Rev Med Suisse 2014;10:834-835
Le virus Ebola est de retour en Afrique. A l’heure où sont écrites ces lignes, près d’une centaine de morts ont été recensés en Guinée où la capitale Conakry est touchée. Les premiers cas ont été officiellement diagnostiqués au Liberia. D’autres sont fortement suspectés en Sierra Leone. Des mises en quarantaine sont décrétées ici ou là et sur le terrain on recherche activement les personnes ayant été en contact avec les malades. Le Sénégal a fermé sa frontière terrestre avec la Guinée et y a suspendu la tenue des marchés hebdomadaires. Le Maroc renforce son dispositif de contrôle sanitaire aux frontières, en particulier à l’aéroport de Casablanca, principale plate-forme aéroportuaire pour l’Afrique du Nord et de l’Ouest. C’est une «mesure de précaution», a précisé le ministère marocain de la Santé. L’aéroport Mohammed-V de Casablanca dispose de liaisons quotidiennes avec Conakry.
La Communauté économique des Etats d’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) se dit fortement préoccupée par cette épidémie qui représente selon elle «une sérieuse menace régionale». Elle vient d’appeler la communauté internationale à l’aide. Pour sa part, l’ONG Médecins Sans Frontières (MSF) annonce qu’elle renforce ses équipes dans les zones infectées du sud de la Guinée. Elle explique tout mettre en œuvre pour agir efficacement en tentant de prévenir, localement, les mouvements de panique.
On sait beaucoup de choses sur Ebola. A commencer par la nécessité de limiter au maximum les contacts à risque entre les personnes infectées et leur famille tout en maintenant un minimum de liens familiaux. La prévention est ici un exercice difficile. Les mises en quarantaine strictes ne sont le plus souvent pas envisageables sur le sol africain, pour des raisons matérielles autant que culturelles.
«Nous mettons tout en œuvre pour traiter les patients avec dignité, tout en protégeant la communauté et la famille d’une éventuelle contamination» explique aujourd’hui Marie-Christine Ferir, coordonnatrice d’urgence de MSF. Les équipes de cette ONG sont à la recherche des personnes qui ont été en relation directe avec les malades et qui pourraient être à la fois contaminées et contagieuses. Des «promoteurs de la santé» sensibilisent également la population aux modes de propagation de la maladie et enseignent les mesures à prendre pour éviter la contamination. «Nous voulons à tout prix éviter que la population panique, confie Marie-Christine Ferir. C’est pourquoi il est essentiel de transmettre toutes les informations nécessaires pour comprendre la maladie et comment s’en protéger.»
La priorité est que l’épidémie ne s’étende progressivement au sein des pays aujourd’hui touchés et dans les zones frontalières. De manière assez étonnante, personne n’envisage aujourd’hui à l’OMS le fait que le virus Ebola puisse être, depuis Conakry par exemple, transporté en quelques heures et par voie aérienne en un autre point de la planète. Ce risque n’a pourtant rien d’invraisemblable comme on l’a vu en Allemagne en 1967, avec le virus de Marbourg.
Soucieux de couvrir l’événement sans disposer d’éléments nouveaux, la plupart des médias font du «copié-collé». Il redise que ce membre de la petite famille des «filovirus» est apparu pour la première fois à l’homme en 1976, à Yambuku (République démocratique du Congo), près de la rivière Ébola qui lui donna son nom. Que, depuis cette date, l’OMS a recensé une vingtaine de flambées épidémiques de fièvre hémorragique, dues à différents sous-types de cet agent pathogène. Que toutes ont été observées en Afrique centrale et en Afrique de l’Ouest. Qu’elles ont fait, à chaque fois, plusieurs dizaines ou centaines de victimes avec des taux de mortalité compris entre 50 et 90%. Et qu’il n’existe ni vaccin ni médicament permettant de prévenir ou de traiter cette maladie.
Ces mêmes médias disent le caractère particulièrement spectaculaire des symptômes : fièvre, vomissements, diarrhées, éruptions cutanées, hémorragies internes et externes. Et que si elles ne meurent pas, les victimes restent contagieuses tant que le virus est présent dans leur sang et leurs sécrétions. «Le virus Ebola a aussi été retrouvé dans le sperme d’un homme deux mois après l’apparition de la maladie contractée dans un laboratoire» peut-on lire sur le site de l’OMS.
En filigrane, la question n’est pas encore ouvertement posée : devons-nous, aujourd’hui en Europe, avoir peur d’Ebola ? Toutes ces flambées épidémiques ont été initialement observées dans des villages africains isolés, à proximité immédiate des forêts ombrophiles tropicales. On sait que le virus se transmet à l’homme à partir des animaux sauvages et se propage ensuite dans les populations par transmission interhumaine. On ne connaît toutefois pas avec certitude le réservoir animal, naturel du virus, les principales suspectes étant des chauves-souris frugivores.
Les différentes études menées sur ce thème ont démontré que le virus peut être transmis à la suite de contacts directs (peau lésée ou muqueuses) avec du sang, des sécrétions, des organes ou des liquides biologiques de personnes infectées. Mais il peut aussi s’agir de contacts indirects par l’intermédiaire d’environnements contaminés par ce type de liquides. «Les rites funéraires au cours desquels les parents et amis du défunt sont en contact direct avec la dépouille peuvent également jouer un rôle dans la transmission du virus Ebola» soulignent encore les experts de l’OMS.
usqu’à présent, l’histoire et l’expérience montrent, qu’à la différence notable du syndrome respiratoire aigu sévère (SRAS) et des grippes (autres maladies virales), il n’existe aucun cas connu de diffusion internationale massive des virus des fièvres hémorragiques. C’est précisément pourquoi aucune restriction des voyages en provenance de Guinée n’est actuellement officiellement envisagée par l’OMS. «La fièvre Ebola n’est pas une maladie qui, normalement, fait un nombre élevé de victimes, contrairement à la grippe ou d’autres maladies transmissibles» rappelle l’institution onusienne depuis son siège de Genève.
Pour l’essentiel, c’est bien l’absence de transmission immédiate par voie atmosphérique (par aérosol) qui fait que le virus Ebola n’inquiète pas outre mesure les autorités sanitaires internationales. Et c’est ce qui explique qu’aucune procédure particulière d’alerte aux frontières n’est prévue en cas de flambées épidémiques africaines. Le seul cas connu où un virus de fièvre hémorragique a créé un début de panique en Europe date de 1967. Des chercheurs de laboratoire se contaminèrent alors en Allemagne lors de la préparation d’un vaccin à partir de cultures de cellules rénales de singes verts (Cercopithecus aethiops). Ces singes, importés d’Ouganda, étaient porteurs d’un virus alors inconnu. Trente et un laborantins du laboratoire Behring de Marbourg furent atteints et sept en moururent. On donna ensuite au virus le nom de la ville où il fut pour la première fois identifié. Depuis 1967, il continue de sévir épisodiquement sur le sol africain.
Un demi-siècle plus tard, cet épisode allemand démontre que l’exportation du virus Ebola depuis le sol africain n’a rien d’impossible. La durée entre l’infection par le virus et l’apparition des premiers symptômes peut varier de deux à vingt et un jours, ce qui laisse amplement le temps de sa diffusion par le canal des transports aériens. De plus, son diagnostic se révélerait difficile, les symptômes initiaux pouvant être aisément confondus avec ceux de nombreuses maladies tropicales (paludisme, fièvre typhoïde, choléra, leptospirose, etc.). De plus, la confirmation diagnostique réclame des tests que ne peuvent réaliser que des laboratoires très spécialisés de virologie dans des conditions extrêmes de confinement.
Pour l’heure, la plupart des entreprises privées, spécialisées dans le rapatriement sanitaire refusent de prendre en charge des personnes suspectes d’être infectées par le virus Ebola. C’est un très bon symptôme : celui que les risques ne peuvent ici être assumés que par les services publics. Face au discours lénifiant de l’OMS, le citoyen peut (raisonnablement et sans catastrophisme) se demander si, en Europe, ils y sont prêts.