pourquoi l'arabe s'est développé ? par hasard. Les abbassides au moment où se créait leur empire avaient besoin pour l'unifier d'une langue et d'une religion différente de leurs adversaires (grecs et perses) et qui n'aient pas d'histoire. Ainsi sont nés l'islam et la langue arabe.
 
Je publie là le début d'un commentaire publié par un universitaire, je n'ai pas encore tout lu mais ça vaut son pesant de cacahuètes s on en juge le début....


« Une mise au point sur l’hébraïsme est ici nécessaire, car une illusion compliquée d’une perpétuelle prestidigitation étymologique a pu entraîner bien des gens à voir dans les Hébreux et dans leur « culture > les ancêtres suprêmes de l’histoire de l’Orient et par là même de la nôtre. Et tout d’abord il est bon de savoir qu’en dehors des textes bibliques, l’histoire fait sur les Hébreux un silence total. Nulle part ni l’archéologie, ni l’épigraphie, ni la statuaire ne révèlent le moindre vestige hébraïque. Sur les milliers de textes cunéiformes ou égyptiens qui constituent les bibliothèques d’Egypte, de Ras Shamra ou de Ninive, pas plus que dans les récits araméens le mot hébreu n’est mentionné ; les fameux rois bibliques que sont David ou Salomon ne défraient aucune chronique. Aucune mention non plus de l’épopée et des batailles liées à un exode des Hébreux. Nulle rupture de civilisa tion n’est attestée par les fouilles faites en Palestine depuis 1890. Le néant est aussi parfait que définitif. Il ne saurait donc être question d’histoire lorsqu’on ignore les faits, ni de tenter de deviner les événements alors qu’on ne possède aucun document. En 1973 a été publiée sous le patronage des autorités israéliennes une belle édition de l’œuvre de Flavius Josèphe ; l’ouvrage est illustré de re productions babyloniennes, sumériennes, égyptiennes, hittites, c’est-à-dire arabes. Nul hébraïsme là-dedans, pas même dans le texte qui, comme chacun le sait, est une traduction du grec, Flavius Josèphe écrivant en grec et parlant araméen ainsi que tous les Palestiniens de son époque. Ajoutons qu’ignorés des Evangiles, les Hébreux le sont aussi du Coran qui parle seulement des Juifs, des Israélites, ou des Enfants d’Israël. En tous cas chaque fois que figure le mot hébreu dans les littératures arabe, grecque ou latine, il désigne une religion et non pas une nation. Il existe bien une épître aux Hébreux mais elle a été rejetée par les exégètes ; d’abord pour des raisons matérielles, la notation « aux Hébreux » ayant été ajoutée marginalement ; ensuite parce que personne n’était d’accord sur le sens du terme hébreu qui échappe à toute ana lyse sérieuse. Il nous est actuellement impossible de dé finir les Hébreux ni dans le temps, ni dans l’espace, ni par la sociologie, ni par la confession. Et ce n’est pas Flavius Josèphe qui nous aidera ; son Histoire ancienne des Juifs est étonnante dans ses contradictions et dans ses contes : il place la Chaldée hors de la Mésopotamie, fait d’Abraham un roi de Syrie ; il signale aussi que les «samaritains sont hébreux mais pas juifs ». (page 361 éditions Lidis 1973). Une certitude en tous cas, l’hébreu n’est pas la langue originelle du judaïsme dont l’expression vivante et parlée fut d’abord l’araméen, ensuite l’arabe : le judaïsme ayant partagé le destin culturel des autres religions égypto-babylonienne, orphique, chrétienne ou islamique. Lorsque Jésus sur la croix jeta le grand cri « Allah, Allah, limadha sabactani », c’est en arabe qu’il cria ; tout Arabe en comprendra aujourd’hui le sens : « Mon Dieu, Mon Dieu, pourquoi t’en vas-tu le premier ?» ou bien «pourquoi me laisses-tu en arrière ? »

II n’y a rien d’hébreu là-dedans, malgré les commentaires de certains érudits. Par acquit de conscience nous avons relevé les termes donnés comme « hébreux » par les exégètes chrétiens ; la plupart sont tout simplement des mots arabes. Si on se décidait enfin, au lieu d’aller cher cher midi à quatorze heures, à réviser l’exégèse biblique sous l’éclairage de la langue et de la culture arabes, toute une scolastique artificielle s’effondrerait au bénéfice d’une vision vivifiée et vivifiante des Testaments. Il est anormal que la Révélation conçue pour la prédication et la prière universelle, faite pour la compréhension populaire, soit devenue la prisonnière de l’hébreu, écriture sacrée inventée pour une minuscule secte sacerdotale. Les juifs d’Orient, quant à eux, n’ayant jamais cessé de s’exprimer en arabe, ont su donner à la littérature, à la pensée, à la science arabes des représentants prestigieux.
 
Nous avons dit que la première version de la Bible juive se présente dans un texte grec tel qu’il fut composé à Alexandrie au siècle avant notre ère sous le règne de Ptolémée III, en même temps que furent collationnées les œuvres homériques, épiques ou ésotériques que la tradition nous a transmises à peu près intactes. L’Egypte est donc la mère de l’ancien Testament ; un même esprit arabo-hellénique a présidé à l’épopée de David et d’Achille. Tout lecteur attentif s’en apercevra aisément. Comme il fallait s’y attendre, l’indiscutable originalité du texte grec dit des Septante qui est la source de la tradition juive, gêne les hébraïsants qui s’obstinent à n’y voir que la traduction ou l’adaptation d’une première version en langue hébraïque. Rien n’est venu jusqu’à ce jour confirmer une telle hypothèse. C’est seulement à partir du iii e siècle après J.-C. qu’on se décida à rédiger en hébreu la Tradition juive jusqu’alors formulée en arabo-araméen ; on fit appel, pour la circonstance, au syriaque tel qu’il est encore enseigné aujourd’hui. Quelques fragments hébraïques figurent bien sur le papyrus Nash remontant au i”siècle av. J.-C., mais on en discute encore et il est pro bable que les signes sont du néo-phénicien. (Le texte hébraïque de la Bible juive ne sera fixé que fort tardivement, entre le ixe et le x” siècle de notre ère, par des sa vants de l’école de Tibériade nommés Massorètes qui utilisèrent quatre sources : le texte grec des Septante, la Vulgate latine de Saint-Jérôme, les Targoumim en araméen et enfin les éléments syriaques.) Il y a quelques années beaucoup de bruit a été fait autour de la découverte des manuscrits de la mer Morte à Khirbet-Quoumràn ; nous étions alors en pleine action sioniste en Palestine, aux Nations Unies et dans l’opinion ; il y avait intérêt à chercher une justification biblique à l’entreprise militaire. Aussi l’opportunité de la découverte avait-elle paru suspecte. Consultés sur la valeur du document les savants avaient été fort prudents et, de toutes façons, en avaient daté la rédaction au ii e ou iii* siècle de notre ère. De plus, à y regarder de près l’écriture était truffée de signes phéniciens et araméens. Aujourd’hui les soupçons se sont accentués et les manuscrits de la mer Morte sont considérés avec scepticisme ; ils ne sauraient modifier en rien l’opinion que se font les savants sérieux sur le rôle de l’hébraïsme dans l’histoire de l’Orient. Nous avons vu l’église romaine inventer un latin liturgique et évangélique destiné à sa vie intérieure et dont la sonorité archaïsante a été recherchée pour symboliser le décalage entre la société des hommes et l’expression divine. Que les résonances harmonieuses des psaumes en latin d’église ou en langue hébraïque puissent atteindre le cœur et réveiller des intuitions sur l’au-delà, c’est une certitude. Mais personne n’est jamais allé y chercher une documentation linguistique valable ni surtout l’origine ou l’aboutissement d’une culture. La beauté de ces langues liturgiques tient précisément à leur irréalité. Leur valeur est d’ordre esthétique et non historique. Quant à la langue hébraïque moderne, elle est une invention, dic tée par les circonstances à Eliezer ben Yéhouda qui publia entre 1910 et 1922 un dictionnaire commandé par le Mouvement sioniste mondial et destiné à procurer une sorte d’espéranto aux juifs du monde appelés à émigrer en Palestine. Elle est donc un instrument politique.

Quelles sont les raisons qui ont poussé la science occidentale à faire de l’hébreu le fil d’Ariane de ses recherches orientales, alors qu’elle disposait d’une langue arabe vivante, sûre, expression fidèle d’une continuité plusieurs fois millénaire et propre à élucider aisément le mystère des hautes époques ?
 
Pour les courageux, la suite....



On pourrait chercher une explication dans le parti pris de l’église catholique romaine et de ses érudits qui avaient fait de leurs couvents les forteresses d’une exégèse militante. Depuis les iv* et v* siè cles qui avaient vu l’affrontement des églises d’Orient et d’Occident dans les violents conflits christologiques au tour des Nestoriens, des Monophysites, Aryens et autres « hérétiques », Rome était en guerre ouverte ou latente contre les dialectiques arabes. Les Croisades que devait entreprendre plus tard la puissance pontificale contre l’Orient n’étaient pas seulement dirigées contre l’Islam mais bien contre tous les systèmes religieux et philosophiques inspirés directement de la pensée arabe, tels qu’ils animaient l’Orient ou tels que les avaient adoptés certaines sociétés d’Espagne, de Russie ou de la France méridionale. Les anciennes chroniques nous apprennent qu’on appelait « arabes » les Aquitains, les Basques, les Andalous ou Castillans peu touchés par le christianisme trini- taire et ouverts tant au judaïsme qu’à l’Islam. Il est à cet égard instructif que le christianisme oriental (si riche de foi et de traditions évangéliques) n’ait jamais cherché dans l’hébreu les voies de sa justification, alors qu’il était particulièrement bien placé pour le faire. Ce catholicisme- là est resté attaché à la langue ancestrale, l’arabe. C’est bien le christianisme latin et lui seul qui s’est adressé à une forme retirée et excentrique de la Tradition, utilisant de bonne heure l’hébreu comme une arme et un instrument de croisade contre la métaphysique orientale.

Ainsi donc de même qu’il est aberrant au nom d’un prétendu sémitisme de séparer les Arabes de l’ensemble culturel égypto-cananéo-babylonien dont ils sont partie intégrante, il tient de la superstition de faire à la langue hébraïque une place à part ; elle n’est qu’un rameau tardif et liturgique de la langue arabe, rameau intellectuel très longtemps ignoré des peuples et par là même infécond

parce que dans une large mesure fabriqué. Aujourd’hui encore l’hébreu appartient au petit monde clos des savants.
 
Au sens populaire et historique du terme il n’a pas d’existence propre. Déjà la faveur de ses défenseurs s’estompe et la science moderne est en train de remettre en cause la valeur de cet emblème liturgique drapé dans le manteau de la propagande apostolique et romaine. A l’expression « référence hébraïque s le moment est venu de substituer celle de « référence biblique », car, comme nous le voyons, l’une ne coïncide guère avec l’autre, le terme « biblique » ayant infiniment plus d’affinité avec le terme arabe (ou araméen, ce qui revient au même). Remplaçons Noé par son nom arabe Nùh, Job par Ayyùb, Jonas par Yùnous ben Matta, Sem par Sam bin Nùh, Abraham par Ibrahim, David par Daoud, Aaron par Ha- roun, Salomon par Soleïman, Goliath par Djalloud, Jésus pas Issa, Marie par Myriam, et alors nous retrouverons la fraîcheur primitive du Testament et sa présence réelle ; nous sentirons combien il a perpétué, de millénaire en millénaire, une parole qui est demeurée en intonation et en esprit celle des millions d’hommes qui peuplent aujourd’hui l’Orient dont ils sont les indiscutables héritiers. Alors il tombera sous le sens que non seulement le judaïsme, le christianisme et l’Islam, mais encore les religions zoroastriennes, solaires, orphiques, religions de mystères et de salut, cultes grecs et romains dérivent comme frères et sœurs du cosmos oriental tel qu’il régnait autrefois entre le Nil et l’Indus, porté par une langue commune, l’araméen toujours vivante dans l’actuelle langue arabe. Lorsque Jésus déclare : « Avant qu’Abraham fût, je suis » il affirme que sa parole n’est pas une leçon tirée du judaïsme mais qu’elle procède d’un univers spirituel bien antérieur. Entre le Nil, le Caucase, le Yémen et l’Indus se sont croisés, et entrecroisés en un tissu serré, des courants mystiques qui se sont parfois confondus au point qu’il est vain d’en chercher les lignes de partage géographiques. Le monde culturel, religieux et poétique de l’Orient des premiers âges était parfaitement œcuménique et le demeura longtemps. Ainsi dès le 2‘ millénaire avant notre ère la déesse Ishtar était-elle honorée à Thèbes, Babylone, Karkémish ou Suse avant de l’être par les Grecs sous le nom d’Aphrodite et par les Romains sous les traits de Vénus ; de même au iiie siècle de notre ère l’empereur Alexandre Sévère, élevé à Antioche et éduqué par l’égyptien Origène, adorait-il dans un même oratoire une trinité rassemblant Abraham, Orphée et Jésus. La société antique n’analysait pas en effet la religion mais la vivait, comme elle vivait la nature, le ciel et la terre. Elle ne se posait point les épineuses questions dont notre rationalisme fait son jeu quotidien. Quelles qu’aient pu être les particularités doctrinales des religions de Baal, de Jéhovah, d’Isis, d’Orphée ou de Jésus, toutes avaient de l’homme la même idée ; elles le regardaient du haut des cieux ; n’ayant nullement en vue son bonheur personnel elles ne se préoccupaient que de son entente harmonieuse avec les Eléments, avec les Origines, la Mort, l’Univers. Et comme l’histoire de l’Univers ne se mesure pas à la durée d’un jour mais à l’année lumière, la société antique, imbue de religion, établissait ses calculs politiques ou historiques à partir d’énormes quantités d’espace et de temps.
 
C’est dire combien alors une vie humaine ne comptait qu’à la seule condition de se trouver enchâssée dans une réalité tout à la fois cosmique et épique donc mythique, car Dieu ne peut être qu’épique. Il n’est pas là pour faire le décompte de nos états d’âme ou des intermittences de notre cœur. L’histoire au jour le jour, à l’événement l’événement, telle que nous la concevons n’est pour l’homme antique qu’une aventure misérable. Son destin il le voit, il le vit sous la forme d’un drame à plusieurs regis tres où s’affrontent des peuples entiers, des cités célestes, des Puissances fabuleuses. A ce niveau là les différences s’effacent. Toutes les religions se rejoignent au ciel. Le ciel est un, la religion est donc une. Les querelles théologiques n’apparaîtront que tardivement. Temples de Baal ou de Mithra, églises d’Axoum ou d’Arménie, sanctuaires d’Osiris ou oratoires de Mésopotamie, mosquées ou synagogues du Yémen ou de Syrie exprimeront longtemps une mentalité identique. Et cela est tellement vrai qu’on a pu voir tout au long des siècles des sanctuaires passer successivement du culte d’Ishtar, à celui d’Orphée, de l’Eternel des juifs à celui de Jésus ou à l’Islam ; le fanatisme religieux ou philosophique étant la caractéristique du monde contemporain. De cet œcuménisme dans l’espace et dans le temps la langue grecque donne un témoignage singulièrement précieux mais plus encore la langue arabe puisque, sans interrution, depuis ses origines nilotiques et mésopotamiennes jusqu’à l’heure présente, elle a porté en elle toutes les formes, sans exception, de la religiosité dont est pétrie notre société, toutes les méditations, les philosophies, les esthétiques et les sciences occultes ou publiques. En arabe parlait le prêtre de Baal, en arabe le dévot d’Isis ou Moïse l’Egyptien, en arabe bien entendu le Christ quand il s’entretenait avec Caïphe ou avec le peuple de Palestine ; en arabe le prophète Mohammed. La droite ligne de notre culture n’a point dévié.
 
C’est en effet un jeu d’enfant pour un philologue de retrouver à la racine des langues égyptienne, cananéenne, anatolienne ou assyro-babylonienne les éléments essentiels de la langue arabe ; parfois même le mot a été transporté dans son entier à travers les siècles qu’il résume en un racourci stupéfiant. Quelques exemples : dans les textes cunéiformes et araméens la Mésopotamie est appelée Senaar ; l’arabe d’aujourd’hui l’appelle Shenaar. Le dieu solaire Chamash correspond à l’arabe moderne Chams qui désigne le soleil ou l’Orient ; le Baal signifie en arabe « maître », et Rab (terme mésopotamien qui donnera rabbin) veut dire « père » ; Rab el beït est le « maître de maison ». Le suffixe « malek » accolé à tant de noms bibliques veut dire « propriétaire ». Le dieu babylonien de la foudre s’appelle Baraq ; l’arabe du xx* siècle dit Barqua ; le dieu de la fortune est Djad ; en arabe moderne Djada signifie prospérité ; le dieu Tammouz a donné son nom au mois de juillet arabe. Les innombrables termes mésopotamiens ou bibliques contenant la racine Chalem, Chalom etc. rappellent l’arabe Salam. Le dieu syro-palestinien des Enfers s’appelle Moût ; le même terme désigne en arabe la mort. « Hag » signifie en mésopotamien la fête rituelle ; en arabe « Hadj » est la fête du Pèlerinage. Quand à Sabet qui veut dire en arabe samedi, c’est-à-dire le Sabbat, il dérive directement du babylonien Sabattu, fête de la pleine lune. Nous n’en finirions plus. Il n’est pas jusqu’à la langue grecque qui n’ait puisé dans le fonds mésopotamien et araméen une part notable de son vocabulaire et de ses structures. Si le mot grec « Sibylle » (Sibulla) désigne une personne sacrée chargée d’énoncer des oracles, l’arabe « as sabil » veut dire « chemin qui mène à Dieu » ; on s’en sert aussi pour désigner l’emplacement qui, dans chaque ville ou cité, sert de lieu de rencontre ou de méditation, généralement orné d’une fontaine. Les Grecs, il est vrai, n’ont jamais fait mystère de leur ascendance asiatique ; ils se disaient disciples des Egyptiens et des Babyloniens ; leur panthéon était arabe ; leurs cosmogonies et théogonies directement inspirées d’Anatolie ou de Canaan. Le père d’Hésiode n’était-il pas d’origine éolienne ? Hérodote s’étonne qu’on distingue l’Europe de l’Asie car il n’y voit, et ses compatriotes avec lui, qu’une seule et même culture. Effectivement la Grèce est née de l’Asie, recueillant par l’intermédiaire de la colonisation phénicienne le fruit de quelque 4 000 ans d’efforts menés par l’Egypte et la Babylonie
 
Son éclosion certes fut tardive puisque 1000 ans avant Homère, alors que les Grecs végétaient encore dans l’obscurité, les sujets de Thoutntosis jouissaient dans la vallée du Nil d’un art et d’un confort raffinés. En transmettant à l’Occident sicilien et italique l’héritage asiatique la Grèce devait y introduire les diverses religions arabes et notamment le christianisme puisque c’est en grec que le nouveau Testament parvint en Méditerranée occidentale. Pourquoi dans ces conditions, nous qui sommes les fils de l’hellénisme, continuerions nous à nous définir par rapport à la seule philosophie judéo-chrétienne ?Juifs et Chrétiens ne sont qu’un élément de l’apport hellénique. Fils de l’Asie, fils de l’arabisme nilo-mésopotamien, voilà ce que nous sommes en vérité. C’est la totalité du legs que nous revendiquons. Défions-nous donc des clichés passe-partout. Judaisme et Christianisme sont des termes qui masquent une vérité infiniment plus complexe et plus vaste, nous l’avons vu, que les castes où nous les enfermons. Il y a tant de choses troublantes au sujet des Juifs dans les histoires de Flavius Josèphe, dans les littératures grec que et latine, dans les Evangiles mêmes puisque saint Jean appelle « Juifs » les ennemis du Christ. Comment expliquer que Jésus, en contradiction ouverte avec la loi de Moïse, soit allé jusqu’à fêter sa Pâque à lui, à une date qu’il a choisie à contre-temps, puisque la célébration de la Pâque juive a coïncidé avec sa mort ? Autre question troublante : ces autres « Juifs », les Apôtres, qui ont rédigé les Evangiles à partir de l’an 70 ou 80, pourquoi ne mentionnent-ils nulle part un événement dont on nous dit qu’il a secoué la société juive : la destruction du Temple par Titus en l’an 70 précisément ? Pourquoi de son côté, Flavius Josèphe ne parle-t-il qu’ac- cidentellement de Jésus de Nazareth ? Autre interrogation tout aussi grave : les premières métropoles chrétiennes ne furent ni Jérusalem ni Nazareth mais les grandes capitales arabes de l’époque, Philadelphie, Ptolémaïs, Sardes, Pergame, Damas, Smyrne, Ephèse, Laodicée. Pourquoi l’Apocalypse qui est une lettre de Révélation (du grec apokalupteïn, découvrir) fut-elle adressée à la fin du i’siècle au 7 églises arabes d’Asie, celles là mêmes exactement qui abritaient les grands cultes d’Isis, de Baal, d’Orphée ? L’Apocalypse contient une imprécation contre « ceux qui se disent juifs et ne le sont pas, mais qui appartiennent à la synagogue de Satan ». Etrange aussi la déclaration de saint Paul qui appelle « Israël » l’ensemble des croyants, ajoutant pour épaissir l’énigme : « Ceux qui descendent d’Israël ne sont pas tous d’Israël ».
 
Les Evangiles disent aussi qu’il y avait des « Grecs qui montaient adorer à Jérusalem ». Que signifie, en l’occurrence, « Grecs » ? Que signifie « Juifs » ? Non décidément rien n’est simple dans ce jeu de terminologie et il faut penser sérieusement à nous défaire des habitudes prises concernant l’exclusivité de notre prétendu héritage judéo-chrétien ; cessons de nous en prévaloir ; invoquons plutôt la tradition gréco-asia tique. Y a-t-il meilleure façon d’échapper aux fausses catégories que sont l’aryanisme et le sémitisme ? Quant au judaïsme, orphisme, christianisme, manichéiste, islam, gnoses innombrables, les gens d’autrefois les considéraient comme les éléments d’un ensemble indivisible ; l’échange des dieux et des anges s’opérait aisément pour la simple raison que ces gens d’autrefois étaient profon dément des Croyants. Et c’est bien sans doute parce que nous ne le sommes plus que nous nous attachons furieusement à quelques points de dialectique auxquels nous avons réduit la religion. L’œil inexorablement fixé sur les mêmes fantômes nous perdons de vue la course du soleil. Avouons que notre horizon se borne à nous-mêmes et à quelques idées reçues qui nous confirment dans une haute idée de notre valeur. Laborieusement, scrupuleusement nous travaillons à parfaire l’image où nous nous complaisons. Tandis que les peuples de grande culture acceptent de vivre inconscients et intégrés corps et âme à leur histoire, nous autres, Européens, sommes travaillés par l’insomnie d’une quête perpétuelle. Les civilisations égyptienne, cananéenne, babylonienne ou ana- tolienne ont été étudiées séparément selon la méthode de la monographie, de même qu’a été inventé un « monde arabe » lui aussi à part ; poussant plus loin l’analyse nous avons distingué à l’intérieur de ces civilisations des sous-groupements provinciaux qui ont été à leur tour divisés puis sous divisés en corpuscules confessionnels, éthiques, familiaux etc. L’art de la dissection est allé si loin que les civilisations, sous notre microscope meurtrier, ont fini par se briser en miettes. Car dans le même temps que progressait la démarche analytique, reculait le goût de la synthèse sans laquelle pourtant il n’est pas d’histoire possible. Il paraît inconcevable à nos critiques de juger de l’histoire de l’Orient et de l’Occident non à partir de tel ou tel pays isolé, non en se fondant sur tel ou tel épisode, mais à partir d’une unité culturelle et sociologique dont tous les documents démontrent la cohé rence indiscutable. Militaires ou politiques les frontières tracées selon les besoins des professeurs ou des archéologues ne passent pas nécessairement par le cœur des hommes. Lorsque, dans une vision de synthèse, nous affirmons que l’Orient se définit par une culture arabe dans un espace arabe, nous n’inventons rien ; nous ne faisons que rassembler et réajuster l’un à l’autre les élé ments géographiques et culturels maintenus jusqu’ici dis persés par une volonté d’analyse excessive. Volonté qui est la première responsable de notre exclusion du monde réel.
 
Le second coupable est l’enseignement universitaire dispensé depuis la Renaissance exclusivement en faveur d’Athènes et de Rome devenues des Utopies rétrospectives dans lesquelles l’Européen, depuis le xve siècle, a cru découvrir l’apogée de ses idéaux. C’est à compter de cette époque que les Arabes cessent d’intéresser la culture européenne pour s’enfoncer dans des sables de plus en plus reculés d’où ils seront extraits au xxe siècle par les spécialistes du chameau, de la tribu, de la vendetta, des Bédouins. C’est aussi à partir de la Renaissance que, pour expliquer tout de même l’extrême raffinement artistique, industriel et scientifique de la période des Califes, on fait des Arabes les traducteurs et les adaptateurs des Grecs. La légende a la vie dure et il se trouve aujour d’hui encore, chez les Arabes eux-mêmes, des gens pour s’en prévaloir dans la défense et l’illustration des thèses arabisantes. Sous la plume d’un auteur bien intentionné nous lisons : « Si Avicenne n’avait pas traduit Aristote, saint Thomas d’Aquin n’aurait peut-être pas existé. » La vérité est autre ; elle est celle-ci : « Si la Grèce n’avait pas été formée à la culture arabe, Aristote n’aurait cer tainement pas existé. « Oui, au firmament de la Renaissance ne brillèrent qu’Athènes et Rome. Elles étaient l’alpha et l’omega de l’honnête homme. » Je veux lire en trois jours l’Iliade d’Homère « se promet Ronsard avec gourmandise. Dans son admirable toile de « l’Ecole d’Athènes » Raphaël s’est proposé de figurer l’architecture mentale de la parfaite humanité. Les pontifes catho liques de Rome revêtent la majesté militaire et juridique des Césars. Mais sous l’apparence des retrouvailles intel lectuelles avec l’antiquité débute en fait l’ère du rétrécis sement culturel, car si Athènes et Rome, qui ne furent que des puissances relativement modestes, envahissent à partir du xvesiècle toute la scène européenne, en contre partie s’efface de notre tradition le souvenir de l’immense culture arabe qui du Nil à l’Indus avait couvert une durée plusieurs fois millénaire. Avec les xviii“ et xix” siècles, sous l’influence des théoriciens de la démocratie et de la libre pensée qui allaient s’emparer des écoles et régner souverainement sur la rédaction des manuels scolaires, Athènes devint l’idole de l’enseignement républicain, la Rome des Brutus l’enseigne des vertus civiques. Carica turées en maîtresses du genre humain les deux capitales figurent au fronton des chapelles politiques, des professions de foi de la société libérale. La Prière sur l’Acropole d’Ernest Renan reste un chef-d’œuvre du genre en même temps qu’un bel exemple de niaiserie littéraire. En regard des Pyramides et des temples de Karnak ou de Louqsor, le Parthénon n’est pourtant qu’une bien petite chose ; petite chose la république athénienne qui entre la victoire de Salamine et la capitulation aux mains du Spar tiate Lysandre ne brilla guère plus de 70 ans. Les quelques 1 150 ans de la puissance romaine que sont-ils face aux 5000 ou 6 000 ans des civilisations égyptienne et babylonienne, issues de la nuit des temps, prolongeant encore de nos jours en terre d’Orient leur règne invul nérable ? Et encore est-ce à l’Orient que l’empire romain a dû de se perpétuer si longtemps, absorbé qu’il fut dès le règne d’Octave Auguste dans un ensemble culturel, religieux, politique qui coalisait l’Egypte, l’Anatolie, l’Asie mésopotamienne et syrienne. L’empire fut marqué du signe arabe sitôt qu’à la commande d’Agrippa, fut édifié à Rome par un architecte syrien le temple du Panthéon à l’aube de l’ère chrétienne. Avec les Flaviens débu tent les dynasties asiatiques. Rome se survivra en Byzance, Justinien sera le précurseur des Califes.
 
Athènes dans tout cela ? Une bourgade perdue. Si l’imagination et les partis pris esthétiques ou politiques l’ont magnifiée, l’histoire l’a mise à sa juste place. Ni le christianisme ni l’Islam n’ont pris le chemin de la capitale de Périclès ; ils ont pris celui de Damas, de Médine, de Jérusalem. Le Moyen-Age fasciné par l’Egypte et la Terre Sainte ne se souvient guère d’Athènes. L’œuvre maîtresse de l’époque, la Légende Dorée, qui rassemble au xiii”siè cle les traditions populaires de l’Europe, célèbre la Palestine, la Syrie, l’Egypte, Byzance, l’Anatolie ; quelques mots à peine sur Athènes. Or cette Légende Dorée, bien ignorée de nos jours, est une somme de connaissances et de sciences de toutes sortes qui constitue, avec l’œuvre de Dante qu’elle a inspirée, la plus importante réserve de thèmes artistiques, poétiques, liturgiques, qu’ait jamais connue la chrétienté. Ainsi des deux capitales de nos Humanités classiques, l’une Athènes a péréclité en banlieue de l’histoire ; météore au ciel des intellectuels, elle n’a rien apporté aux peuples d’Orient ou d’Occident ; l’autre, Rome, s’est fondue au creuset de la culture arabe dont elle est devenue par Byzance et par l’Eglise une héritière et un témoin. Tirons-en les réflexions propres à la remise en ordre de nos convictions.

Il est aussi grand temps que la confusion cesse entre l’histoire de certaines tribus malheureuses de la presqu’île arabique et l’histoire des Arabes. Pas plus que l’histoire de France ne se confond avec celle de la Lozère ou des cantons déshérités des régions alpines, la réalité et la culture arabes ne se limitent aux champs de parcours de ces trois ou quatre familles errantes dont les experts nous racontent lyriquement et confusément le destin miraculeux. Il n’est point de miracle en notre monde. Si la civilisation arabe s’est, en un clin d’œil, étendue des Pyrénées à l’Insulinde, c’est qu’elle n’était point l’apanage d’une poignée de mangeurs de lézards soudainement divinisés. Si la religion musulmane s’est propagée sur des continents entiers, si la langue arabe a connu une fortune que n’a encore atteinte aucune autre, si elle a été la langue du judaïsme, du christianisme, de l’Islam, de la gnose, des mystères et des magies, c’est bien parce qu’une imposante civilisation lui donnait une autorité dépas-

sant de loin telle colline du Hedjaz. A cette autorité ont obéi les Grecs puis les Romains et avec eux les Etrusques, avant que ne s’y rallient les royaumes Wisigoths d’Occident et les princes de l’Inde. C’est la raison pour laquelle il est aussi difficile de croire à une victoire grecque lors des guerres médiques qu’à une conquête d’Alexandre en Asie ; tout aussi difficile d’admettre une invasion militaire de l’Espagne par les seuls Arabes du Hedjaz. Dans un cas comme dans l’autre la disproportion des forces était telle qu’elle conduit à chercher ailleurs que dans les explications scolaires les raisons profondes de ce qui fut non pas un conflit mais une collaboration. Dans cette quête il suffira de se fier au bon sens. Il est généralement plus honnête que l’érudition.
 
Si nous rejetons comme fantaisiste et dénué de la moin dre valeur scientifique le concept de « peuple et langue sémitiques », si nous réfléchissons afin de voir clair et nullement pour nous complaire dans les idées reçues, si nous sommes résolus à ne rien emprunter au rêve, alors il faut définir l’arabisme comme une culture, comme la seule culture de l’Orient et entreprendre à la lumière de cette culture la révision de ce qui nous a été enseigné à l’école sous le titre l’Orient et la Grèce.

Nous n’y parviendrons qu’à la condition d’écarter la vision incohérente et fragmentaire de l’Orient que nous avons reçue de nos maîtres, précisant d’abord ce qui revient à l’Islam et ce qui ne lui revient pas. La politique de l’Islam, si elle a centralisé les pouvoirs, n’a point uni fié les nations ; cette unité nationale et territoriale dont Alexandre avait profité avant les Califes, l’Islam l’a héritée des siècles antérieurs. La politique de l’Islam n’a pas davantage promu la société arabe : cette société avait déjà été portée au plus haut niveau de la civilisation pal les ancêtres pharaoniques ou babyloniens. Sorti du désert l’Islam n’est pas retourné au désert mais s’est adressé dans leur langue et dans leur mentalité aux foules innom brables des grandes cités maritimes et fluviales. La religion révélée au Prophète était conforme à leur enten dement ; n’étant ni une innovation insolite ni une révolution ; elle accomplissait simplement les Traditions et les Ecritures précédentes ; elle ne niait ni ne reniait, elle intégrait ; les spiritualités de l’Orient multiples en appa rence mais une en essence elle les résumait en un acte de foi unique sur l’unicité de Dieu. Le Coran n’ajoute pas, il totalise ; le Coran ne discute pas, il conclut ; il ne divise pas, il rassemble. A proprement parler il n’est point une religion nouvelle. Il clame la soumission au Dieu de toujours, présent au passé comme à l’avenir, seul, immuable et incréé, remplissant l’univers. Ce n’est certes point là une conception née de l’écho au coin d’un désert mais bien la quintessence d’une méditation portée de siè cle en siècle au travers des plaines nilotiques, cananéen nes et mésopotamiennes ; on y retrouve la cosmogonie chaldéenne, la résurrection égyptienne ou chrétienne, l’espérance apocalyptique qui, avant de résonner dans la bouche de saint Jean avait déjà été entendue des disciples de la gnose. L’Islam n’a donc nullement surpris les peuples de l’Orient, il les a éclairés, ce qui est différent. Point n’a été besoin d’épée ni de persécutions pour les convertir. Ils étaient naturellement conduits à l’Islam par la pente de leur croyance ancestrale. Non seulement les Juifs et les Chrétiens mais encore les Mages, les Grecs, les adorateurs des diverses divinités y ont reconnu une parole qui ne leur était point étrangère. Pas plus que l’Islam n’a eu à conquérir de haute lutte l’opinion, les Arabes n’ont eu à conquérir militairement l’Orient et la Méditerranée où ils étaient chez eux depuis les temps reculés. En revanche ils ont culturellement conquis l’Occident européen et, par voie de conséquence, l’Occident américain en y introduisant leurs religions, leur philoso phie, leur esthétique. Vaste entreprise dans laquelle ils eurent pour alliés et intermédiaires l’hellénisme et le rejeton étrusque, levain des sociétés italiques. Durant longtemps c’est à l’hellénisme seul qu’on attribua cette initiation culturelle sans mesurer le miracle que cela aurait supposé, sans voir non plus que la Grèce n’était qu’un balcon et une annexe de l’édifice arabe de l’Orient, ce que les Grecs reconnaissaient eux-mêmes parfaitement.

Mais en l’occurrence nous fûmes plus Grecs que les Grecs. On risque de ne rien entendre à Périclès et à Eschyle si on ignore leur parenté asiatique. On se méprendrait sur l’Islam et sur les Arabes si on les détachait de leur géographie et de leur spiritualité maternelles. »

Pierre Rossi ; Le voile d’Isis
 
En lien avec le propos tenu sur un autre fil, faisant écho à la proximité linguistique entre les 2 langues
Je ne m'étais jamais interrogée sur laquelle des 2 langues a pu dériver de l'autre

A ce stade de mes recherches, je n'ai pas la réponse à ma question, mais j'ai appris que l'hébreu est plus ancien que l'arabe
En effet, l'hébreu et l'arabe appartiennent tous deux à la famille des langues sémitiques et partagent des racines communes, ce qui explique les similitudes que tu évoques. Historiquement, l'hébreu est attesté depuis une période plus ancienne, mais cela ne signifie pas pour autant que l'arabe dérive directement de l'hébreu.

Les deux langues se sont développées en parallèle dans des contextes culturels et géographiques différents et ont aussi pu s'influencer mutuellement à divers moments de l'histoire. La linguistique comparée continue d'explorer ces relations complexes pour mieux comprendre leurs évolutions respectives.
 
J'ai pas fini de lire la publication du type qui se présente comme un universitaire, je sais même pas si c'est sa production vu qu'à la fin il semble poster le titre d'une oeuvre....j'ai pas encore eu le temps de vérifier, happée par la lecture.....
Je dois vous dire que quand j'ai lu la première partie du message, j'ai eu l'impression d'être devant une oeuvre d'art 😂 c'est exactement la façon dont j'ai envie qu'on me raconte l'histoire...
 
Je pose ça ici (je ferai modifier plus tard le titre du fil, à vrai dire, je sais pas quel titre conviendrait le mieux..)
Une lecture en amenant une autre.
Je suis tombée sur cette production sur l'Exode, d'une très grande qualité
Je tague @zigotino @amraam je ne tague pas Tajali (il va nous noyer comme l'a été pharaon, ou pas :p) je crois qu'il a déjà parlé de ce ce sujet
Je tague aussi @Ebion qui doit aussi parfaitement connaitre le sujet
Si cet évènement n'a pas eu lieu, c'est fâcheux pour le judaisme et encore plus pour le sionisme.
 
Ledit passage,

Pour résumer jusqu’ici : il n’y a aucun élément de preuve explicite qui confirme l’Exode. Au mieux, nous avons un texte — la Bible hébraïque — qui manifeste une bonne maîtrise d’un large éventail d’aspects assez standard des réalités égyptiennes antiques. C’est certainement quelque chose et il ne faut pas le négliger ; mais y a-t-il quelque chose d’autre à dire ? [J’ai fait une découverte] qui révèle un lien explicite entre le récit biblique et un texte bien précis d’un règne bien déterminé dans l’histoire égyptienne. [Voici de quoi il s’agit :]

L’un des piliers de l’étude critique moderne de la Bible est ce qu’on appelle la méthode comparative. Les savants déblaient un texte biblique en relevant les ressemblances entre lui et les textes trouvés parmi les cultures voisines de l’ancien Israël. Si les ressemblances sont nombreuses et véritablement propres aux deux types de sources, il devient plausible d’affirmer que le texte biblique peut avoir été écrit sous l’influence directe du texte extrabiblique ou en réponse à ce texte. Pourquoi le sens unique de l’extrabiblique au biblique ? La réponse est qu’Israël a été en grande partie un joueur faible entouré politiquement mais aussi culturellement par des forces beaucoup plus importantes et qu’on n’a jamais trouvé aucun texte hébreu de l’époque antérieure à l’exil à Babylone (586 avant notre ère) qui ait été traduit dans d’autres langues. Par conséquent, on considère habituellement que les ressemblances entre la Bible et les textes en akkadien ou en égyptien sont le reflet de l’influence de ceux-ci sur elle.

Bien que la méthode comparative soit communément perçue comme une approche moderne, son premier praticien n’était autre que Moïse Maïmonide au XIIe siècle. Afin de comprendre correctement l’écriture, dit Maïmonide, il s’était procuré tous les travaux sur les civilisations anciennes connus à son époque. Dans son Guide des égarés, il utilise la connaissance qui en a découlé pour dégager le raisonnement qui était à la base des lois et des pratiques du culte dans la Torah, se disant qu’elles étaient des adaptations d’anciennes coutumes païennes, mais déformées pour les rendre conformes à une théologie antipaïenne. […] À la fin du Guide, Maïmonide dit que sa compréhension de la question aurait été bien plus grande s’il avait pu découvrir encore plus de sources de ce genre.
 
La méthode comparative peut produire des résultats éblouissants, ajoutant des dimensions à la compréhension de passages qui semblaient auparavant soit peu clairs, soit allant de soi et n’ayant rien d’exceptionnel. Par exemple, pensez au refrain biblique bien connu que Dieu a sorti Israël d’Égypte « à main forte et à bras étendu ». La Bible aurait pu employer cette expression pour décrire une multitude d’actes divins en faveur d’Israël et pourtant l’expression est utilisée uniquement en référence à l’Exode. Ce n’est pas un hasard. Dans une grande partie de la littérature royale égyptienne, l’expression « main forte [ou main puissante] » est un synonyme du pharaon et il y est dit de bon nombre d’actions du pharaon qu’elles sont effectuées par sa « main forte « ou son « bras étendu ». Nulle part ailleurs dans le Proche-Orient antique les souverains ne sont décrits de cette façon. Qui plus est, c’est dans la propagande royale égyptienne de la dernière partie du deuxième millénaire que l’on trouve le plus souvent cette expression.

Pourquoi le livre de l’Exode décrirait-il Dieu dans les mêmes termes que ceux utilisés par les Égyptiens pour glorifier leur pharaon ? Nous voyons ici jouer la dynamique de l’appropriation. Pendant une grande partie de son histoire, l’Israël antique a été dans l’ombre de l’Égypte. Pour les peuples faibles et opprimés, une forme de résistance culturelle et spirituelle est de s’approprier les symboles de l’oppresseur et de les utiliser à des fins de concurrence idéologique. Je crois, et j’ai l’intention de le montrer dans ce qui suit, que dans son récit de l’exode, la Bible s’approprie bien plus que de simples symboles et expressions — que, en bref, elle adopte et adapte l’un des récits les plus connus de l’un des plus grands de tous les pharaons égyptiens.

Un petit contexte s’impose ici. Comme tous les grands empires antiques, l’Égypte ancienne a eu son ascension et son déclin. Elle parvint à l’apogée de sa gloire sous le Nouvel Empire, vers 1500-1200 avant notre ère. C’est alors que ses frontières atteignirent leurs limites les plus éloignées et que beaucoup des monuments massifs encore visibles aujourd’hui furent construits. Nous avons déjà rencontré le plus grand pharaon de cette période, Ramsès II, également connu à juste titre comme Ramsès le Grand, qui régna de 1279 à 1213.

L’exploit suprême de Ramsès, qui eut lieu au début de son règne, fut sa victoire de 1274 sur l’ennemi juré de l’Égypte, l’empire hittite, à la bataille de Qadesh, une ville située sur l’Oronte à la frontière moderne entre le Liban et la Syrie. À son retour en Égypte, Ramsès inscrivit le récit de cette bataille sur des monuments partout dans l’empire. Il en existe encore dix exemplaires à ce jour. Ces copies multiples font de la bataille de Qadesh l’événement le plus médiatisé de tout le monde antique, plus même que ceux de la Grèce et de Rome. En outre, les textes étaient accompagnés d’une nouvelle création : des bas-reliefs représentant la bataille, image par image, afin que — tout comme pour les vitraux dans les églises médiévales — les spectateurs qui ne connaissaient pas les hiéroglyphes puissent apprendre les exploits du pharaon.
 
Ceci nous amène à ce qui est depuis longtemps une énigme biblique. Les savaient avaient longtemps cherché un modèle, un précurseur, qui pourrait avoir inspiré le plan du Tabernacle qui servit de centre de culte pour le campement des Israélites dans le désert, un plan décrit dans les moindres détails dans Exode 25-29. Bien que les vestiges des temples phéniciens révèlent un plan remarquablement ressemblant à celui du temple de Salomon (construit, faut-il le préciser, avec l’aide considérable d’un roi phénicien), aucun site cultuel connu dans le Proche-Orient antique ne semblait ressembler au Tabernacle du désert. Et puis, il y a quelque 80 ans, on remarqua une affinité inattendue entre les descriptions bibliques du Tabernacle et les illustrations du camp de Ramsès à Qadesh dans plusieurs bas-reliefs.

Dans l’image ci-dessous de la bataille de Qadesh, le camp militaire fortifié occupe le grand espace rectangulaire dans la moitié inférieure du bas-relief :

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La tente du trône de Ramsès II avec les faucons ailés flanquant son cartouche à Abou Simbel . W. Wreszinski, Atlas zur altägyptischen Kulturgeschichte Vol. II (1935), pl. 169.

Le camp est deux fois aussi long que large. L’entrée se trouve au milieu du mur oriental à gauche. (Dans les illustrations égyptiennes, l’est est à gauche, l’ouest est à droite.) Au centre du camp, au bout d’un long couloir, se trouve l’entrée d’une tente rectangulaire de 3 sur 1. Cette tente contient deux sections : une tente de réception de 2 sur 1, avec des personnages agenouillés en signe d’adoration et, menant vers l’ouest (à sa droite), un espace carré bombé qui est la tente du trône du pharaon.

Toutes ces proportions se retrouvent dans les prescriptions pour le Tabernacle et le camp qui l’entoure dans Exode 25-27, comme les deux schémas ci-dessous le montrent :

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Dans la tente du trône, mise en plus gros plan ci-dessous, l’emblème portant le nom du pharaon et symbolisant son pouvoir est flanqué de faucons qui symbolisent le dieu Horus, avec leurs ailes ouvertes pour le protéger :

Dans l’Exode (25:20), l’arche du Tabernacle est de même flanquée de deux chérubins ailés, dont les ailes sont ouvertes pour le protéger. Pour compléter le parallèle, les quatre divisions de l’armée égyptienne à Qadesh auraient campé sur les quatre côtés de l’enceinte militaire de Ramsès ; le livre des Nombres (2) dit que les tribus d’Israël campaient sur les quatre côtés de l’enceinte du Tabernacle.

La ressemblance du camp militaire de Qadesh avec le Tabernacle va plus loin que l’architecture ; elle est également conceptuelle. Pour les Égyptiens, Ramsès était à la fois un chef militaire et une divinité. Dans la Torah, Dieu est également une divinité, évidemment, mais aussi le chef d’Israël au combat (voir Nombres 10:35-36). La tente de Dieu, guerrier divin, est semblable à la tente du pharaon, le dieu égyptien vivant, prête pour la bataille.

Qu’est-ce que les savants ont retiré de cette observation ? Tous conviennent qu’aucune image visuelle que nous connaissions des annales antiques ne ressemble autant au Tabernacle que la tente du trône de Ramsès. Il n’y a non plus aucune description dans les textes d’une tente cultuelle ou d’une tente du trône dans un camp militaire qui corresponde à ces dimensions. Sur cette base, certains savants ont effectivement dit que les bas-reliefs des inscriptions de Qadesh ont inspiré la conception du Tabernacle dans Exode 25-27. Dans leur esprit, les Israélites ont retravaillé idéologiquement la tente du trône, avec Dieu remplaçant Ramsès le Grand comme la force la plus puissante de l’époque. (Bien entendu, pour la Torah, Dieu ne peut pas être représenté dans une image et ne nécessite aucune protection, et les divinités païennes n’ont pas de pouvoir, ce qui explique pourquoi, au lieu de faucons et d’Horus, nous avons des chérubins recouvrant de leurs ailes protectrices l’arche portant les tables de son alliance avec Israël.) D’autres croient que l’image de la tente du trône s’est, dans un premier temps, fondue dans la culture israélite d’une manière que nous ne pouvons pas reconstituer et a été intégrée plus tard dans le texte décrit dans l’Exode, mais sans souvenir conscient de Ramsès II. D’autres encore restent sceptiques, considérant que les ressemblances ne sont qu’une coïncidence.
 
J’ai eu une réaction différente. Une fois mon intérêt éveillé par les ressemblances visuelles entre le Tabernacle et la tente du trône de Ramsès, j’ai décidé de regarder de plus près les composantes textuelles des inscriptions de Qadesh pour apprendre ce qu’elles avaient à dire au sujet de Ramsès, des Égyptiens et de la bataille de Qadesh. Dans un premier temps, quelques points à gauche et à droite — comme la référence au bras puissant du pharaon, mentionnée plus haut — m’ont sauté aux yeux comme étant en résonance avec les termes du récit de l’Exode. Mais en lisant et en relisant, je me suis rendu compte qu’il y avait là bien plus qu’une affaire de quelques expressions ou images — que les ressemblances s’étendaient à l’ensemble de l’intrigue du poème de Qadesh et à celle de la séparation de la mer dans Exode 14-15.

Plus j’examinais d’autres récits de batailles du Proche-Orient antique, plus cette ressemblance me frappait, à tel point que je pense qu’il est raisonnable d’affirmer que le récit de la séparation de la mer (Exode 14) et le Cantique de Moïse et des Israélites (Exode 15) peuvent constituer un acte délibéré d’appropriation culturelle. Si les inscriptions de Qadesh témoignent du plus grand exploit du plus grand pharaon de la plus grande période de l’histoire égyptienne, le livre de l’Exode, quant à lui, affirme que le Dieu d’Israël a fait infiniment mieux que Ramsès le Grand, le battant à plate couture à son propre jeu.

Voyons comment cela fonctionne. Dans le poème de Qadesh et le récit de l’Exode 14-15, l’action commence de la même façon : l’armée des protagonistes (respectivement celle des Égyptiens et celle des Israélites) est en marche et n’est pas préparée pour la bataille lorsqu’elle est attaquée par une force importante de chars, la faisant rompre les rangs sous l’effet de la peur. Ainsi, d’après le poème de Qadesh, les troupes de Ramsès sont en train de faire mouvement vers le nord vers la périphérie de Qadesh lorsqu’elles sont surprises par un corps de chars hittites et prennent peur. Le récit de l’Exode s’ouvre de la même façon. À leur sortie d’Égypte, les Israélites sont décrits comme étant une force armée (Exode 13:18 et 14:8). Mais abasourdis par la charge soudaine des chars du pharaon, ils deviennent complètement découragés (14:10-12).

Dans chaque histoire, le protagoniste appelle son dieu à l’aide et le dieu l’exhorte à aller de l’avant avec l’aide divine. Dans le poème de Qadesh, Ramsès prie Amon, qui répond : « En avant ! Je suis avec toi, je suis ton père, ma main est avec toi! » […] De même, Moïse crie à l’Éternel, qui répond dans 14:15, « Parle aux enfants d’Israël, et qu’ils marchent! », promettant la victoire sur le pharaon (v. 16-17).
 
Dans chaque histoire, le protagoniste appelle son dieu à l’aide et le dieu l’exhorte à aller de l’avant avec l’aide divine. Dans le poème de Qadesh, Ramsès prie Amon, qui répond : « En avant ! Je suis avec toi, je suis ton père, ma main est avec toi! » […] De même, Moïse crie à l’Éternel, qui répond dans 14:15, « Parle aux enfants d’Israël, et qu’ils marchent! », promettant la victoire sur le pharaon (v. 16-17).

À partir de ce moment, dans le poème de Qadesh, Ramsès acquiert des proportions et des pouvoirs divins. Autrement dit, il se transforme du dirigeant humain en détresse qu’il était en une force quasi divine, ce qui nous permet d’examiner ses actions contre les Hittites au ord de l’Oronte parallèlement aux actions de Dieu contre les Égyptiens au bord de la mer. Dans chaque récit, le « roi » affronte l’ennemi tout seul, sans l’aide de ses troupes apeurées. Entièrement abandonné par son armée, Ramsès se jette tout seul sur les Hittites, un thème souligné tout au long du poème. Dans Exode 14:14, Dieu déclare qu’Israël doit simplement rester passif et qu’il se battra pour lui : « L’Éternel combattra pour vous ; et vous, gardez le silence. » Il vaut la peine ici de noter que cette particularité des deux ouvrages — leur portrait parallèle d’un « roi » victorieux qui doit travailler dur pour assurer la fidélité de ceux qu’il sauve au combat — n’a pas son pareil dans la littérature du Proche-Orient antique.

Dans chacun de ces textes, l’ennemi dit ensuite l’inutilité de vouloir lutter contre une force divine et cherche à s’échapper. Dans chacun, ce qui a été dit précédemment sur la puissance du personnage divin est maintenant confirmé par l’ennemi lui-même. Dans le poème de Qadesh, les Hittites se retirent devant Ramsès: « L’un d’eux cria à son camarade : Prépare-toi, garde-toi, ne l’approche pas ! Regarde ! Sekhmet la grande est celle qui est avec lui! », parlant d’une déesse vantée précédemment dans le poème. Dans ce passage, les Hittites reconnaissent qu’ils combattent non seulement une force divine, mais une force divine très particulière. Nous trouvons le même trope dans le récit de l’Exode : confondus par Dieu dans 14:25, les Égyptiens disent : « Fuyons devant Israël, car l’Éternel combat pour lui contre les Égyptiens. »

Un élément commun à ces deux textes est la submersion de l’ennemi dans l’eau. Le poème de Qadesh ne donne pas à cet événement un rôle aussi central que l’Exode — il ne parle pas de mer balayée par le vent écrasant les Hittites — mais Ramsès proclame effectivement avec vantardise que dans leur hâte pour échapper à son assaut, les Hittites vont chercher refuge en « plongée » dans le fleuve, sur quoi il les massacre dans l’eau. Les reliefs représentent la noyade des Hittites d’une façon percutante, que l’on voit ici en panorama et en gros plan :

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Pour ce qui est des survivants, les deux récits affirment qu’il n’y en a aucun. Le poème de Qadesh dit: « Nul ne regardait en arrière, aucun autre ne faisait demi-tour. Quiconque d’entre eux tombait ne se relevait plus. « Exode 14:28: « Les eaux revinrent, et couvrirent les chars, les cavaliers et toute l’armée […] et il n’en échappa pas un seul. »

Nous arrivons maintenant au plus frappant des parallèles entre les deux. Dans chacun, les troupes timides voient les preuves du « bras puissant » du roi, passent en revue les cadavres ennemis et, stupéfaits de l’exploit du souverain, se sentent poussés à chanter un cantique de louange. Dans le poème de Qadesh, nous lisons :

« Puis, quand mon infanterie et ma charrerie virent que j’étais comme Montou, que mon bras était puissant […] alors ils se mirent à revenir au camp pour passer la nuit, au temps du soir, et ils trouvèrent tous les pays étrangers dans lesquels j’avais pénétré gisant dans leur sang […] J’avais rendu blanc [avec leurs cadavres] la campagne du pays de Qadesh. Alors mon armée se mit à me louer, le visage surpris de ce que j’avais fait. »

Exode 14:30-31 est remarquablement similaire et dans deux cas identique: « Israël vit sur le rivage de la mer les Égyptiens qui étaient morts. Israël vit la main puissante que l’Éternel avait dirigée contre les Égyptiens. Et le peuple craignit l’Éternel. » Comme je l’ai déjà mentionné, la « main puissante » ici et la « grandeur du bras » dans 15:16 sont utilisées exclusivement dans la Bible hébraïque en ce qui concerne l’Exode, un trope qu’on ne trouve ailleurs que dans la propagande égyptienne, surtout au cours du Nouvel Empire à la fin du deuxième millénaire.

Après la grande conquête, dans les deux récits, les troupes offrent un hymne au roi. Dans chacun, le premier vers est constitué de trois éléments. Les troupes louent le nom du roi en tant que guerrier, lui attribuent le mérite de leur avoir remonté le moral et le portent aux nues pour avoir assuré leur salut. Dans le poème de Qadesh, nous lisons :

« Mes officiers supérieurs se mettent à magnifier mon bras puissant, et ma charrerie fière de ma réputation et déclarant : ‘Quel excellent guerrier qui ranime le cœur ! Tu as sauvé ton infanterie et ta charrerie !’ »

Et voici les mêmes motifs dans les premiers versets du Cantique de Moïse et des Israélites (Exode 15:1-3) :

« Alors Moïse et les enfants d’Israël chantèrent ce cantique à l’Éternel […] ‘L’Éternel est ma force et le sujet de mes louanges ; c’est lui qui m’a sauvé [...] L’Éternel est un vaillant guerrier ; l’Éternel est son nom.’ »

Tant dans le poème que dans l’Exode, l’éloge du souverain victorieux continue dans une strophe double vantant sa main ou son bras puissants. Le poème: « Tu es le fils d’Amon, réalisant avec ses bras, tu dévastes le pays de Hatti par ton bras vaillant. » Le Cantique (Exode 15:6): «Ta droite, ô Éternel ! a signalé sa force ; Ta droite, ô Éternel ! a écrasé l’ennemi. »

Et notez ceci : la racine hébraïque qui désigne la main droite (ymn) est commune à diverses autres langues du Proche-Orient antique. Et pourtant, dans ces autres cultures, la main droite est liée exclusivement à la notion de tenir ou de saisir. Par contre, dans la littérature égyptienne, nous trouvons des descriptions de la main droite qui correspondent à celle du Cantique. Le motif sans doute le plus omniprésent dans l’art narratif égyptien est le pharaon levant la main droite pour faire éclater la tête des ennemis captifs :
 
On reprend son souffle, je décide de vous épargner de l'exhaustivité du passage
Nous voilà alors ici


À quel point ces parallèles sont-ils distinctifs ? Je suis pleinement conscient de ce que les ressemblances entre deux textes antiques n’impliquent pas automatiquement que l’un a été inspiré par l’autre et aussi que des termes et des images courants étaient également la propriété intellectuelle de plusieurs cultures en même temps. Certains des motifs identifiés ici, notamment la terreur et la crainte respectueuse de l’ennemi devant le roi, sont omniprésents dans l’ensemble des récits de batailles dans le Proche-Orient antique. D’autres éléments, tels que le roi construisant son palais ou y résidant et acquérant un règne éternel, sont des tropes typologiques que nous connaissons dans d’autres ouvrages antiques. D’autres encore, bien que propres à ces deux ouvrages, peuvent sans doute être considérés comme reflétant une situation semblable, ou des besoins de l’auteur, sans qu’il y ait nécessairement des liens entre eux. Ainsi, bien que peu ou pas de récits antiques de batailles parlent d’une armée en marche qui est soudainement attaquée par une force massive de chars et rompt les rangs à cause de cela, il se pourrait quand même que l’Exode et le poème de Qadesh emploient ce motif indépendamment.

Ce qui suggère vraiment une relation entre les deux textes, c’est la totalité des parallèles, à quoi vient s’ajouter le grand nombre de motifs très distinctifs qui apparaissent uniquement dans ces deux ouvrages. Aucun autre récit de bataille qui nous soit parvenu, que ce soit dans la Bible hébraïque ou dans des vestiges épigraphiques du Proche-Orient antique, ne nous donne ne serait-ce que la moitié des motifs narratifs communs exposés ici.

Pour approfondir la connexion, j’ajouterai une autre résonance encore entre le Cantique et des inscriptions plus générales du Nouvel Empire égyptien. Un motif littéraire courant de la période est l’affirmation que le pharaon fait en sorte que les troupes ennemies cessent leurs fanfaronnades. Ainsi, dans un passage typique, le pharaon Seti Ier « fait que les princes de Syrie cessent toute la vantardise de leur bouche ». Cette préoccupation de vouloir réduire au silence les vantardises de l’ennemi est typiquement égyptienne ; on ne la retrouve dans la littérature militaire d’aucune autre culture voisine. Il n’en est donc que plus remarquable que le Cantique ne dépeint pas les mouvements ou les actions des Égyptiens, mais leur vantardise (15:9): « L’ennemi disait : Je poursuivrai, j’atteindrai, Je partagerai le butin ; Ma vengeance sera assouvie, Je tirerai l’épée, ma main les détruira. » Là-dessus, sur un commandement de Dieu, la mer les recouvre, ce qui les fait effectivement taire.

Ainsi donc, à mon avis, les ressemblances entre ces deux textes sont tellement frappantes et si propres à eux seuls, qu’on peut parfaitement affirmer qu’il y a interdépendance littéraire. Ce qui nous amène à la question : si, pour les besoins de ma démonstration, nous partons du postulat que le récit de la mer dans l’Exode a été composé par quelqu’un qui connaissait l’existence du poème de Qadesh, quand ce poème aurait-il pu être introduit dans la culture israélite ? La question est importante en soi et aussi parce que la réponse pourrait aider, à son tour, à déterminer la date du texte de l’Exode.
 
Une possibilité pourrait être que le poème a atteint Israël à une période de relations amicales avec l’Égypte, peut-être sous le règne de Salomon au Xe siècle, ou, plus tard encore, d’Ézéchias au VIIIe. Toutefois, il y a quelque chose qui milite contre ceci, c’est que les copies les plus tardives du poème de Qadesh que nous ayons sont du XIIIe siècle et il n’en est plus fait explicitement mention, ni aucune tentative claire de l’imiter dans la littérature égyptienne postérieure. En outre, nous n’avons aucune preuve épigraphique qu’une inscription historique quelconque de l’ancienne Égypte soit jamais parvenue jusqu’en Israël ou dans le royaume de Juda, que ce soit en langue égyptienne ou en traduction. Et je ne parle même pas, pour commencer, du problème de savoir ce qui, dans une période d’entente, aurait motivé un scribe israélite à écrire un ouvrage explicitement anti-égyptien.

Pour déterminer une date de transmission plausible, nous devons nous laisser guider par les éléments épigraphiques dont nous disposons. Les égyptologues notent qu’en plus des copies de la version monumentale du poème de Qadesh, une copie sur papyrus a été trouvée dans un village d’ouvriers et d’artisans qui ont construit les grands monuments de Thèbes. On l’a vu précédemment, des récits visuels de la bataille ont également été créés. Cela a amené plusieurs spécialistes de l’Égypte antique à affirmer que le poème de Qadesh a été un « petit livre rouge » largement diffusé visant à provoquer l’adoration publique de la bravoure et de la grâce salvifique de Ramsès le Grand, et qu’il devait être connu d’un grand nombre de personnes, en particulier sous le règne de Ramsès lui-même, au-delà des murs du palais et du temple.
 
Que faut-il conclure de tout cela ? Qu’est-ce que cela prouve ?

Les preuves existent en géométrie et parfois en droit, mais rarement dans les domaines de l’archéologie et des études bibliques. Comme c’est si souvent le cas, la documentation qui est à notre disposition est très incomplète et les suppositions sur la transmission culturelle doivent rester au second plan. Nous faisons tout ce que nous pouvons avec le peu que nous avons en invoquant davantage la plausibilité que la preuve. Pour être clair à ce sujet, les parallèles que j’ai établis ici ne « prouvent » pas l’exactitude historique du récit de l’Exode, certainement pas dans son intégralité. Ils ne prouvent pas que le texte que nous avons a reçu sa forme définitive au XIIIe siècle avant notre ère. Et ils peuvent et pourront sans aucun doute être interprétés de différentes manières par des êtres rationnels, aussi bien laïques que professionnels,.

Certains pourraient conclure que le contenu du poème de Qadesh est parvenu en Israël dans des conditions qui nous sont cachées et, pour des raisons que nous ne pouvons pas connaître, s’est intégré au texte de l’Exode plusieurs siècles en aval. D’autres considéreront les parallèles comme une grande coïncidence. Mais ma conclusion à moi est autre : les éléments de preuve qui ont été présentés ici peuvent être raisonnablement considérés comme indiquant que le poème a été transmis au cours de la période de sa plus grande diffusion, qui est la seule période où les gens en Égypte semblent y avoir accordé beaucoup d’attention : à savoir, sous le règne de Ramsès II lui-même. À mon avis, l’évidence indique que le texte de l’Exode conserve le souvenir d’un moment où les tout premiers Israélites ont recherché des termes permettant de vanter les grandes vertus de Dieu et trouvé la matière première dans les termes et les tropes d’un texte égyptien bien connu d’eux. En s’appropriant et en « transvaluant » ce texte, ils avancent l’affirmation que le Dieu d’Israël avait surpassé de loin le plus grand exploit du plus grand des potentats terrestres.

Lorsqu’ils se rassemblent le soir de la Pâque pour fêter l’Exode et la libération de l’oppression égyptienne, les Juifs du monde entier peuvent exprimer les mots de la Haggadah : « Nous étions esclaves d’un pharaon en Égypte « avec confiance et intégrité, sans avoir recours à un énorme acte de foi et sans avoir besoin d’interpréter ces mots comme étant une simple métaphore. Ils sont épaulés par une interprétation plausible des faits.
 
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