Confinement : il y aura des conséquences pour la santé mentale des Belges

Les Belges, tout comme beaucoup de leurs voisins européens, les Français depuis quatre jours, les Italiens du nord depuis un mois, les Espagnols et bientôt les Allemands, vivent une situation inédite. Ils sont confinés à la maison et doivent respecter les consignes de distanciation sociale. Leurs déplacements sont limités à l’essentiel et étroitement surveillés, ils ne peuvent pratiquement plus quitter le pays et pour combien de temps encore ? Officiellement jusqu’au 5 avril, mais chacun redoute que cela ne soit beaucoup plus long.

C’est un facteur de stress majeur qui touche toute la population. Pour le professeur Gwenolé Loas, chef du service de psychiatrie de l’hôpital Erasme, cela aura des conséquences pour la santé mentale des Belges, à moyen terme.

" Nous n’avons pas encore le recul, il n’y a pas encore d’étude clinique relative au confinement dû au Covid-19. Mais il y a eu des études sur les conséquences du SRAS, notamment en Asie. Les chercheurs ont observé l’apparition d’une morbidité psychiatrique, autrement dit des troubles psychiatriques, conséquents à l’isolement, comme des symptômes identiques à ceux du stress post-traumatique ".

L’incertitude est anxiogène

Une population non malade soumise à l’isolement, c’est une première. Ce qui est particulièrement anxiogène pour la population, c’est l’isolement et l’incertitude. Chacun sait qu’il y a un péril, mais nous n’avons pas de lisibilité sur ce qui va se passer. " L’incertitude est un facteur de stress très important. On ne sait pas combien de temps va durer le confinement, et on ne sait pas comment va évoluer cette épidémie. Le SRAS a disparu spontanément, mais qu’en sera-t-il du Covid-19 ? C’est un nouveau virus et on ne sait pas ce qui va se passer ".

Pour le professeur Loas, il est très probable qu’après la crise, on assiste à une augmentation de certains troubles mentaux. A côte du stress post-traumatique, il pourrait y avoir des syndromes anxio-dépressifs ou des addictions. Au niveau des familles, on a observé une hausse des divorces en Chine. Cela pourrait se produire en Belgique également.

Personnes anxieuses, problèmes financiers : risque plus élevé de troubles psychiatriques

Anne DeSmet, psychologue de la santé et professeure à l’ULB fait également références aux études réalisées durant l’épidémie de SRAS. " Cela a eu des conséquences sur la santé mentale. Des symptômes de stress post-traumatique ont été observés, surtout chez des personnes déjà atteintes de troubles mentaux ainsi que chez celles qui, du fait de l’épidémie, ont été confrontés à des problèmes financiers. Ainsi le commerçant contraint de fermer son affaire, ou le salarié qui perd son emploi seront plus sujets à des troubles psychiatriques ".

Troubles du sommeil, hypervigilance, dépression, troubles de l’alimentation, le cortège des symptômes liés à une maladie mentale vont probablement toucher ceux qui ont été le plus exposés aux conséquences du Covid-19.

Des informations claires et fiables pour réduire l’anxiété

Ce qui augmente l’anxiété des gens, c’est de ne pas savoir combien de temps va durer le confinement. Le gouvernement a donné une échéance, le 5 avril, mais on murmure déjà que cela pourrait être plus long. " Pour la population, l’annonce d’une prolongation des mesures d’isolement aura des conséquences plus négatives que si on avait d’emblée annoncé une durée plus longue – cinq semaines au lieu de trois par exemple, nous dit Anne DeSmet.

L’OMS a fait un tableau de l’impact psychologique du confinement Covid-19 sur la population. Très fréquents, les sentiments d’ennui, de frustration, de colère. L’organisation mondiale de la santé souligne aussi que le manque de contrôle de chacun sur cette situation inédite – on ne peut que suivre les recommandations – engendre énormément de stress, la peur d’être infecté aussi, surtout chez les femmes enceintes et les jeunes parents. L’organisation mondiale de la santé donne quelques conseils pour faire baisser la tension et notamment, ne pas surconsommer de l’information.

Donner suffisamment d’information et des informations claires, c’est très important, surtout pour les personnes angoissées. " Ces personnes hyperangoissées essayent de garder le contrôle, ajoute Anne DeSmet, par exemple en étant fixées, toute la journée sur les infos ou sur les réseaux sociaux. C’est déconseillé. Il faut limiter le temps passé sur les réseaux et regarder les informations une fois par jour à heure fixe. Sur une chaîne d’information fiable. Regarder moins, mais sur des médias de bonne qualité ".
 
Bien organiser son quotidien

Autre conseil, mettre en place une bonne routine pour son quotidien. Organiser sa journée comme si on allait travailler. Se lever tôt, si on souffre de claustrophobie, ouvrir une fenêtre, faire de l’exercice physique.

" L’isolement est vécu de manière très différente selon les personnes, nous confie Gérald Deschietere, responsable de l’unité psychiatrique des cliniques universitaires Saint-Luc. Celles qui aiment rester chez elles vont le vivre sereinement. Pour les autres, ce sera un peu plus compliqué. Les êtres humains sont des êtres sociaux. Nous avons besoin de contact pour retrouver l’estime de soi. En cela les échanges sociaux et amicaux, les loisirs sont très importants ".

Au Jour 3 du confinement, pas plus d’urgences psychiatriques

Aux cliniques universitaires Saint-Luc, le Covid-19 n’a pas encore d’impact sur les urgences psychiatriques. Les cliniques universitaires s'attendaient même à une diminution des demandes, mais ce n’est pas le cas. Gérald Deschietere : " Nous continuons à avoir des demandes de détresse psychique liées à des décompensations de maladies mentales, mais nous ne sommes pas en mesure de dire si c’est lié au confinement. Ce qui est un peu plus lourd, c’est que nous devons respecter les mesures de protection et d’hygiène renforcées et que le flux des patients Covid-19 crée une tension particulière ".

Plus compliqué en effet de dégager une chambre particulière pour une nuit. Elles sont réservées aux patients atteints du coronavirus.

Les inquiétudes des patients confiées à leur psy

Beaucoup de psychologues et de psychiatres consultent par téléphone ou par vidéo, afin de ne pas interrompre les thérapies. De manière générale, les patients sont inquiets. " Et si cela devait durer, que va-t-on devenir ? " est la question la plus fréquemment posée par les gens à leur psy. Qui tente de les rassurer. Gérald Deschietere : " Je leur conseille de continuer à avoir un rythme de vie élaboré. Ranger son chez-soi, laver, s’aérer, en respectant les consignes de sécurité, faire de l’activité physique, de la marche, prendre des nouvelles de ses proches par téléphone, ou de personnes moins proches, qu’on a peut-être un peu oublié ".

Préserver le lien social

Pour Olivier Klein, professeur de psychologie sociale à l’ULB, les quarantaines et le confinement vont avoir des effets très négatifs. " L’absence de lien social a un impact considérable sur la santé des gens, beaucoup plus que le tabac, l’alcool ou l’obésité. Cette modification de notre style de vie, cette distanciation sociale obligatoire – plus d’embrassades, plus de poignées de main, plus de contacts physiques hors cellule familiale, est très perturbante. Quel meilleur médicament que de se rapprocher des autres quand on est anxieux. Nous ne pouvons pas le faire en ce moment, si ce n’est par téléphone ou via les réseaux sociaux ".

Olivier Klein conseille de préserver à tout prix les liens sociaux. Nous sommes en train de nous rendre compte que le groupe a plus d’importance que l’individu en ces temps de confinement. " Il faut coopérer, être solidaires, s’entre aider. Le fait d’applaudir tous les soirs à 20 heures le personnel soignant est une très bonne initiative. Des organisations se mettent en place pour aider les personnes âgées à faire leurs courses par exemple. Tout cela est très bon pour le moral. Il est dangereux de se refermer sur sa bulle. Il y différentes façons de combattre l'ennui".

 
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