Divergence des avis juridiques : jusqu'où peut aller la tolérance ? Cas d'exemple ...

Bonjour,


C'est mon premier message sur bladi, et de mémoire, mon deuxième message sur un forum. Le premier devant remonter à très très longtemps. Je ne suis pas très connecté, et je m'excuse donc par avance si je ne suis pas suffisamment réactif à vos éventuels retours. Pardonnez moi également mon style que je sais parfois illisible.


Depuis quelques temps, je suis ce forum de loin et très sporadiquement. Beaucoup de personnes intéressantes, même si l'on peut parfois déplorer sur certains sujets l'impossibilité d'un débat apaisé et bienveillant, s'inscrivant dans une démarche de recherche de la vérité et non dans une logique de positionnement idéologique ou de querelle de clochers. J'espère que le présent post échappera à la fatalité des éventuels règlements de comptes, insultes et procès d'intentions.


Mon message s'adresse aux musulmans en général (les autres sont bienvenus aussi), mais plus particulièrement aux personnes se réclamant d'une vision classique d'un islam basée sur l'appartenance à une des quatre écoles sunnites. Dans cette vision, la divergence dans les avis juridiques est tout à fait normale, et est même vue comme un signe de richesse et de vitalité, une miséricorde. De manière générale, il convient, pour le musulman qui imite l'une des quatre écoles, de s'astreindre soigneusement aux enseignements de son école, tout en vouant du respect pour les enseignements des autres écoles. La question est : un musulman peut-il tolérer et doit-ils respecter n'importe quel avis juridique du moment qu'il est adopté par une masse significative de "savants" d'une des écoles juridiques reconnues.


Je prends un exemple pour illustrer mon propos, mais il y en a tellement d'autres.


Si on vous pose la question de savoir s'il est autorisé pour un homme d'épouser sa fille naturelle qu'il a eu en dehors du cadre du mariage ? Pour la plupart des musulmans de ce site et d'ailleurs j'en suis sûr, c'est un inceste et donc une abomination. La réponse sera automatiquement non. Beaucoup seront même choqués que l'on puisse ne serait-ce qu'imaginer ce cas de figure.


Le fait est que l'imam Shafei, fondateur de l'école shaféite, voit comme licite le mariage d'un homme avec sa propre fille née de la fornication. Cet avis a par la suite été adopté par l'école shaféite, et ce jusqu'à nos jours. Je renvoie dans ce cadre vers ces deux questions réponses malheureusement disponibles exclusivement en arabe :


<https://www.islamweb.net/ar/fatwa/46306/>

<https://www.islamweb.net/ar/fatwa/197247/>


En substance, dans la première fatwa, le docteur de loi expose les deux avis sur le sujet : celui qui l'interdit formellement - c'est l'avis des hanbalites, des hanafites et d'une grande partie des malikites-, et le deuxième avis des shafeites et de Ibn Mashijun le malikite qui le rendent licite. Il indique la raison de la divergence.


Dans le second lien, la personne qui pose la question explique qu'elle a eu une fille en dehors du cadre du mariage. Les années passèrent, et vint le jour où le père fit la connaissance de sa fille, deux décennies plus tard. il l'aima d'un amour "non paternel", précise-t-il. Prenant note de la position du fiqh shaféite, il l'épousa et le mariage fut consommé. Il se demande après coup s'il n'est pas dans l'erreur, et aussi s'il doit mettre son entourage au courant de ce mariage.


Le docteur de loi lui répond que si à la base, il n'est pas un imitateur de l'imam shafei mais d'une autre école juridique, alors son mariage est nul et non avenu, et qu'il doit arrêter tout de suite. Dans le cas contraire, s'il est shaféite, alors il n'y a pas de mal aucun à ce qu'il reste marié à sa propre fille.

To be continued ...
 
Plusieurs questions viennent à mon esprit en lisant cela :


- Peut-on tolérer l'intolérable sous couvert de respect des divergences entre "savants" ?


- Admettons que l'imam shaféi ait fait une erreur d'appréciation -le mot est trop faible, un doux euphémisme, mais passons -, comment comprendre que les générations de "savants" qui ont reçu et transmis le fiqh shaféite depuis des siècles et des siècles n'aient rien trouvé à redire à cela (je me trompe peut-être) ?


- La plupart des musulmans, surtout ceux dont la culture islamique tourne en priorité autour des 5 piliers, de la spiritualité ... ne soupçonnent même pas l'existence de ce genre de "littérature", alors qu'ils ont le droit à ce type de savoir autant qu'à tous les autres. Moi même je n'en ai pris connaissance qu'hier et fortuitement alors que je ne m'y attendais pas du tout, du fait d'une curiosité insatiable qui me pousse à aller au bout des choses. Pourquoi cette culture très présente sous diverses formes dans les livres de fiqh ne filtre pas jusqu'à la "masse" des musulmans alors qu'elle est assumée fièrement et de manière décomplexée par beaucoup de docteurs de la loi entre eux (et là on est bien loin du salafisme, qui soit dit en passant et c'est mon avis, a bon dos, et est un bouc émissaire facile et tout trouvé pour expédier toutes les questions qui dérangent .... mais la binarisation simpliste salafisme (=le mal) vs écoles classiques (=le bien) n'est pas le sujet ici) ? A quel niveau cette transmission du "savoir" bloque ? Y a-t-il dissimulation ? Voulue ou non préméditée ? Par honte ?


- J'ai donné un simple exemple à des fins d'illustration, mais des choses dans le genre pullulent dans le corpus de fiqh islamique, (et pas que sunnite d'ailleurs, toutes tendances confondues). N'y a-t-il pas intérêt pour les musulmans qui peuvent se sentir blessés et salis dans leur dignité par ce genre de propos, à mener un effort intellectuel pour laver et rétablir l'honneur de "la religion de Dieu", de manière au moins aussi prioritaire, mais l'un n'empêche pas l'autre bien entendu, que le militantisme politique, écologique et autres ... Pour un musulman qui se dit chérir l'islam, cette cause ne vaut-elle pas et ne passe-t-elle pas devant toutes les autres ? Mais pour cela encore faut-il que les musulmans, de plus en plus, en particulier ceux qui se disent imiter une école, et dans un souci de clarté, de cohérence et de transparence, aient le courage de s'intéresser à leur héritage en profondeur, et non pas se suffir à ce qu'on veut bien leur filtrer.


De grâce encore une fois, je prie tous les intervenants de tous bords à laisser ce post exempt d'insultes, de procès d'intentions, de détournements de sujet.


Bon mois de Ramadan à celles et ceux qui le jeûnent.
 
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