La méthode socratique

La force de Socrate fut d’enseigner et de pratiquer un art de vivre appelé philosophie. Il fut à l’origine de l’art du dialogue intérieur et d’une méthode pour le pratiquer, la dialectique.

La dialectique est basée sur le développement simultané de l’investigation et de la pratique, à la recherche de la sagesse. Elle implique d’accepter un dialogue en profondeur avec soi-même et de parvenir à une harmonie entre ses pensées et ses actions. Le mot «méthode», issu du grec, signifie littéralement démarche et implique l’idée d’un chemin à trouver. Il s’agit d’un processus consistant en un itinéraire, un voyage qui, sous les auspices et l’inspiration d’Hermès, dieu des carrefours, du commerce et des voies de la connaissance, conduit à trouver une réponse adéquate. Chacune des crises de Socrate a opéré comme une messagère du dieu de la connaissance, en le remettant dans le bon chemin. Mais quel chemin cherchait-il ? Le chemin conduisant à lui-même.

Désintéressée et dénuée d’égoïsme, la méthode de Socrate vise à aider chacun à trouver sa propre voie et loi d’action. Conscient d’être imparfait, Socrate cherche sans cesse à se perfectionner. Il ne se hisse pas sur le piédestal de celui qui sait, il défie quotidiennement sa propre ignorance pour pouvoir avancer. Ce faisant, il assume la contradiction apparente qui consiste à mettre en pratique un savoir ou une technique qu’il ne domine pas encore entièrement. Son attitude de vie relève d’une philosophie du risque assumé. Il ne tombe pas dans le piège psychologique d’agir seulement lorsqu’il croit tout savoir et que le risque est nul, ce qui empêche précisément nombre de personnes, paralysées par le syndrome de la perfection, de passer à l’action. Sans confrontation, nul ne peut apprendre ni se perfectionner en quoi que ce soit. Socrate comprend qu’on ne peut jamais être totalement préparé à l’action dans la théorie et que, dans la réalité, ce qui permet d’être prêt est la décision d’agir tout en étant conscient de sa propre imperfection, en apprenant de ce qu’on expérimente, qu’on gagne ou qu’on perde. Le succès selon Socrate réside dans le fait d’avoir le courage et l’intelligence de se confronter à ses peurs et à ses doutes, en les dépassant.
 
L'art du dialogue

La sagesse socratique consiste à savoir faire le bien. Mais ce n’est pas si simple, car il n’est pas facile de savoir ce qui est bon ou mauvais pour soi ou pour les autres. Comment concilier ce qui est bon pour l’un et ce qui l’est pour tous ? Comment agir de façon à ne pas faire le mal, alors qu’on cherche à faire le bien ?

Socrate nous invite à unir la connaissance à l’amour pour entrer en dialogue avec les gens. Etymologiquement, dialogue signifie échange de paroles ou de discours (logoi), à travers (dia) l’espace intellectuel et physique qui sépare deux personnes. Le dialogue n’existe pas si l’on n’est pas au moins deux, et il s’établit dans l’espace «entre» les choses. C’est un art de mettre en relation.

Selon Socrate, le maître n’en sait pas forcément plus que le disciple mais il pratique l’investigation comme lui et avec lui.

La véritable relation entre le maître et le disciple consiste en un effort commun de recherche de la vérité. Le maître a une expérience et une maîtrise technique plus poussée de l’investigation, dans l’art de se poser des questions. Ce n’est pas le fait de savoir plus qui fait de quelqu’un un maître mais la capacité d’accompagner quelqu’un d’autre dans sa quête de la vérité et de le mettre face à lui-même.

Le dialogue n’est pas une technique, liée aux circonstances et procédant par enquêtes et exposés. C’est l’expression essentielle de l’effort mis en commun pour dévoiler une vérité intérieure partagée. Le maître n’est pas celui qui transmet un type de connaissance à un élève plus ou moins réceptif ; il n’enseigne pas au moyen de monologues. La relation établie par le dialogue est celle de deux individus qui communiquent entre eux à travers deux consciences pratiquant l’investigation et entrant en relation pour parvenir à atteindre une vérité commune.

Pierre Hadot (1) rappelle que le questionnement de l’individu à travers le dialogue le conduit à décider s’il prendra en vérité la résolution de vivre selon la conscience et la raison. L’individu est remis en cause dans les fondements mêmes de sa propre action. Il prend conscience de l’interrogation vivante qu’il constitue pour lui-même. Socrate l’incite «à se préoccuper moins de ce qu’il a que de ce qu’il est» et à se rappeler que «la précipitation est le signe de ceux qui veulent échapper à eux-mêmes.» (2)
 
Accepter le dialogue, c’est assumer la possibilité de se diriger vers un destin commun à travers des chemins différents. Il s’agit de partager une présence invisible à travers une relation visible entre deux personnes, parce que la vérité surgit «entre» ceux qui sont en train de dialoguer.

Lorsque cette relation s’établit, il se passe quelque chose que la parole écrite ne peut exprimer. Indépendamment et au-delà des mots exprimés dans un échange impliquant aussi bien les sentiments que les gestes, les liens tissés par le dialogue permettent, à l’intérieur et du cœur même de l’espace créé par la relation, la manifestation d’une vérité transcendante, idée, connaissance ou sentiment partagés. Un bien immatériel est rendu sensible et dès que cesse l’échange, il retourne dans l’invisible. Quand le dialogue devient intérieur, la magie persiste et le contact est maintenu. Le lien à soi-même établi, on ne se quitte plus. On atteint alors le stade dont parlent toutes les traditions qui est d’apprendre du silence, de l’essence au-delà des apparences.

Le fait de partager cette vérité la rend vivante et régénère ceux qui la partagent. «La tâche du dialogue consiste (paradoxalement) essentiellement à montrer les limites du langage, l’impossibilité pour le langage de communiquer l’expérience morale et existentielle... la philosophie socratique est... éveil de conscience, accession à un niveau d’être qui ne peuvent se réaliser que dans une relation de personne à personne.» (3)
 
La dialectique, un cheminement de l'âme

La méthode inventée par Socrate est la dialectique : l’art de faire dialoguer deux discours apparemment contradictoires pour accéder à une vérité supérieure. Grâce à un jeu progressif de questions, Socrate fait tomber les fausses connaissances de l’interlocuteur. Véritable instrument de mise à l’épreuve et de critique, la dialectique ne se contente pas du vraisemblable, du probable mais dénonce l’apparence et tout simulacre de vérité.

La dialectique possède aussi une application positive à travers la progression dans l’effort et la pratique de la rigueur : elle évite des conclusions précipitées ou dues au hasard. Elle élève les interlocuteurs du dialogue à l’intuition de l’essence, dissipant toute fausse querelle.

C’est une méthode de pensée qui soumet le discours à l’épreuve des principes de la logique. Elle oblige le philosophe à prouver la cohérence interne de son discours comme sa compatibilité avec la réalité. Socrate ne se contente pas de savoir, il veut comprendre et s’interroge sur les sciences qu’il étudie. À travers cette attitude, les véritables philosophies accèdent à une dimension plus vaste que ne le font les sciences spécialisées. L’ascension ultime que réclame la dialectique ne cherche pas une intuition intellectuelle du vrai mais une vision d’ensemble de la réalité (en grec, synoptica) pour pouvoir mettre sa science au service de l’homme.

La pensée ou dialogue avec soi-même naît de la prise de conscience des incohérences logiques d’un discours. Le savoir véritable ne consiste pas, selon Socrate, à posséder la vérité mais à savoir construire méthodiquement, à travers des processus logiques d’unification, l’ascension dialectique vers le simple - ou analyse-synthèse pour trouver une vérité - et l’appliquer ensuite dans une descente dialectique vers le multiple.

La dialectique permet de se libérer de l’apparence sensible et de trouver les causes ou essences. Elle libère l’âme de la prétention qu’ont les sensations d’être l’origine ou la cause de la vérité. Elle lui permet aussi, une fois trouvée la clarté, de descendre, libérée de toute influence de l’environnement et des apparences, pour agir dans la réalité. La dialectique propose un double chemin, aller-retour qui permet, par le chemin ascendant, de parvenir à la définition et de savoir ce dont on parle et, par le chemin descendant, à sa vérification-démonstration.
 
La maïeutique ou accouchement de soi

Le mot maïeutique dérive du grec maieutikè, l’art de faire accoucher, mot qui vient lui-même de maia, la sage-femme. En analogie avec le travail de sa mère, Socrate se faisait appeler «l’accoucheur d’Athènes», qui faisait naître à la lumière de l’esprit des centaines de citoyens athéniens. À travers ses interrogatoires, Socrate essaie d’extraire des âmes de ses interlocuteurs et de révéler ce qu’ils savent sans le savoir, comme cela arriva au célèbre Ménon qui, le bec cloué par les questions de Socrate, découvrit progressivement sa connaissance inconsciente du théorème de Pythagore. Découvrir ce qu’on sait, savoir qui on est, connaître sa valeur intrinsèque, son Être, telle est la finalité de la maïeutique.

On ne peut donner le jour à ce qu’on ne possède pas ou à ce qu’on n’est pas. Socrate ne peut apporter qu’une aide, comme une sage-femme à une parturiente. La lumière qui naît, la sagesse qui se révèle ne sont pas celles de Socrate mais celles de celui qui se donne le jour. On ne peut donner à l’autre ce qu’il ne possède pas. On peut néanmoins l’aider à exprimer ce qu’il est.

À travers la dialectique, nous accédons à une connaissance que nous possédons, selon Socrate, depuis l’origine du monde mais que nous avons oubliée à cause de l’impact de l’incarnation de l’âme dans la matière. Tout véritable savoir pour Socrate est une réminiscence, un rappel de l’âme qui se souvient. C’est la purification et le besoin de retourner à la lumière qui confère à l’âme la capacité d’utiliser à nouveau la pensée pure, de se rappeler et d’exprimer l’Être.

La maïeutique est la science de soi ; elle fait de la connaissance la force qui dirige l’activité spirituelle et concrète. La sagesse socratique consiste à se vaincre soi-même, l’ignorance à être vaincu par soi-même. Cette sagesse se met en pratique à travers la vertu qui conduit à la véritable félicité ou eudaimonia, laquelle consiste à faire le bien sans chercher de récompense.

Socrate nous apprend par son exemple qu’un homme en paix avec sa conscience est un sage. Le sage pourra affronter avec calme, à chaque instant, le mystère de la mort et en même temps vivre pleinement.
 

Ebion

Ça a l'air que je suis l'esclave da partida
VIB
Il n'y a que des mecs dans les dialogues avec Socrate, et chez Platon, et dans les Mémorables de Xénophon... à croire que celui qui voulait tout questionner s'accommodait bien de la tyrannie la plus vieille du monde : celle des mecs!
 
Il n'y a que des mecs dans les dialogues avec Socrate, et chez Platon, et dans les Mémorables de Xénophon... à croire que celui qui voulait tout questionner s'accommodait bien de la tyrannie la plus vieille du monde : celle des mecs!
Mais non, c'est parce que les femmes sont sages par nature, elles n'ont donc pas besoin d'accoucher de la vérité, elles sont la vérité même :ange:
 

Ebion

Ça a l'air que je suis l'esclave da partida
VIB
Mais je respecte quand même Socrate, car il est un des fondements de la civilisation occidentale, l'autre fondement étant Jésus.

Sans Socrate, la philosophie se serait peut-être abîmée dans la rhétorique sophistique. La distinction de Socrate entre opinion et savoir et entre apparence et réalité est devenue essentielle.
 

Espiegle69

Evil Halouf
Par contre son modèle de société est un système de caste rigide avec en haut de la pyramide les rois philosophes.

Socrate (du moins comme raconté par Platon) était contre la démocratie car le peuple est perçu comme irrationnel et guidé par ses émotions.
 
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