Deux décisions de justice viennent de relancer le débat sur le travail du dimanche et de nuit. Dire cela, c’est d’ailleurs accepter l’idée que ce débat existe depuis longtemps. Celle condamnant le magasin Séphora des Champs Elysées à fermer ses portes à 21 heures et celle interdisant l’ouverture du dimanche à deux enseignes du bricolage, Leroy Merlin et Castorama. Monoprix, condamné en 2012 pour ouverture illégale vient d’être rappelé à l’ordre sur les horaires de nuit.
Le fait de faire travailler illégalement les salariés le dimanche ou la nuit constitue une infraction pénale,
Les citoyens se soumettent aux lois de ce pays, il doit en être de même pour les employeurs.
Il est quand même pour le moins surprenant que deux enseignes, Leroy Merlin et Castorama, se mettent volontairement hors la loi le dimanche et que dès le lundi matin le gouvernement réunisse ses Ministres pour voir comment répondre aux revendications patronales ! Décidément le gouvernement a vraiment un problème avec les boites à outils !
Je note au passage que si la fermeture de Séphora et Monoprix à 21 heures est à mettre à l’actif des syndicats de salariés, celle concernant Castorama et Leroy Merlin répond à la plainte du PDG de Bricorama pour concurrence déloyale.
Séphora est filiale de LVMH, Leroy Merlin est détenu par la famille Mulliez, Monoprix appartient au groupe Casino, Castorama est propriété du groupe Britanique Kingsfisher,
Tous ces groupes font de confortables bénéfices, suppriment des emplois et déréglementent le travail.
Il est d’ailleurs révélateur qu’un des premiers commentateurs du débat soit un banquier, le Président de BNP Paribas. Il nous invite à nous adapter et à bouger sur la question du travail du dimanche pour augmenter la compétitivité de la place de Paris.
Pour les salariés, la question qui est posée est celle de l’emploi et de leur pouvoir d’achat.
Rares sont ceux qui travaillent le dimanche ou la nuit par plaisir. Ce sont majoritairement les étudiants qui travaillent à temps partiel pour financer leurs études, les salariés qui ont de petits salaires et qui veulent arrondir leurs fins de mois, ceux qui ne trouvent pas de travail stable à temps plein, ceux qui ont été embauchés à condition qu’ils se déclarent volontaires pour travailler le dimanche. Mettre en avant la question du volontariat est donc largement dévoyée au regard de la situation que vivent ces salariés.
Les salariés du dimanche sont majoritairement des jeunes et des femmes. En première ligne pour le travail précaire et la vie déstructurée, ce sont eux aussi qui auront de petites retraites.
Dans le commerce, l’ouverture du dimanche et l’extension des amplitudes horaires ont eu comme conséquences la création d’emplois précaires au détriment des emplois stables, dans un secteur déjà largement touché par la précarité et les atteintes au droit du travail.
Conforama qui bénéfice d’une dérogation permanente pour ouvrir les dimanches en est à son troisième PSE.
Castorama a annoncé en juin la suppression de 1167 emplois.
Mais aussi Darty avec 600 emplois supprimés par un PSE.
Virgin est en liquidation judiciaire, il était pourtant ouvert le soir sur les Champs Elysées.
Le PDG de Bricorama a fait cette déclaration : « on doit être tous ouverts ou tous fermés, mais la loi doit être la même pour tous ».
Et bien nous, nous disons : pour les salariés, le code du travail doit être le même pour tous. Le dimanche est un jour de repos, c’est un temps collectif de vie sociale, c’est un temps pour soi. Comme tous les salariés, les salariés du commerce aspirent eux aussi à protéger les espaces de liberté que constituent le repos dominical et la nuit. Et la valeur du dimanche comme jour non travaillé est la même pour tous, quel que soit le territoire, que l’on soit en zone touristique ou pas. Le dimanche, c’est un bien commun d’intérêt général, c’est un marqueur de notre vivre ensemble.
Un certain nombre de professions sont contraintes de travailler de façon continue pour respecter la sécurité, les missions de service public ou dans l’industrie du fait du processus industriel lui-même. Mais ce travail continu est réglementé, fait l’objet de contreparties salariales et de repos compensateurs. C’est la raison pour laquelle ces professions relèvent généralement d’un statut particulier, notamment celles chargées de service public comme la santé, le transport, l’énergie. Le travail de nuit relève du travail pénible et doit être reconnu comme tel. Dans ces professions aussi, le travail est de plus en plus déréglementé, l’exception tend à devenir la règle, faute de personnel suffisant. Cela au détriment de la santé du personnel et de la qualité du travail.
Travailler de nuit, en service continu, en horaires décalés, cela nuit à la santé. Plusieurs rapports publiés ces dernières années ont mis cela en évidence. (voir par exemple « Le travail de nuit : impact sur les conditions de travail et de vie des salariés », Conseil économique, social et environnemental, 2010).
Déréglementer le travail de nuit dans le commerce aura des conséquences, à plus ou moins long terme, sur la santé des salariés concernés.
On assiste à une nouvelle offensive dans l’ensemble des secteurs du commerce sur les jours fériés, la nuit …Jusqu’où sommes-nous prêts à aller pour répondre à la seule surenchère de la consommation ? La situation ouverte par la loi Maillé montre la voie : la déréglementation appelle la déréglementation. Et plus les salariés supposés volontaires travailleront le dimanche, plus leurs collègues seront contraints de le faire : ceux qui assurent les services publics, ceux du commerce d’à côté.
Beaucoup d’arguments sont utilisés par les promoteurs du travail du dimanche.
On nous dit que ce serait pour le tourisme :
La France est la première destination touristique mondiale. Nous nous en réjouissons, mais ce n’est pas pour l’ouverture de ses magasins !
On nous dit que ce serait pour tenir compte de l’évolution des besoins des consommateurs. Mais l’étude du Crédoc publiée en 2008 montre que ce sont les consommateurs les moins contraints au niveau du temps qui profitent le plus de l’ouverture des magasins le dimanche.
Et les consommateurs, qui sont prêts à acheter le dimanche ne sont pas prêts à travailler régulièrement le dimanche !
On nous dit que ce serait bon pour l’économie. En réalité ce qui est bon pour le commerce, c’est surtout l’augmentation du pouvoir d’achat des salariés. Après une baisse historique du pouvoir d’achat des ménages de 0,9% en 2012, les ventes du commerce de détail ont diminué de 1,7% en 2013. Et les ventes du dimanche ne sont pas des achats supplémentaires mais des achats différés. Comme les budgets des consommateurs ne sont pas extensibles, c’est sur les amplitudes horaires que les grandes enseignes cherchent à faire la différence, en déstructurant le travail des salariés concernés.
C’est aux aspirations des salariés qu’il faut répondre aujourd’hui.
Elles renvoient à la faiblesse des salaires. Et aux conditions faites aux étudiants pour qu’ils puissent faire des études et les réussir dans de bonnes conditions. 70% des étudiants travaillent pour payer leurs études. Ils sont contraints à travailler le dimanche alors qu’ils ont besoin de temps pour se concentrer sur leurs études. 40% d’entre eux d’ailleurs les abandonnent en cours de route.
Nous faisons plusieurs propositions :
- Augmenter le SMIC et ouvrir des négociations salariales dans les entreprises;
- Supprimer les exonérations de cotisations sociales pour les bas salaires qui tirent les salaires vers le bas, notamment dans le secteur du commerce ;
- Assurer la transparence sur l’utilisation du crédit d’impôt qui je le rappelle est estimé à plus de 3, 7 milliards pour le commerce et son conditionnement.
- Attribuer une allocation autonomie pour les étudiants.
- Respecter le temps de travail légal des salariés pour leur permettre de faire leurs achats dans des amplitudes horaires raisonnables.
- Limiter le travail de nuit et du dimanche à ce qui est strictement nécessaire. Dans les entreprises, il faut examiner l’ensemble des situations de travail pour limiter les contraintes sur la santé des salariés, imposées par le travail continu. Cela fait partie de la prévention à développer pour supprimer les pénibilités.
La CGT a bien l’intention d’être dans le débat, avec les salariés, à qui nous proposons de se rassembler pour défendre leurs intérêts. C’est pour cela que nous les invitons à s’inscrire avec nous dans la semaine d’action du 7 au 11 octobre et dans la journée unitaire et interprofessionnelle de grèves et de manifestations du 15 octobre pour défendre leurs salaires, leur emploi et leur retraite.