Les troubles alimentaires, grands oubliés des programmes de santé

Drianke

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Les troubles des conduites alimentaires, et en particulier l’anorexie et la boulimie, ne font pas l’objet d’un programme spécifique du ministère de la Santé tant la fréquence de ces maladies est faible, d’après la psychiatre et nutritionniste Nada Azzouzi.

C’est une découverte qui remet en perspective les connaissances jusque-là acquises sur les mécanismes de l’anorexie et son traitement. Dans une étude publiée lundi 15 juillet dans la revue scientifique britannique Nature Genetics, relayée par la chaîne de télévision américaine CNN, des scientifiques ont découvert que ce trouble alimentaire s’explique également par un dysfonctionnement du métabolisme, et pas seulement par des troubles psychiatriques.

Les chercheurs ont identifié huit marqueurs génétiques en corrélation avec la maladie, avec certains des mêmes facteurs génétiques qui influent sur le risque de troubles psychiatriques, tels que le trouble obsessionnel-compulsif (TOC), la dépression et l’anxiété, une intense activité physique ainsi que des caractéristiques métaboliques et anthropométriques, tels qu’un faible indice de masse corporelle (IMC). «Cela signifie que lorsque nous parlons d’anorexie mentale, nous devons penser qu’il ne s’agit pas seulement d’un trouble psychiatrique, mais aussi d’un trouble métabolique», a déclaré la principale auteure de l’étude, Cynthia Bulik, à CNN.

Les résultats obtenus par les chercheurs «incitent à une reconceptualisation de l’anorexie mentale en tant que trouble métabo-psychiatrique. L’élucidation de la composante métabolique est une orientation critique pour les recherches futures, et le fait d’accorder une attention particulière aux composantes à la fois psychiatriques et métaboliques peut être essentiel pour améliorer les résultats», lit-on dans l’étude.

Les étudiants en médecine très exposés aux troubles alimentaires

Reste qu’au Maroc, la prise en charge de l’anorexie, et des troubles des conduites alimentaires (TCA) en général, demeure encore très insuffisante, juge Nada Azzouzi, psychiatre, nutritionniste et psychothérapeute, principale coauteure d’une étude sur les TCA chez les étudiants en médecine marocains (juin 2015), contactée par notre rédaction. «Les troubles alimentaires, et en particulier l’anorexie et la boulimie, ne font pas l’objet d’un programme spécifique du ministère de la Santé tant la fréquence de la maladie est faible. Il faut dire également qu’on a encore une approche un peu basique en psychiatrie au Maroc. De plus, le très faible nombre de psychiatres dans notre pays n’aide pas : on doit être à 500, 600 à tout casser, pour une population de 33 millions d’habitants», souligne-t-elle. En réalité, entre 2012 et 2016, le nombre des psychiatres est passé de 61 à 290, avec un psychiatre pour environ 118 000 habitants. Difficile aussi de trouver des statistiques officielles et des études rondement menées sur les troubles alimentaires au Maroc, à l’exception d’un article scientifique sur «la prévalence des troubles de comportements alimentaires et les facteurs associés chez les adolescents scolarisés de la ville de Fès», paru en 2016 dans l’American Journal of Innovative Research and Applied Sciences.
 

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Les autres études qui ont été menées au Maroc sur cette thématique se concentrent sur les troubles alimentaires chez les étudiants en médecine. «Plusieurs études ont montré que ces étudiants n’ont pas un comportement alimentaire adapté. C’est une population particulière par rapport à d’autres étudiants, exposée à un stress très élevé. Il y a des particularités à explorer en termes d’anxiété et d’autres paramètres, et les troubles alimentaires en font partie», justifie Nada Azzouzi.

Pour un assouplissement des critères

Dans la famille des troubles alimentaires, il y a d’abord ce qu’on appelle les «troubles de conduite alimentaire caractérisés», classifiés par l’Organisation mondiale de la santé (OMS) et l’Association américaine de psychiatrie. «Ces classifications ont permis d’établir des critères très précis pour savoir à partir de quel moment on peut parler de troubles caractérisés, c’est-à-dire qui répondent à tous ces critères. Les plus courants sont notamment la boulimie, l’anorexie et l’hyperphagie. Mais dans la vie quotidienne, on rencontre beaucoup d’autres troubles qui ne correspondent pas forcément à ces critères : ce sont les troubles de conduite alimentaire non spécifiés», nous explique Nada Azzouzi.

Entrent dans cette catégorie des personnes – très souvent des femmes – qui, si elles ne tombent dans les travers morbides de l’anorexie, vont par exemple compter les calories de leur repas, culpabiliser lorsqu’elles estiment avoir trop mangé, avoir une perception déformée et erronée de leur corps et de leur poids, qu’elles jugent trop élevé alors que leur indice de masse corporelle (IMC) ne présente aucun signe d’inquiétude. «Ce sont des motifs de consultation plus fréquents que l’anorexie et la boulimie», observe la psychiatre. Et d’ajouter : «Si on ne se fiait qu’aux critères de l’anorexie stricts, de manière très rigoureuse, il y aurait très peu de diagnostics. Or si on assouplit les critères, si on ne se focalise pas sur le diagnostic de l’anorexie uniquement mais sur des sujets qui ont un problème avec l’alimentation, avec la perception de leur corps, vous trouverez beaucoup de jeunes filles qui viennent consulter dans le seul but de perdre du poids.»

«Les troubles des conduites alimentaires peuvent être sujets à controverse. Certains psychiatres considèrent qu’il s’agit en réalité de troubles de la perception corporelle.»
 

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Une minceur inspirée des canons de beauté occidentaux

Dans son mémoire sur les étudiants en médecine, la psychiatre et nutritionniste souligne que les TCA sont notamment reliés à des facteurs socioculturels : «Ainsi dans les années 1980, seules les femmes blanches issues des milieux aisés des sociétés occidentales étaient considérées comme étant concernées par les TCA. Ceci contrastait avec les populations non-occidentales, relativement protégées des TCA du fait de l’impact de la culture sur leur perception du corps et de la santé, comme c’est encore le cas au Maroc. Toutefois, influencés par des normes sociales et culturelles en mutation, les jeunes adultes et les adolescents semblent attribuer de plus en plus de l’importance à leur apparence physique et s’orienter plus vers des normes occidentales de minceur.»

Nada Azzouzi de développer : «Certains jeunes balaient totalement le modèle plus oriental qui fait le Maroc, très différent du modèle occidental. Il y a chez nous une partie de la population très sensible aux canons de beauté occidentaux, selon lesquels il faut être mince, et une autre pour qui, au contraire, la femme doit être ronde, voire obèse – je parle là en termes de critères médicaux. Ce modèle peut aussi faire émerger des troubles de l’image corporelle.»

La psychiatre tient toutefois à relativiser car, pour elle, ce n’est qu’à partir du moment où l’individu perd le contrôle de ses habitudes alimentaires qu’on peut parler de pathologie. «Les excès alimentaires dans lesquels ces femmes peuvent tomber n’entrent pas dans la catégorie des TCA tels que décrits par la psychiatrie car elles ne perdent pas le contrôle de leur alimentation ; elles sont plutôt soumises à la pression sociale. Même si elles peuvent adopter des conduites alimentaires dangereuses, que l’on peut certes qualifier de dérives, on ne peut pas pour autant parler de pathologie car ces dérives n’échappent pas à leur contrôle. On parle de pathologie quand il y a d’abord une souffrance, puis une perte totale de contrôle de la situation», explique-t-elle.

Nada Azzouzi souligne enfin les injonctions paradoxales d’une société où les incitations à manger cohabitent avec les diktats corporels. «On vit dans une société de consommation marquée par une abondance effroyable de publicités pour la nourriture, qui vous dit de manger et vous le dit en permanence. Même quand on parle minceur, on parle nourriture ! Parallèlement, on impose aux femmes des injonctions corporelles, liées à leur poids. On est dans une contradiction permanente. Or à la base, le corps n’est pas fait pour être exposé, mais pour être fonctionnel, utile. Et pourtant, les gens continuent de se focaliser sur la beauté de ce corps plutôt que sur son utilité», conclut-elle.

Yabi
 
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