FPP75
VIB
Ce que j'ai à dire sur les SDF ne se résume pas en une formule lapidaire. Sur ce sujet grave, notre société oscille entre indifférence et emballement, entre fausses évidences et vraies incompréhensions. Des idées simplistes s'entrechoquent avec une réalité complexe. On s'interdit de penser quand le problème n'est pas à la "une" des journaux, c'est-à-dire une grande partie de l'année. On est empêché de penser sous le coup de l'urgence et de l'émotion.
La question des SDF fonctionne sur le mode du "tragique de répétition", comme Molière faisait jouer le comique de répétition. Je me souviens du malaise lorsque, président d'Emmaüs France, j'étais sollicité chaque année par une grande chaîne de télévision qui préparait ses sujets "hiver SDF" dès le mois de septembre. Elle venait nous demander ce que nous avions de nouveau en magasin. Et du côté d'Emmaüs ? Des femmes seules ?... Non, on l'a déjà fait l'année dernière. Des immigrés ? Non, cela ne nous intéresse pas. Des travailleurs pauvres ?... on peut le faire à toute saison. Vous n'avez pas des cadres tombés à la rue, pour que nos téléspectateurs puissent s'identifier ?
Evoquer cette question, c'est donc partir d'un malaise.
Malaise quand, responsable associatif, on ressent que les associations sont dépassées par l'ampleur des problèmes mais malaise aussi, comme responsable public, quand on ne sait pas traduire en politique publique d'ensemble une urgence sociale, si récurrente.
Malaise quand, après avoir maraudé avec le SAMU social, on constate encore qu'on refuse un hébergement à des personnes à la rue qui veulent se mettre à l'abri, faute de disponibilité, mais qu'il est difficile de savoir avec certitude la part d'insuffisance de places et la part de manque de coordination entre les acteurs.
Malaise quand les premiers bâtiments qui ont été mobilisés pour des places de stabilisation sont d'anciens pavillons de psychiatrie désaffectés... Ceux qui pour une part sont à la rue, quand ils auraient nécessité une hospitalisation dans un service de santé mentale, se retrouvent des années plus tard dans les anciens hospices, avec les soins en moins...
Malaise quand il a fallu batailler pour éviter que les personnes en situation irrégulière se voient refuser l'accès à l'hébergement d'urgence, au moment où le débat faisait rage sur les tests ADN, avant d'obtenir une fragile reconnaissance de leur fonction d'abri inconditionnel.
Malaise quand on s'échine à parler des SDF comme si c'était une réalité homogène appelant une réponse unique. Malaise quand on a feint de croire que le droit au logement opposable aurait été LA solution au "sans-abrisme". Cela ne veut pas dire qu'il n'y a aucun lien entre la crise du logement et la situation des SDF, mais ce lien est plus complexe et plus indirect qu'on ne le dit.
Les principes d'une politique visant à réduire le nombre de sans-abri existent. Ils ont même fait l'objet d'un "consensus" des acteurs associatifs qui ont travaillé plusieurs mois pour définir des principes communs, seuls puis avec le député Etienne Pinte (UMP, Yvelines). On remarquera d'ailleurs que leurs prises de position sont plutôt modérées et responsables. Pourquoi serait-il si difficile de tracer une politique cohérente ?
La première explication est certainement que les responsables politiques sont eux-mêmes dubitatifs quant à l'efficacité de leur action devant l'ampleur du problème. Ils ont le sentiment d'avoir élaboré des plans chaque année, d'avoir rajouté des crédits, sans avoir vu la situation réellement s'améliorer. Des centres sont inaugurés, des places nouvelles sont créées et pour autant le besoin semble ne pas se tarir. S'ils avaient la certitude que des budgets supplémentaires mettraient fin aux problèmes, ils les proposeraient et ils les voteraient. Le côté "rocher de Sisyphe" mâtiné de "tonneau des Danaïdes" refroidit vite les ardeurs, quand elles existent.
La deuxième raison, c'est que la question des sans-abri ne dépend pas d'une seule politique publique. Bien prendre en compte la question des sans-abri, c'est faire intervenir plusieurs politiques sociales : celle du logement, bien sûr, mais aussi la politique de santé et notamment celle de la santé mentale, la politique de prévention des addictions et notamment de l'alcoolisme, la politique d'immigration et d'accueil des étrangers, la politique de l'aide sociale à l'enfance, la politique de réinsertion des détenus, pour n'en citer que quelques-unes. La présence des sans-abri ne signe pas l'insuffisance d'une politique sectorielle, mais elle est le miroir grossissant des insuffisances d'une dizaine de politiques sociales, à la confluence desquelles se trouve la question des SDF.
La troisième raison tient à l'obstacle que rencontre toute politique à l'égard des plus pauvres dans une société où un grand nombre de personnes a le sentiment de ne pas pouvoir s'en sortir. Les responsables politiques craignent que s'ils portent "trop" d'attention aux plus exclus, une grande partie de la population se sentirait délaissée.
Cela conduit à privilégier une vision parfois trop mécanique de la chaîne du logement. Si les locataires du parc privé deviennent propriétaires, ils libèrent une partie du parc locatif pour des habitants du parc social, dont les appartements peuvent être attribués à ceux qui proviennent du parc très social. Ainsi de suite vers les centres de réinsertion sociale, les centres d'hébergement d'urgence jusqu'aux personnes à la rue. Mais respecter cette séquence théorique, sans la bousculer, c'est admettre que la situation des plus fragiles ne s'améliorerait pas avant bien longtemps, là où la file d'attente pour du logement social se compte en années.
Tout cela n'est pas insurmontable et dix orientations peuvent servir de fil rouge, certaines d'entre elles étant déjà engagées. Je ne prétends pas les inventer, je m'efforce de les remettre en perspective.
La première orientation est de mieux prendre en compte les diversités de situation et de mieux les quantifier. Combien parmi les sans-abri seraient tirés d'affaire s'ils avaient un accès direct au logement ? Quelle est la proportion d'entre eux pour laquelle la souffrance psychique est le problème principal, qui l'emporte sur tout le reste ? Combien sont sans domicile fixe pour des raisons administratives, notamment parce qu'ils sont étrangers en situation irrégulière ? Combien sont concernés par un problème d'addiction, qui rend impossible leur autonomie ? Quelle est la proportion de ceux qui ont renoncé aux centres d'hébergement parce que ceux-là ne répondaient pas à leur besoin ?
La question des SDF fonctionne sur le mode du "tragique de répétition", comme Molière faisait jouer le comique de répétition. Je me souviens du malaise lorsque, président d'Emmaüs France, j'étais sollicité chaque année par une grande chaîne de télévision qui préparait ses sujets "hiver SDF" dès le mois de septembre. Elle venait nous demander ce que nous avions de nouveau en magasin. Et du côté d'Emmaüs ? Des femmes seules ?... Non, on l'a déjà fait l'année dernière. Des immigrés ? Non, cela ne nous intéresse pas. Des travailleurs pauvres ?... on peut le faire à toute saison. Vous n'avez pas des cadres tombés à la rue, pour que nos téléspectateurs puissent s'identifier ?
Evoquer cette question, c'est donc partir d'un malaise.
Malaise quand, responsable associatif, on ressent que les associations sont dépassées par l'ampleur des problèmes mais malaise aussi, comme responsable public, quand on ne sait pas traduire en politique publique d'ensemble une urgence sociale, si récurrente.
Malaise quand, après avoir maraudé avec le SAMU social, on constate encore qu'on refuse un hébergement à des personnes à la rue qui veulent se mettre à l'abri, faute de disponibilité, mais qu'il est difficile de savoir avec certitude la part d'insuffisance de places et la part de manque de coordination entre les acteurs.
Malaise quand les premiers bâtiments qui ont été mobilisés pour des places de stabilisation sont d'anciens pavillons de psychiatrie désaffectés... Ceux qui pour une part sont à la rue, quand ils auraient nécessité une hospitalisation dans un service de santé mentale, se retrouvent des années plus tard dans les anciens hospices, avec les soins en moins...
Malaise quand il a fallu batailler pour éviter que les personnes en situation irrégulière se voient refuser l'accès à l'hébergement d'urgence, au moment où le débat faisait rage sur les tests ADN, avant d'obtenir une fragile reconnaissance de leur fonction d'abri inconditionnel.
Malaise quand on s'échine à parler des SDF comme si c'était une réalité homogène appelant une réponse unique. Malaise quand on a feint de croire que le droit au logement opposable aurait été LA solution au "sans-abrisme". Cela ne veut pas dire qu'il n'y a aucun lien entre la crise du logement et la situation des SDF, mais ce lien est plus complexe et plus indirect qu'on ne le dit.
Les principes d'une politique visant à réduire le nombre de sans-abri existent. Ils ont même fait l'objet d'un "consensus" des acteurs associatifs qui ont travaillé plusieurs mois pour définir des principes communs, seuls puis avec le député Etienne Pinte (UMP, Yvelines). On remarquera d'ailleurs que leurs prises de position sont plutôt modérées et responsables. Pourquoi serait-il si difficile de tracer une politique cohérente ?
La première explication est certainement que les responsables politiques sont eux-mêmes dubitatifs quant à l'efficacité de leur action devant l'ampleur du problème. Ils ont le sentiment d'avoir élaboré des plans chaque année, d'avoir rajouté des crédits, sans avoir vu la situation réellement s'améliorer. Des centres sont inaugurés, des places nouvelles sont créées et pour autant le besoin semble ne pas se tarir. S'ils avaient la certitude que des budgets supplémentaires mettraient fin aux problèmes, ils les proposeraient et ils les voteraient. Le côté "rocher de Sisyphe" mâtiné de "tonneau des Danaïdes" refroidit vite les ardeurs, quand elles existent.
La deuxième raison, c'est que la question des sans-abri ne dépend pas d'une seule politique publique. Bien prendre en compte la question des sans-abri, c'est faire intervenir plusieurs politiques sociales : celle du logement, bien sûr, mais aussi la politique de santé et notamment celle de la santé mentale, la politique de prévention des addictions et notamment de l'alcoolisme, la politique d'immigration et d'accueil des étrangers, la politique de l'aide sociale à l'enfance, la politique de réinsertion des détenus, pour n'en citer que quelques-unes. La présence des sans-abri ne signe pas l'insuffisance d'une politique sectorielle, mais elle est le miroir grossissant des insuffisances d'une dizaine de politiques sociales, à la confluence desquelles se trouve la question des SDF.
La troisième raison tient à l'obstacle que rencontre toute politique à l'égard des plus pauvres dans une société où un grand nombre de personnes a le sentiment de ne pas pouvoir s'en sortir. Les responsables politiques craignent que s'ils portent "trop" d'attention aux plus exclus, une grande partie de la population se sentirait délaissée.
Cela conduit à privilégier une vision parfois trop mécanique de la chaîne du logement. Si les locataires du parc privé deviennent propriétaires, ils libèrent une partie du parc locatif pour des habitants du parc social, dont les appartements peuvent être attribués à ceux qui proviennent du parc très social. Ainsi de suite vers les centres de réinsertion sociale, les centres d'hébergement d'urgence jusqu'aux personnes à la rue. Mais respecter cette séquence théorique, sans la bousculer, c'est admettre que la situation des plus fragiles ne s'améliorerait pas avant bien longtemps, là où la file d'attente pour du logement social se compte en années.
Tout cela n'est pas insurmontable et dix orientations peuvent servir de fil rouge, certaines d'entre elles étant déjà engagées. Je ne prétends pas les inventer, je m'efforce de les remettre en perspective.
La première orientation est de mieux prendre en compte les diversités de situation et de mieux les quantifier. Combien parmi les sans-abri seraient tirés d'affaire s'ils avaient un accès direct au logement ? Quelle est la proportion d'entre eux pour laquelle la souffrance psychique est le problème principal, qui l'emporte sur tout le reste ? Combien sont sans domicile fixe pour des raisons administratives, notamment parce qu'ils sont étrangers en situation irrégulière ? Combien sont concernés par un problème d'addiction, qui rend impossible leur autonomie ? Quelle est la proportion de ceux qui ont renoncé aux centres d'hébergement parce que ceux-là ne répondaient pas à leur besoin ?