Charlie Hebdo » : quand la DGSI réécrit l’histoire
LE MONDE | 03.04.2015 à 11h01 • Mis à jour le 03.04.2015 à 13h01 |Par Matthieu Su
La scène se déroule au lendemain de la tuerie de Charlie Hebdo. Il est 19 h 50, ce jeudi 8 janvier, lorsqu’un agent du renseignement territorial (ex-RG) téléphone à l’ancien syndicaliste policier, Jo Masanet. Il lui parle de la cellule de crise mise en place « avec Bernard Cazeneuve et tous les services de renseignement », place Beauvau. Puis l’agent marque une pause. Il hésite, cherche ses mots pour évoquer les frères Kouachi toujours recherchés : « Bon, par contre… Faut savoir que, heu… On avait les informations déjà sur les individus… On les avait suivis, on les avait sur notre base de données… » Ils les connaissaient mais ne les surveillaient pas.
« On avait constaté que la DGSI (la direction générale de la sécurité intérieure)était dépassée par les événements, d’accord ? Donc, on a un gros souci, là-dessus… » Cette conversation, écoutée par des enquêteurs en marge d’un dossier de trafic d’influence, illustre ce que beaucoup pensent sans oser le dire dans un cadre officiel. Et ce même au sein de la DGSI, traversée depuis par de légitimes questions sur ses choix stratégiques et ses méthodes de travail.
L’enquête du Monde révèle ces dysfonctionnements évoqués par l’interlocuteur de Masanet. Il ne s’agit pas d’assurer que les attentats qui ont fait 17 morts en janvier auraient pu être déjoués mais, au moment où le gouvernement présente un projet de loi attribuant des pleins pouvoirs techniques aux services de renseignement, de mesurer la nature exacte des erreurs commises. Et de remettre en doute la version officielle, servie au lendemain des attentats.
Lire aussi : Les attentats en France : la myopie des services de renseignement
Lorsque, le samedi 10 janvier, Le Monde publie un article décrivant « la myopie des services de renseignement », aveuglés par les départs de jeunes en Syrie et délaissant les vétérans du djihad, comme Chérif Kouachi, le ministère de l’intérieur organise dans l’après-midi « un débrief» avec des médias afin de désamorcer la polémique. A Beauvau, encadrés de collaborateurs du ministre, Patrick Calvar, le patron de la DGSI, et Lucile Rolland, la chef de la sous-direction « T » chargée de la lutte antiterroriste, détaillent sous le sceau du off à dix journalistes le dispositif qui visait les frères Kouachi.
Les jours suivants, les médias reprennent ces éléments de langage : Chérif Kouachi a été surveillé jusqu’à la fin de l’année 2013, son frère Saïd jusqu’à l’été 2014, mais rien ne laissait penser qu’ils préparaient un attentat et, de toute façon – affirment des articles, citant « Beauvau » ou « certains cadres du renseignement »–,les écoutes administratives avaient dû être interrompues à la demande de la Commission nationale de contrôle des interceptions de sécurité (CNCIS), l’autorité administrative indépendante chargée du contrôle de ces enquêtes.
LE MONDE | 03.04.2015 à 11h01 • Mis à jour le 03.04.2015 à 13h01 |Par Matthieu Su
La scène se déroule au lendemain de la tuerie de Charlie Hebdo. Il est 19 h 50, ce jeudi 8 janvier, lorsqu’un agent du renseignement territorial (ex-RG) téléphone à l’ancien syndicaliste policier, Jo Masanet. Il lui parle de la cellule de crise mise en place « avec Bernard Cazeneuve et tous les services de renseignement », place Beauvau. Puis l’agent marque une pause. Il hésite, cherche ses mots pour évoquer les frères Kouachi toujours recherchés : « Bon, par contre… Faut savoir que, heu… On avait les informations déjà sur les individus… On les avait suivis, on les avait sur notre base de données… » Ils les connaissaient mais ne les surveillaient pas.
« On avait constaté que la DGSI (la direction générale de la sécurité intérieure)était dépassée par les événements, d’accord ? Donc, on a un gros souci, là-dessus… » Cette conversation, écoutée par des enquêteurs en marge d’un dossier de trafic d’influence, illustre ce que beaucoup pensent sans oser le dire dans un cadre officiel. Et ce même au sein de la DGSI, traversée depuis par de légitimes questions sur ses choix stratégiques et ses méthodes de travail.
L’enquête du Monde révèle ces dysfonctionnements évoqués par l’interlocuteur de Masanet. Il ne s’agit pas d’assurer que les attentats qui ont fait 17 morts en janvier auraient pu être déjoués mais, au moment où le gouvernement présente un projet de loi attribuant des pleins pouvoirs techniques aux services de renseignement, de mesurer la nature exacte des erreurs commises. Et de remettre en doute la version officielle, servie au lendemain des attentats.
Lire aussi : Les attentats en France : la myopie des services de renseignement
Lorsque, le samedi 10 janvier, Le Monde publie un article décrivant « la myopie des services de renseignement », aveuglés par les départs de jeunes en Syrie et délaissant les vétérans du djihad, comme Chérif Kouachi, le ministère de l’intérieur organise dans l’après-midi « un débrief» avec des médias afin de désamorcer la polémique. A Beauvau, encadrés de collaborateurs du ministre, Patrick Calvar, le patron de la DGSI, et Lucile Rolland, la chef de la sous-direction « T » chargée de la lutte antiterroriste, détaillent sous le sceau du off à dix journalistes le dispositif qui visait les frères Kouachi.
Les jours suivants, les médias reprennent ces éléments de langage : Chérif Kouachi a été surveillé jusqu’à la fin de l’année 2013, son frère Saïd jusqu’à l’été 2014, mais rien ne laissait penser qu’ils préparaient un attentat et, de toute façon – affirment des articles, citant « Beauvau » ou « certains cadres du renseignement »–,les écoutes administratives avaient dû être interrompues à la demande de la Commission nationale de contrôle des interceptions de sécurité (CNCIS), l’autorité administrative indépendante chargée du contrôle de ces enquêtes.