Il y a trente ans, l’État palestinien naissait à Alger

La colère d’octobre 1988 grondait encore dans les entrailles de la ville lorsqu’Alger abrita, mi-novembre, une nouvelle réunion du Conseil national palestinien (CNP-Parlement de l’OLP).

C’est que, même dans la tourmente, Alger offrait encore aux Palestiniens un lieu de réflexion et de négociations à l’abri des pressions et des tentatives d’influence qu’ils subissaient en Orient, aussi bien de la part des pays dits « révolutionnaires » (Irak, Syrie) que de la part de ceux qui les poussaient à faire des concessions au nom du réalisme (Arabie saoudite et pays du Golfe).

Pour les dirigeants algériens de l’époque, issus pour la plupart de la guerre de libération, et qui transposaient mécaniquement la situation de l’Algérie de 1954-1962 à celle des Palestiniens, le succès de ces derniers dépendait de quelques règles de base : unité nationale, indépendance de la décision, lutte armée, entre autres.

Les dirigeants issus du Front de libération nationale (FLN) et de l’Armée de libération nationale (ALN) vouaient un véritable culte à ces principes, au point où le président Houari Boumédiène n’avait pas hésité à proposer à Yasser Arafat de faire éliminer Georges Habache, le leader du Front populaire de libération de la Palestine (FPLP) !

Yasser Arafat avait décliné, préférant préserver la diversité palestinienne, et Georges Habache n’en avait pas gardé rancune aux dirigeants algériens.

Cinq ans avant ce mois de novembre 1988, les Palestiniens avaient déjà tenu, en février 1983, une session de leur Parlement à Alger, au lendemain de leur expulsion du Liban.

Yasser Arafat et ses compagnons avaient alors besoin de faire le point sur leur situation, loin des pressions syriennes et de celles des pays du Golfe. C’est encore à Alger qu’ils reviendront pour un nouveau CNP en 1987, pour clore une guerre fratricide dévastatrice.

Mais en ce mois de novembre 1988, la donne a changé. En Algérie, le séisme d’octobre 1988, avec près de 200 morts, a terni l’image d’un pays jusque-là très respecté des Palestiniens. Le pays est en ébullition, avec une multitude de grèves et manifestations. L’Algérie vient aussi d’adopter, le 3 novembre, une nouvelle Constitution, et un nouveau Premier ministre, Kasdi Merbah, entre en fonctions.

Par ailleurs, les deux principaux interlocuteurs algériens de l’Organisation de libération de la Palestine (OLP), le patron du FLN Mohamed Chérif Messaadia, et le chef des services spéciaux Medjdoub Lakehal-Ayat, sont limogés, fin octobre 1988.

Côté palestinien, en revanche, l’évolution est plutôt positive. L’opinion européenne, jusque-là prisonnière de systèmes médiatiques et politiques verrouillés, a basculé en faveur des Palestiniens, particulièrement à la faveur de l’Intifada, cette révolte de jeunes Palestiniens défiant à coups de pierres l’armée israélienne.

L’idée d’un État palestinien a fait son chemin, y compris chez les Américains, mais surtout chez les Européens, qui envisagent ouvertement cette hypothèse comme inévitable dans le cadre d’une solution au Proche-Orient, alors que les Palestiniens ont été vus, pendant quatre décennies, comme de simples réfugiés qu’il fallait dédommager.

 

Une étape charnière​

Le roi Hussein de Jordanie avait accepté de se « désengager » de Cisjordanie occupée, ce qui signifiait qu’il laissait aux seuls Palestiniens la responsabilité de la reconquérir et de la gérer.

Le tout avait été initié par le roi Fahd d’Arabie saoudite qui avait énoncé, en 1982, les bases d’un accord considéré alors comme « raisonnable » : un État palestinien en Cisjordanie et Gaza contre un retour à la paix et la sécurité d’Israël.

Dans cette conjoncture, la proclamation d’un « État palestinien » apparaissait comme une étape charnière. Une ère prenait fin, et une autre commençait. Celle qui s’achevait, c’est celle de la lutte pour faire admettre l’idée de l’État palestinien, dans les Territoires occupés en 1967. Celle qui commençait devait amener à concrétiser cette idée.


Cela apparaissait clairement dans le texte de la proclamation d’indépendance, rédigé par le poète Mahmoud Darwish et lu par Yasser Arafat dans la salle de conférence du palais des nations, à l’ouest d’Alger.

Boualem Bessaïeh, ministre algériens des Affaires étrangères et poète à ses heures, admirait la beauté du document, qui revendiquait un État sur cette « terre des religions monothéistes » : dans l’euphorie comme dans le drame, les Palestiniens gardaient la vision multiconfessionnelle de leur société, qui s’estompera plus tard avec l’émergence des islamistes du Hamas et du djihad islamique.

L’ultime bataille​

Cinq ans après la proclamation de l’État palestinien, et à l’issue d’un complexe processus de négociations, Israéliens et Palestiniens parvenaient aux accords d’Oslo. Yasser Arafat et l’OLP y bénéficiaient d’une reconnaissance internationale éclatante, couronnée par un prix Nobel de la Paix, mais c’était, paradoxalement, le début du compte à rebours pour les Palestiniens.

Les grandes figures qui avaient accompagné Arafat n’étaient plus là. Abou Jihad avait été assassiné six mois plus tôt à Tunis par un commando israélien, Abou Iyad a été tué en 1991, et Farouk Kaddoumi, « ministre » des affaires étrangères de l’OLP, était passé à l’opposition, trouvant refuge à Damas. De la direction historique de l’OLP, n’ont survécu que des seconds couteaux, comme Mahmoud Abbas, qui font carrière dans l’ombre de Arafat.

Celui-ci avait fini par se convaincre d’une idée centrale : la solution de la question palestinienne est entre les mains des Américains. Il fallait coûte que coûte les séduire. C’est ce que lui reprochait notamment Nawef Hawatmeh, dirigeant du (Front Démocratique de Libération de la Palestine (FDLP), pour qui « L’OLP doit absolument garder une marge de manœuvre indépendante ».

Trop confiant, vivant au sein d’un groupe de dirigeants totalement miné, peu professionnel, Arafat s’installe symboliquement à Bethléem, ville de naissance du Christ, et commence, à la tête de l’autorité palestinienne, à se comporter comme un chef d’État.

Pour lui, les choses devaient cheminer naturellement vers le seul aboutissement envisagé, l’État palestinien. Des années plus tard, après l’échec de Camp David II, il se rend compte que tout ce qui a été obtenu est illusoire, face à un pouvoir israélien qui, non seulement refuse de faire aboutir le processus en cours depuis Oslo, mais s’est mis à travailler méthodiquement pour mettre en cause la viabilité de l’État palestinien envisagé.

Yasser Arafat se lance alors dans une ultime bataille. Isolé au siège de l’autorité palestinienne, il affronte, dans un face-à-face tragique, l’armée israélienne, sous les caméras du monde entier. Mais les jeux étaient faits. Le choc des images, avec ce vieil homme, usé, fatigué, malade, assiégé dans un bunker, encerclé par des snipers, faisant le V de la victoire, ne provoquera pas le sursaut attendu. L’État palestinien, proclamé, aura disparu avant d’être concrétisé.

- Abed Charefest un écrivain et chroniqueur algérien. Il a notamment dirigé l’hebdomadaire La Nation et écrit plusieurs essais, dont Algérie, le grand dérapage. Vous pouvez le suivre sur Twitter : @AbedCharef

Les opinions exprimées dans cet article n’engagent que leur auteur et ne reflètent pas nécessairement la politique éditoriale de
Middle East Eye.

Photo : le président de l’OLP Yasser Arafat et ses conseillers entrent dans la salle de conférence du Palais des nations, le 13 novembre 1988 près d’Alger, où le Conseil national palestinien décidera de reconnaître Israël et de créer un État palestinien dans les territoires occupés par Israël (AFP).

 
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