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Le professeur de neuropsychologie Hervé Platel décrypte les liens entre musique, cerveau et imagination.
Propos recueillis par Eléa Pommiers Publié aujourd’hui à 10h46, mis à jour à 13h07
Comment les musiciens imaginent-ils la musique ? L’imagination permet-elle d’être créatif ? Ecouter de la musique stimule-t-il l’imagination ? Hervé Platel, professeur de neuropsychologie à l’université de Caen et spécialiste de la perception de la musique et de la mémoire humaine, décrypte les liens entre musique, cerveau et imagination.
Diriez-vous que l’imagination est indispensable au travail du musicien ?
Elle joue un rôle fondamental pour eux, ne serait-ce que parce qu’elle est indissociable de la mémorisation. Lorsqu’on interroge les musiciens sur la manière dont ils se représentent la musique, certains disent qu’ils imaginent la partition qu’ils lisent dans leur tête – mais c’est impossible pour les autodidactes qui n’ont pas appris le solfège. D’autres se la représentent de manière auditive et disent entendre mentalement les notes. D’autres encore s’imaginent jouer de leur instrument et s’entraînent ainsi mentalement en faisant appel à la mémoire du corps et à une imagination motrice. Souvent, ils associent ces stratégies.
D’un point de vue neurocognitif, l’imagination peut être définie par la capacité du cerveau à simuler en images, en sons ou encore en odeurs, une expérience, vécue ou non, connue ou non. La question de l’imagination musicale reste un mystère, dans la mesure où très peu d’études ont été consacrées à la manière dont les musiciens se représentent la musique.
Quand nous parlons d’« imagination auditive », le cerveau entend-il vraiment les notes imaginées ?
Lorsqu’on demande à un musicien de jouer, puis d’imaginer seulement la musique qu’il doit jouer, la neuroimagerie nous montre que les régions de son cerveau qui s’activent sont les mêmes. Le cerveau utilise donc les mêmes ressources pour réaliser les deux tâches différentes que sont l’action et l’imagination de l’action.
L’imagination consiste en fait à demander au cerveau de se mettre dans le même état que s’il entendait le son de manière externe. Les régions de l’analyse perceptive auditive sont donc impliquées même pour un son imaginaire, même si elles le sont sûrement moins fortement qu’en cas de stimulus externe. D’autres zones, comme les régions préfrontales, nous permettent en parallèle d’attribuer cette information sensorielle à un état interne.
Mais l’imagination ne consiste pas qu’à recréer des états connus, elle permet aussi d’en créer de nouveaux…
Bien sûr, le cerveau est plus sophistiqué que cela et l’imagination permet d’aller au-delà de l’expérience personnelle. Vous connaissez sans doute très bien la mélodie de Petit Papa Noël, mais vous ne l’avez sûrement jamais entendue jouée au trombone. Si vous connaissez le son du trombone, votre cerveau peut cependant imaginer cette musique jouée au trombone, ou chantée par la voix de Jacques Brel. Grâce à différentes sources d’expériences sensorielles, nous sommes capables d’alimenter notre imagination, de la développer.
L’imagination est alors synonyme de créativité. Cela signifie-t-il que l’on peut travailler notre créativité, qu’elle s’acquiert ?
Il est certain que la créativité ne sort pas de nulle part ! On oppose souvent, notamment en musique, une créativité pulsionnelle, instinctive, qui serait naturelle, à une créativité plus rationalisée, cérébrale, éduquée. Les musiciens ont tendance à surestimer la première, avec l’idée que moins on en sait, mieux c’est. Comme si la connaissance risquait de mettre des œillères et d’enfermer la créativité des artistes dans un cadre, à la manière d’un adulte qui s’autoriserait moins à imaginer des choses fantaisistes qu’un enfant.
Ce n’est pas impossible, mais la créativité est la capacité du cerveau à faire des associations mentales originales et cohérentes. Or, une éducation musicale, associée à l’intelligence, facilite ces associations puisqu’elle enrichit votre cerveau d’expériences, notamment esthétiques pour les artistes, et d’idées que vous pouvez ensuite lier.
Certains artistes de musique contemporaine se disent ainsi qu’ils se contraindront moins dans leurs créations s’ils ne savent rien sur l’harmonie musicale, jusqu’au jour où ils se mettent à l’étudier et se rendent compte qu’elle leur ouvre des horizons au lieu de leur en fermer. Des études montrent d’ailleurs clairement que, jusqu’à un certain point – bac + 5 en l’occurrence –, le niveau d’études augmente la créativité.
Propos recueillis par Eléa Pommiers Publié aujourd’hui à 10h46, mis à jour à 13h07
Comment les musiciens imaginent-ils la musique ? L’imagination permet-elle d’être créatif ? Ecouter de la musique stimule-t-il l’imagination ? Hervé Platel, professeur de neuropsychologie à l’université de Caen et spécialiste de la perception de la musique et de la mémoire humaine, décrypte les liens entre musique, cerveau et imagination.
Diriez-vous que l’imagination est indispensable au travail du musicien ?
Elle joue un rôle fondamental pour eux, ne serait-ce que parce qu’elle est indissociable de la mémorisation. Lorsqu’on interroge les musiciens sur la manière dont ils se représentent la musique, certains disent qu’ils imaginent la partition qu’ils lisent dans leur tête – mais c’est impossible pour les autodidactes qui n’ont pas appris le solfège. D’autres se la représentent de manière auditive et disent entendre mentalement les notes. D’autres encore s’imaginent jouer de leur instrument et s’entraînent ainsi mentalement en faisant appel à la mémoire du corps et à une imagination motrice. Souvent, ils associent ces stratégies.
D’un point de vue neurocognitif, l’imagination peut être définie par la capacité du cerveau à simuler en images, en sons ou encore en odeurs, une expérience, vécue ou non, connue ou non. La question de l’imagination musicale reste un mystère, dans la mesure où très peu d’études ont été consacrées à la manière dont les musiciens se représentent la musique.
Quand nous parlons d’« imagination auditive », le cerveau entend-il vraiment les notes imaginées ?
Lorsqu’on demande à un musicien de jouer, puis d’imaginer seulement la musique qu’il doit jouer, la neuroimagerie nous montre que les régions de son cerveau qui s’activent sont les mêmes. Le cerveau utilise donc les mêmes ressources pour réaliser les deux tâches différentes que sont l’action et l’imagination de l’action.
L’imagination consiste en fait à demander au cerveau de se mettre dans le même état que s’il entendait le son de manière externe. Les régions de l’analyse perceptive auditive sont donc impliquées même pour un son imaginaire, même si elles le sont sûrement moins fortement qu’en cas de stimulus externe. D’autres zones, comme les régions préfrontales, nous permettent en parallèle d’attribuer cette information sensorielle à un état interne.
Mais l’imagination ne consiste pas qu’à recréer des états connus, elle permet aussi d’en créer de nouveaux…
Bien sûr, le cerveau est plus sophistiqué que cela et l’imagination permet d’aller au-delà de l’expérience personnelle. Vous connaissez sans doute très bien la mélodie de Petit Papa Noël, mais vous ne l’avez sûrement jamais entendue jouée au trombone. Si vous connaissez le son du trombone, votre cerveau peut cependant imaginer cette musique jouée au trombone, ou chantée par la voix de Jacques Brel. Grâce à différentes sources d’expériences sensorielles, nous sommes capables d’alimenter notre imagination, de la développer.
L’imagination est alors synonyme de créativité. Cela signifie-t-il que l’on peut travailler notre créativité, qu’elle s’acquiert ?
Il est certain que la créativité ne sort pas de nulle part ! On oppose souvent, notamment en musique, une créativité pulsionnelle, instinctive, qui serait naturelle, à une créativité plus rationalisée, cérébrale, éduquée. Les musiciens ont tendance à surestimer la première, avec l’idée que moins on en sait, mieux c’est. Comme si la connaissance risquait de mettre des œillères et d’enfermer la créativité des artistes dans un cadre, à la manière d’un adulte qui s’autoriserait moins à imaginer des choses fantaisistes qu’un enfant.
Ce n’est pas impossible, mais la créativité est la capacité du cerveau à faire des associations mentales originales et cohérentes. Or, une éducation musicale, associée à l’intelligence, facilite ces associations puisqu’elle enrichit votre cerveau d’expériences, notamment esthétiques pour les artistes, et d’idées que vous pouvez ensuite lier.
Certains artistes de musique contemporaine se disent ainsi qu’ils se contraindront moins dans leurs créations s’ils ne savent rien sur l’harmonie musicale, jusqu’au jour où ils se mettent à l’étudier et se rendent compte qu’elle leur ouvre des horizons au lieu de leur en fermer. Des études montrent d’ailleurs clairement que, jusqu’à un certain point – bac + 5 en l’occurrence –, le niveau d’études augmente la créativité.