Quand la lune était notre professeur
### Extrait des carnets du Capitaine Sharm
## Halte, capitaine ! Stop les moteurs !
Virez de bord, vitesse réduite à vingt nœuds. On quitte les eaux troubles du présent. Qu’on remonte le temps, qu’on réveille les matelots de la mémoire. Il est l’heure de replonger dans cette mer d’innocence, celle où le vent sentait la craie, le rêve… et les pas des chats, la nuit.
## Halte, capitaine ! le temps de regarder en arrière !
Vers ce garçon qui vit encore quelque part en moi, quand la lune était notre premier professeur, et que sa lumière suffisait pour parler du sens de la vie. On a été injustes avec l’adolescence. On la décrit comme un chaos, une tempête, alors qu’en vérité, c’était la plus pure des saisons.
## L’âge des yeux clairs
Je voyais le monde avec une clarté étrange, et pensais sans peur. Le ciel semblait à portée de main, en l’absence de cet orgueil et de ces chaînes que les années finissent par forger. La confiance en son instinct suffisait, et les questions, même naïves, étaient des éclats de vérité. Oui, les expériences forgent l’homme, mais parfois tout ce dont on a besoin, c’est d’un cœur clair et d’un regard pur.
## Les prodiges précoces
Dans toutes les civilisations, on trouve des jeunes esprits lumineux. Des poètes, des penseurs, des stratèges à peine sortis de l’enfance.
La Boétie écrivit
De la servitude volontaire à 17 ans,
Evariste Galois posa les bases de
la Théorie de Galois avant 20 ans,
Et même Lamine Yamal, aujourd’hui, joue au football, comme s’il avait déjà vécu trente vies d’avance.
Ah… je m’égare.
## Halte, capitaine ! La malédiction du Nord arrive !
A 17 ans, j’avais moi aussi mes aventures. Connecté sur
mIRC depuis un vieux cybercafé, j’ai fait connaissance avec une Suédoise de 28 ans. En pleine "grandeur adolescente", je lui ai juré que j’en avais 35 ans. La pauvre m’a cru, et s’est mise à rêver de son chevalier marocain. Puis, pris de remords, j’ai fini par lui avouer la vérité… elle m’a bloqué aussitôt.
Depuis, je crois que la malédiction de cette Suédoise me poursuit, peut-être est-ce pour ça que je ne me suis jamais marié.
Ah… goûte moi cette soupe à la damnation du Nord, capitaine !
## Mais revenons à nos lunes... sous le lampadaire
Je me souviens de ces nuits passées avec mes amis, assis sous la lune ou près d’un vieux lampadaire au bout du quartier. On parlait d’étoiles, de galaxies, de vies possibles ailleurs, en rêvant de travailler un jour à la NASA. On riait de nos idées folles, mais dans ce rire, il y avait déjà quelque chose qui ressemblait à la sagesse.
## Halte, capitaine ! Souviens-tu de ces mains moites ?
Un jour, en classe, le prof demande : "Qui parmi vous rêve de devenir pilote de ligne ?"
Un camarade me dit en souriant : "Pas moi, j’ai les mains moites… je ne pourrais pas bien tenir le volant"
Et dans ma tête, j’ai pensé : "Tss.. Tu ne pourras pas, surtout parce que tu as 2 de moyenne en maths"
C’était aussi ça l’adolescence. De la naïveté sincère, un humour instinctif, à mi-chemin entre le fou rire et le sourire inavoué, par pudeur... Et cette impression que tout était encore possible... même avec 2 en math.
## Les rares qui gardent l’enfant
Un soir, j’ai dit à un ami : "Je veux une photo avec ce type, un être rare. Les autres, il y en a des milliers"
Aujourd’hui, je me dis qu’on voyait plus clair qu’on ne le croyait. Plus l’homme vieillit, plus il s’éloigne du garçon qu’il a été. Les conseils, les peurs, les regards s’accumulent sur lui comme des couches de peinture qui effacent le dessin d’origine.
Les visionnaires laissent vivre l’enfant en eux. Ils font pousser leur âge autour de lui, pas sur lui. Et même à quarante ans, ils savent encore rêver, croire, s’émerveiller.
Halte, capitaine... Tribord 180°
On rentre à la maison.
La lune nous attend.