Suleiman mourad et paul cobb : regards « décroisés » d’historiens sur les croisades

Drianke

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Mizane Info publie la traduction d’un entretien de la revue History consacré à l’épisode des Croisades et sa perception dans le monde musulman et le monde occidental à travers un échange entre les historiens Suleiman Mourad et Paul Cobb. Suleiman Mourad est professeur de religion au Smith College et l’auteur de « The mosaic of islam ». Pau Cobb est professeur d’histoire islamique à l’université de Pennsylvanie.

History : De manière générale, en quoi la vision islamique des croisades diffère-t-elle de celle des sources chrétiennes d’Europe occidentale ?

Suleiman Mourad : Si nous écrivions l’histoire des Croisades en nous basant sur les récits islamiques, il s’agirait d’une toute autre histoire. Il y avait sans aucun doute des guerres et des effusions de sang, mais il y avait aussi de la coexistence, des compromis politiques, du commerce, des échanges scientifiques, de l’amour. Nous avons pour en témoigner de la poésie, des chroniques et des preuves de mariages mixtes.

Les sources musulmanes correspondent-elles aux sources occidentales en termes de chronologie et de géographie ?

Paul Cobb : Chronologiquement, les sources musulmanes diffèrent des sources chrétiennes parce qu’elles ne reconnaissent pas les croisades. Elles reconnaissent les événements que nous appelons les Croisades aujourd’hui simplement comme une nouvelle vague d’agression franque sur le monde musulman. Pour les musulmans, les Croisades n’ont pas commencé à Clermont avec le discours du pape Urbain en 1095 [les croisés de ralliement], comme le racontent la plupart des historiens, mais des décennies plus tôt. En 1060, non seulement les chrétiens grignotaient les frontières du monde islamique, mais ils gagnaient des territoires en Sicile et en Espagne. Et alors que la plupart des historiens occidentaux reconnaissent la chute d’Acre en 1291 comme la fin des principales croisades, les historiens musulmans ne voient la fin de la menace franque que vers le milieu du XVe siècle, lorsque les armées ottomanes conquirent Constantinople.
 

Drianke

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SM : Dire que les Croisades ont commencé à Clermont en 1095 et se sont terminées à Acre en 1291, c’est se faire des illusions. L’histoire n’est pas si nette. Ce qui est arrivé avant et après reflète beaucoup de continuité et pas de changement brutal.

Et géographiquement ?

PC : Les musulmans ont vu la menace franque comme méditerranéenne. Ce ne sont pas seulement les Francs qui envahirent Jérusalem et la conservèrent 87 ans, mais un assaut constant et durable sur les zones les plus exposées du monde méditerranéen – l’Espagne, la Sicile, l’Afrique du Nord et la Turquie actuelle durant plusieurs siècles.

Au début des croisades, quelles étaient les limites physiques du monde islamique ?

PC : Le monde islamique – c’est-à-dire les terres qui reconnaissaient les dirigeants musulmans et l’autorité de la loi islamique – était beaucoup plus grand que l’Occident chrétien latin. Il s’étendait de l’Espagne et du Portugal, à l’ouest, à l’Inde, à l’est. Et de l’Asie centrale au nord, au Soudan et la corne de l’Afrique au sud.

A cette époque, le noyau du monde islamique était divisé entre une dynastie chiite en Egypte et une dynastie sunnite en Syrie et en Irak. Mais il y avait finalement un mouvement vers l’unification, non ?

PC : Saladin, le plus célèbre des héros croisés contre l’islam, était un politicien très astucieux qui savait qu’il devait mettre de l’ordre dans sa propre maison avant de pouvoir traiter avec les Francs. Il a pris le contrôle de l’Egypte, puis s’est mis à reconquérir la Syrie et certaines parties de l’Irak. Il alla finalement reprendre Jérusalem des croisés et les repoussa vers une bande étroite le long de la Méditerranée.

La suite dans le lien http://www.mizane.info/suleiman-mourad-et-paul-cobb-regards-decroises-dhistoriens-sur-les-croisades/
 
C'est l'occasion de rappeler que les musulmans appelaient les croisés sous le terme de "Francs" (parce que les Francs étaient les plus nombreux, les plus puissants à l'époque etc.)

Une anecdote qui montre que les contacts ne furent pas que militaires, mais économiques, diplomatiques, culturels:

"Ibn Jubayr, de passage à Tyr dans les années 1183-1184, atteste de l’existence de plusieurs mosquées.

Quarante ans plus tôt, vers 1140-1143, comme en témoigne un passage très célèbre de son autobiographie, Usâma, quant à lui, avait pu, à Jérusalem, prier dans l’ancienne mosquée al-Aqsa convertie en église, grâce à l’intervention des Templiers contre un rustre franc qui voulait le détourner de la direction de la prière :

« Lors d’une visite à Jérusalem, j’entrai dans la mosquée al-Aqsa, sur le côté de laquelle il y avait un petit oratoire que les Francs avaient converti en église.
Quand j’allais à la Mosquée al-Aqsa, où se trouvaient mes amis les Templiers, ils laissaient libre pour moi ce petit oratoire, et j’y faisais mes prières.
J’étais entré là un jour, j’avais prononcé la formule « Dieu seul est grand ! » et je me tenais debout, tout à ma prière, lorsqu’un Franc se rua sur moi, me saisit et tourna ma tête vers l’Orient en disant : « C’est de cette façon-là que tu dois prier ! ».

Un groupe de Templiers intervint aussitôt. Ils se saisirent de lui et l’expulsèrent loin de moi ». La chose se réitère, et les Templiers s’excusent : « C’est, m’expliquèrent-ils, un étranger qui est arrivé ces jours-ci des pays francs, et il n’a jamais vu prier personne autrement que vers l’Orient"

https://halshs.archives-ouvertes.fr/halshs-00586881/document
 
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