«En Birmanie, une fillette musulmane est condamnée au néant»
INTERVIEW
Wai Wai Nu, 28 ans, témoigne de l’extrême difficulté de la vie quotidienne pour les Rohingyas, privés de la nationalité birmane depuis 1982.
Depuis bientôt trois ans, les persécutions s’intensifient contre les Rohingyas, minorité musulmane de Birmanie, qui subissent un véritable apartheid dans un pays majoritairement bouddhiste. Depuis 1982, ils sont privés de la nationalité birmane, désormais considérés comme «immigrés illégaux», apatrides dans leur propre pays. Wai Wai Nu, 28 ans, fille d’un homme politique rohingya, a déjà passé sept ans en prison. Militante pacifiste, elle témoigne de l’extrême difficulté de la vie quotidienne pour cette population d’environ 800 000 personnes, qui vit dans l’Etat Rakhine, dans l’ouest du pays. Invitée à Paris par l’ONG Info Birmanie, elle alerte particulièrement sur le sort des femmes rohingyas, «minorité parmi la minorité».
Au quotidien, comment se traduit la persécution pour les Rohingyas ?
Depuis 1995, les musulmans de l'Etat Rakhine ne peuvent plus se marier sans autorisation. Un système de quotas a été instauré – les autorités décident par exemple que seuls trente couples auront le droit de se marier en 2015 dans un village. Les permis de mariage sont payants, entre 20000 et 200000 kyats (15 à 150 euros, ndlr), le prix étant fixé selon les revenus. En général, c’est la famille de la femme qui doit payer, car garder une fille non mariée est un problème. Les couples surpris à s’être mariés sans permis (soit parce que le quota était atteint, soit parce qu’ils ne pouvaient pas payer), risquent une amende et jusqu’à 5 ans de prison. Beaucoup s’enfuient à l’étranger.
Les musulmans n’ont droit qu’à deux enfants par couple. Les enfants supplémentaires, ainsi que ceux nés au sein d’un mariage sans permis, ou dont le père se trouve à l’étranger, sont privés de certificat de naissance et donc sans existence légale. En 2010, on estimait que 60000 enfants étaient ainsi «blacklistés». Mais depuis les émeutes de 2012, tous les bébés rohingyas nés dans l’Etat Rakhine sont privés de certificat de naissance. Environ 140 000 personnes vivent depuis deux ans dans des camps, notamment à Maungdaw, dans des conditions humanitaires déplorables. La vie des femmes y est particulièrement difficile, confrontées à la faim et aux abus sexuels.
Les violences sexuelles touchent-elles particulièrement cette communauté ?
Même si les femmes ont accès à l’éducation et au travail, le harcèlement sexuel fait partie de la culture birmane. Les viols sont courants, notamment au sein du foyer, et il est difficile d’obtenir justice. Dans la grande majorité des cas, les familles s’arrangent entre elles sans que l’affaire arrive au tribunal. Pour les femmes rohingyas, tout est plus difficile. Elles sont discriminées dans leur famille, dans leur communauté et dans le pays. Dans leur famille, souvent peu éduquées, elles sont soumises à la domination masculine, et parfois à la violence domestique. Au sein de leur communauté, si elles veulent sortir, étudier, travailler, elles sont jugées comme étant «mauvaises femmes». Et elles n’obtiennent aucune protection des autorités du fait de leur appartenance ethnique. Pendant les violences de 2012, qui ont fait 250 morts, l’ONG Ocha a comptabilisé 300 viols commis par les forces de police ou les autorités locales. Cette année, le site Rohingya Blogger a dénoncé deux viols en réunion commis dans un poste de police.
Quel avenir a une fillette rohingya aujourd’hui?
C’est le néant. Les discriminations se superposent jusqu’à l’empêcher de vivre. Les écoles sont fermées depuis 2012 dans l’Etat Rakhine. Même si elle a eu la chance de terminer sa scolarité, elle ne peut désormais plus accéder à l’université – la plupart des filières professionnelles, comme la médecine, étaient déjà interdites aux Rohingyas depuis 1995. Si elle n’a pas de certificat de naissance, elle ne peut ni se marier ni travailler. Elle est condamnée à végéter dans sa famille, et si celle-ci ne peut pas la nourrir, elle doit fuir à l’étranger, bravant les dangers du voyage par bateau pour un avenir incertain en Malaisie, en Thaïlande, au Pakistan ou au Bangladesh. Nombre d’entre elles tombent entre les mains de trafiquants et disparaissent. On estime qu’un million de Rohingyas, hommes, femmes et enfants, a quitté le pays ces dernières années. La moitié de notre population est dehors.
Qu'espérez-vous de l'ouverture politique du pays, à un an des législatives?
Au moins la possibilité d'un dialogue. Pas beaucoup plus si la communauté internationale ne se décide pas à intervenir...
Laurence DEFRANOUX
http://www.liberation.fr/monde/2014...ette-musulmane-est-condamnee-au-neant_1158382