Un texte de thomas hobbes sur le bien, le mal, la conscience et le tyrannicide

Ebion

Ça a l'air que je suis l'esclave da partida
VIB
Bonjour :timide:

J'ai trouvé un texte intéressant de Hobbes dont on pourrait discuter de façon productive. Il est tiré de son livre "Du Citoyen", chapitre XII :

"""
Mais, entre les opinions ou les maximes qui disposent à la sédition, l'une des principales est celle-ci, qu'il appartient à chaque particulier de juger de ce qui est bien, ou de ce qui est mal. J'avoue et je pense que je l'ai prouvé au premier chapitre, article IX, qu'en l'état de nature où chacun vit avec un droit égal et où l'on ne s'est point soumis par quelques pactes à la domination d'autrui, que cette proposition peut être reçue, mais en l'état politique elle est très fausse. Car j'ai fait voir au chapitre VI, art. IX, que les règles du bien et du mal, du juste et de l'injuste, de l'honnête et du déshonnête, étaient de la loi civile; et partant qu'il faut tenir pour bien ce que le législateur a ordonné et pour mal ce qu'il a défendu. Or toujours le législateur est celui qui a la souveraine puissance dans l'État, c'est-à-dire, le roi dans une monarchie. Ce que j'ai confirmé au chapitre xi, article VI, par les paroles de Salomon. Car, s'il fallait suivre comme bien et fuir comme mal ce qui semblerait tel aux particuliers, à quoi faire, dirait-il: tu donneras à ton serviteur un cœur intelligent, afin qu'il puisse juger ton peuple et discerner entre le bien et le mal? Puis donc que c'est aux rois à discerner entre le bien et le mal, ce sont des discours fort injustes, quoique fort ordinaires, Que le roi est celui qui fait mieux que les autres, qu'il ne faut point obéir au roi s'il ne commande des choses justes et semblables. Avant qu'il y eut des gouvernements dans le monde, il n'y avait ni juste, ni injuste, parce que la nature de ces choses est relative au commandement qui les précède, et que toute action est de soi-même indifférente. Sa justice ou son injustice viennent du droit de celui qui gouverne: de. sorte que les rois légitimes rendent une chose juste en la commandant, ou injuste, lorsqu'ils en font défense. Et les personnes privées, en voulant prendre connaissance du bien et du mal, affectent de devenir comme des rois, commettent un crime de lèse-majesté et tendent à la ruine de l'État. Le plus ancien des commandements de Dieu est celui que nous lisons au deuxième chapitre de la Genèse, vers. 15. Tu ne mangeras point de l'arbre de science de bien et de mal; et la plus ancienne des tentations du diable fut celle-ci, au chapitre suivant: vous serez comme des dieux, sachant le bien et le mal. Aussi le premier reproche que Dieu fait à l'homme est: qui t'a montré que tu étais nu, si ce n'est que tu as mangé de l'arbre duquel je t'avais défendu de manger? Comme s'il disait, d'où as-tu jugé que la nudité en laquelle il m'avait plu de te créer, est honteuse, si ce n'est que tu te veux arroger la connaissance de l'honnête et du déshonnête?

(à suivre)
 
Dernière édition:

Ebion

Ça a l'air que je suis l'esclave da partida
VIB
(suite)

"""
II. Un péché est ce que l'on fait contre sa conscience: car en le faisant on méprise la loi. Mais il faut user de distinction. Je suis coupable d'un péché, lorsqu'en le commettant j'ai cru que je deviendrais coupable; mais quand j'ai pensé qu'un autre en porterait la coulpe, j'ai pu le faire en certaine rencontre sans me rendre criminel. Car, si l'on me commande de faire une chose, dont celui qui la commande sera coupable, pourvu que j'obéisse à mon légitime Seigneur, je ne pèche point en la faisant. Ainsi, si je prends les armes par le commandement de l'État, quoique j'estime que la guerre est injuste, je ne pécherai point, mais je serais criminel si je refusais de les prendre, parce que je m'attribuerais la connaissance de ce qui est juste et de ce qui est injuste, que je dois laisser à l'État. Ceux qui ne prendront pas garde à cette distinction, tomberont dans la nécessité de pécher toutes fois et quantes qu'on leur commandera quelque chose d'illicite, ou qui leur paraîtra telle: car ils agiront contre leur conscience s'ils obéissent, ou contre le droit s'ils sont réfractaires. S'ils trahissent leur conscience, ils feront voir qu'ils ne craignent guère les peines de la vie à venir et s'ils se bandent contre le droit, ils renverseront en tant qu'en eux est la société humaine et la vie civile, qui est l'âme du siècle où nous sommes. Cette opinion donc, que les sujets pèchent, lorsqu'ils font les commandements de leur prince qui leur semblent injustes, est erronée et se doit mettre au nombre de celles qui choquent le respect et l'obéissance politique. Or, elle dépend de cette erreur originelle que j'ai combattue en l'article précédent, à cause que par le jugement que nous donnons sur le bien et le mal, nous faisons que notre obéissance et que notre désobéissance deviennent des péchés.


(à suivre)
 

Ebion

Ça a l'air que je suis l'esclave da partida
VIB
(suite et fin)

"""
III. La troisième maxime séditieuse est un rejeton de la même racine, qu'il est permis de tuer un tyran. Voire il se trouve aujourd'hui dans le monde quelques théologiens qui soutiennent, et c'était jadis l'opinion de tous les sophistes, de Platon, d'Aristote, de Cicéron, de Sénèque, de Plutarque et des autres fauteurs de l'anarchie grecque et romaine, que non seulement il est licite, mais que c'est une chose extrêmement louable. Or, par le nom de tyran, ils entendent, non seulement les rois, mais tous ceux qui gouvernent les affaires publiques en quelque sorte d'État que ce soit. Car, à Athènes, Pisistrate ne fut pas le seul qui eut en main la puissance souveraine, mais aussi les trente tyrans qui dominèrent tous ensemble après lui et à chacun desquels on donna cet éloge. Au reste, voici quel est mon raisonnement: celui que vous permettez de tuer comme un tyran, ou il avait droit de commander, ou il ne l'avait pas: s'il s'était assis sur le trône sans juste titre, c'était un usurpateur que vous avez eu raison de faire mourir, et vous ne devez pas nommer sa mort un tyrannicide, mais la défaite d'un ennemi. S'il avait droit de commander, et si l'empire lui appartenait, je vous ferai la demande que Dieu fit à Adam: qui vous a montré que c'était un tyran, n'est-ce point que vous avez mangé de l'arbre dont je vous avais défendu de manger? Car, pourquoi nommez-vous tyran celui que Dieu vous a donné pour roi, si ce n'est à cause que vous voulez vous arroger la connaissance du bien et du mal, quoique vous soyez une personne privée, à qui il n'appartient pas d'en juger? On peut aisément concevoir combien cette opinion est pernicieuse aux États, en ce que par elle, quelque roi que ce soit, bon ou mauvais, est exposé au jugement et à l'attentat du premier assassin qui ose le condamner.
"""
 
Haut