Fadila Maaroufi, travailleuse sociale belgo-marocaine et fondatrice de l'Observatoire des fondamentalismes à Bruxelles, et Florence Bergeaud-Blackler, anthropologue française et chercheuse au CNRS qui en dirige le conseil scientifique, dénoncent l'absence de politique de lutte contre l'islamisme en Belgique. Selon elles, évoquer les problématiques liées au fondamentalisme islamique est devenu dangereux en Belgique, dans la complaisance des élites politiques et médiatiques.
Peut-on encore dénoncer l'islam radical en Belgique ? Pour Fadila Maaroufi, fondatrice belgo-marocaine de l'Observatoire des fondamentalismes, et Florence Bergeaud-Blackler, anthropologue française et présidente du conseil scientifique de l'organisation, les élites politico-médiatiques belges ont baissé les bras face à la diffusion du fondamentalisme islamique des Frères musulmans dans le pays. Dernier épisode en date : la nomination au poste de Commissaire de l'Institut pour l'égalité des femmes et des hommes de Ihsane Haouach, une figure du « féminisme islamique », soupçonnée de liens avec les Frères musulmans, qui a depuis démissionné. Marianne s'est entretenu avec les deux militantes.Marianne : Comment en êtes-vous venues à travailler sur l'islamisme à Bruxelles ?
Fadila Maaroufi : J'ai grandi dans une famille d’origine marocaine à Bruxelles, dans un quartier situé à côté de Molenbeek. Dans les années 1980, c'était encore assez cosmopolite. Puis, petit à petit, on a vu les populations belgo-belges s'en aller. J'ai été témoin de la montée de l'islamisme, mes sœurs sont voilées alors que mes parents portaient des pantalons pattes d’éléphants. Moi-même, j'ai subi des pressions y compris dans ma famille. Il était devenu inconcevable que je ne me voile pas. J'ai été travailleuse sociale et j'ai aussi constaté combien il était devenu difficile de parler, par exemple, des violences intrafamiliales dès lors qu'il s'agissait de communautés musulmanes. Cette montée de l'islamisme m'a beaucoup préoccupée. Je voyais mes amis garçons changer de regard et les femmes se couvrir de plus en plus. Plus tard, j'ai commencé des études d'anthropologie et j'ai écrit un mémoire sur l'endoctrinement des femmes à Bruxelles.
Florence Bergeaud-Blackler : J'ai commencé à travailler sur l'islam au début des années 1990. J'ai fait un mémoire de master sur le hijab, à une époque où c'était encore une question nouvelle, avant de travailler sur le marché du halal. C'est là que j'ai compris qu'il ne s'agissait pas que d'un comportement alimentaire, mais bien d'un espace normatif : la recherche du halal, c'est le renoncement à ce qui est haram. J'ai écrit un livre, Le marché halal, ou l'invention d'une tradition (Seuil, 2017), dans lequel j'ai exposé l'idée selon laquelle le halal est né d'une rencontre entre le néolibéralisme et le néofondamentalisme islamique, dans les années 1980.
Pourquoi avoir choisi de créer cet observatoire ?
Fadila Maaroufi : Autour de moi, j'ai vu que des femmes commençaient à adhérer au discours islamiste sur le voile, parfois même sans se rendre compte de l'idéologie qu'elles défendaient. L'influence des Frères musulmans à Molenbeek et plus généralement en Belgique avait commencé à fabriquer des islamistes. Quand j'ai essayé d'alerter les pouvoirs publics et les associations, je me suis retrouvée face à un mur. Les autres musulmanes comme moi me demandaient de ne pas ébruiter les problèmes de la communauté, la violence. En faisant des recherches, j'ai découvert le travail de Florence sur les normes islamiques. J'ai décidé de la contacter, car ce travail correspondait parfaitement à ce que j'avais vécu. Je lui ai dit que j'avais besoin de rencontrer des intellectuels qui travaillaient sur ces questions-là. Il y avait eu les attentats de Paris et les attentats de Bruxelles et pourtant, j'avais le sentiment qu'on ne prenait toujours pas la mesure du problème.
« Le problème qu’on a en Belgique, il n'y a personne pour défendre ces personnes vulnérables. »