"300" ou comment déformer l’Histoire
Je suis allé voir ce soir le film « 300 ». Dans un climat de tensions internationales avec l’Iran, il m’avait semblé intéressant d’aller voir un film décrivant la bataille de Salamaine entre Léonidas et Xerxès. Quelle déception !
300. On ne peut qu’admirer la signature de l’ambiance glauque du créateur de Sin City. Les effets visuels, le jeu des ombrages, cette quasi permanente ambiance morbide qui sous-tend le film.
Mais si l’on s’intéresse un instant aux faits historiques, à l’histoire vraie censée être contée par ce film, quelle pitoyable mise en scène macabre.
Le contexte. Vers 480 av J.-C., Xerxès, fils de l’empereur perse Darius Ier (qui règna sur vingt-trois nations, de l’Indus à l’Ukraine et de la Russie au Soudan, soit le plus grand empire connu), tente de reprendre les terres grecques gagnées puis perdues par son père et de les intégrer au système fédéral imaginé par ce même père. Zoroastrien convaincu (donc monothéïste ou presque), il a pour cela le soutien d’une vaste armée, dirigée par des officiers, organisée en bataillons structurés, en uniforme et disciplinés. Il possède également l’appui des "10 000 immortels" décrits ainsi par Hérodote (grec) : "Ces soldats, au nombre de dix mille étaient les meilleurs guerriers de l’empire. Chaque fois que l’un d’entre eux tombait au combat, un autre venait le remplacer, si bien qu’aux yeux de l’ennemi, il n’étaient jamais ni plus ni moins de dix mille".
De l’autre côté, les Spartiates, barbares aux coutumes guerrières et incestueuses, qui offraient à leurs dieux païens des sacrifices de vierges et d’enfants, redoutés et détestés des Athéniens plus civilisés.
Lorsque Xerxès entreprend de reprendre ces petites cités isolées et ennemies les unes des autres, il s’attend à une victoire facile. Mais la mauvaise saison, le trop grand nombre de vaisseaux perses, la situation du détroit de Salamine, l’épuisement des soldats, voient sa flotte battre en retraite le 20 septembre de l’an - 480.
Cette défaite est la première de l’Empire perse depuis Darius et, malgré la défaite de Léonidas, roi sparte, l’union des cités grecques voit le jour et gagne sa liberté définitive treize années plus tard. Il faut cependant souligner que deux autres guerres battaient leur plein dans le même temps, dont les enjeux pour les Perses étaient bien plus importants : le soulèvement de l’Inde à l’est et celui de l’Egypte, plus au sud.
Il est à noter qu’à cet époque, les Grecs sont loins de posséder le degré de civilisation atteint par les Perses, d’origine européenne. Que l’Empire perse est organisé autour d’une monarchie qui dirige des satrapes, à l’image des "landers" allemands actuels. Chaque satrape est, selon les souhaits du cylindre de Cyrus (fondateur de l’Empire), libre de sa langue, de sa religion, de ses coutumes.
Voilà pour l’Histoire.
Quant au film, il dépeint des Perses aux allures d’Africains percés dans le nez et les oreilles, cités comme "barbares" par les Spartiates (belle inversion !), moitié hommes moitié bêtes meuglantes ou rugissantes, ridiculement habillés d’étoffes arabes (rien à voir avec l’équipement des soldats perses dont les bas-reliefs de Persépolis donnent un aperçu), et se prosternant devant un homme-dieu, Xerxès (qui, je le rappelle, était en réalité adepte du prophète Zarathoustra), et qui me fit davantage penser à Agamemnon qu’à un dirigeant perse.
Enfin, le film décrit des Perses malpropres, méprisant les femmes (pourtant citoyennes et ayant droit au vote en Perse mais justes bonnes à élever les enfants dans la Grèce antique), face à des Spartiates beaux, ténébreux, modèles d’héroïsme herculéen...
On peut aimer les guerres médiques et apprécier leur aboutissement. Mais dénigrer ainsi tout un peuple, son passé, la réalité historique, c’est une faute irresponsable, qui de surcroît engendre racisme et haine interethnique. Ceux qui ont dépeint ce film comme une "oeuvre" devraient réellement réviser leur copie. Il tient, à mon avis, plus de la pub de "Banania" que d’un film intéressant.
J.T.
http://www.agoravox.fr/culture-loisirs/culture/article/300-ou-comment-deformer-l-histoire-21894
Je suis allé voir ce soir le film « 300 ». Dans un climat de tensions internationales avec l’Iran, il m’avait semblé intéressant d’aller voir un film décrivant la bataille de Salamaine entre Léonidas et Xerxès. Quelle déception !
300. On ne peut qu’admirer la signature de l’ambiance glauque du créateur de Sin City. Les effets visuels, le jeu des ombrages, cette quasi permanente ambiance morbide qui sous-tend le film.
Mais si l’on s’intéresse un instant aux faits historiques, à l’histoire vraie censée être contée par ce film, quelle pitoyable mise en scène macabre.
Le contexte. Vers 480 av J.-C., Xerxès, fils de l’empereur perse Darius Ier (qui règna sur vingt-trois nations, de l’Indus à l’Ukraine et de la Russie au Soudan, soit le plus grand empire connu), tente de reprendre les terres grecques gagnées puis perdues par son père et de les intégrer au système fédéral imaginé par ce même père. Zoroastrien convaincu (donc monothéïste ou presque), il a pour cela le soutien d’une vaste armée, dirigée par des officiers, organisée en bataillons structurés, en uniforme et disciplinés. Il possède également l’appui des "10 000 immortels" décrits ainsi par Hérodote (grec) : "Ces soldats, au nombre de dix mille étaient les meilleurs guerriers de l’empire. Chaque fois que l’un d’entre eux tombait au combat, un autre venait le remplacer, si bien qu’aux yeux de l’ennemi, il n’étaient jamais ni plus ni moins de dix mille".
De l’autre côté, les Spartiates, barbares aux coutumes guerrières et incestueuses, qui offraient à leurs dieux païens des sacrifices de vierges et d’enfants, redoutés et détestés des Athéniens plus civilisés.
Lorsque Xerxès entreprend de reprendre ces petites cités isolées et ennemies les unes des autres, il s’attend à une victoire facile. Mais la mauvaise saison, le trop grand nombre de vaisseaux perses, la situation du détroit de Salamine, l’épuisement des soldats, voient sa flotte battre en retraite le 20 septembre de l’an - 480.
Cette défaite est la première de l’Empire perse depuis Darius et, malgré la défaite de Léonidas, roi sparte, l’union des cités grecques voit le jour et gagne sa liberté définitive treize années plus tard. Il faut cependant souligner que deux autres guerres battaient leur plein dans le même temps, dont les enjeux pour les Perses étaient bien plus importants : le soulèvement de l’Inde à l’est et celui de l’Egypte, plus au sud.
Il est à noter qu’à cet époque, les Grecs sont loins de posséder le degré de civilisation atteint par les Perses, d’origine européenne. Que l’Empire perse est organisé autour d’une monarchie qui dirige des satrapes, à l’image des "landers" allemands actuels. Chaque satrape est, selon les souhaits du cylindre de Cyrus (fondateur de l’Empire), libre de sa langue, de sa religion, de ses coutumes.
Voilà pour l’Histoire.
Quant au film, il dépeint des Perses aux allures d’Africains percés dans le nez et les oreilles, cités comme "barbares" par les Spartiates (belle inversion !), moitié hommes moitié bêtes meuglantes ou rugissantes, ridiculement habillés d’étoffes arabes (rien à voir avec l’équipement des soldats perses dont les bas-reliefs de Persépolis donnent un aperçu), et se prosternant devant un homme-dieu, Xerxès (qui, je le rappelle, était en réalité adepte du prophète Zarathoustra), et qui me fit davantage penser à Agamemnon qu’à un dirigeant perse.
Enfin, le film décrit des Perses malpropres, méprisant les femmes (pourtant citoyennes et ayant droit au vote en Perse mais justes bonnes à élever les enfants dans la Grèce antique), face à des Spartiates beaux, ténébreux, modèles d’héroïsme herculéen...
On peut aimer les guerres médiques et apprécier leur aboutissement. Mais dénigrer ainsi tout un peuple, son passé, la réalité historique, c’est une faute irresponsable, qui de surcroît engendre racisme et haine interethnique. Ceux qui ont dépeint ce film comme une "oeuvre" devraient réellement réviser leur copie. Il tient, à mon avis, plus de la pub de "Banania" que d’un film intéressant.
J.T.
http://www.agoravox.fr/culture-loisirs/culture/article/300-ou-comment-deformer-l-histoire-21894