e calme et la végétation. C'est peut-être cela, le véritable luxe d'Anfa, 4e arrondissement de Casablanca, le plus huppé de la capitale économique du royaume. Ici, ni pollution ni bruits de klaxons. Des chants d'oiseaux, des palmiers, des lauriers-roses... Plus on monte sur la colline, plus c'est chic. D'en haut, on aperçoit la mer. Tout est beau.
Reda, 30 ans, dit avoir passé ici "une enfance et une jeunesse de rêve". Il a fait sa scolarité au lycée français de Casablanca avant de faire ses études supérieures en France puis aux Etats-Unis, comme tous ses amis. Les jeunes d'Anfa vont se baigner sur la Corniche. Pas de plages publiques. Chacun est inscrit à un club. Le plus prisé est le Sun, surnommé le CCC (club des clubs de Casa). Ses adhérents s'y baignent dans une piscine olympique à l'eau de mer, renouvelée trois fois par semaine. Le soir, on va souvent dîner dans l'un des endroits branchés de Casablanca, le Relais de Paris par exemple, avant de finir dans l'une des boîtes à la mode.
Le Golfe royal, au sommet de la colline d'Anfa, est un autre lieu de rencontres, à deux pas du fameux hôtel d'Anfa, où Churchill, Roosevelt, de Gaulle et Giraud se réunirent en janvier 1943 pour décider de l'après-guerre. Tout près, un ensemble de villas est interdit d'accès. C'est une propriété privée de Mohammed VI.
Ici, chaque famille a au moins "un gardien, un chauffeur et trois femmes de ménage, tous nourris-logés. C'est le truc basique", explique Reda. Les mariages sont l'occasion de réceptions fastueuses. Parfois, tout ce beau monde prend le prétexte d'une noce pour se déplacer à Marrakech. "Le week-end du 1er mai, il y a eu là-bas trois fêtes concurrentes. C'était de la folie ! Une débauche de vêtements de grands couturiers, de bijoux, de voitures de sport...", raconte un témoin.
"Les riches ont leur royaume. Ils restent entre eux et nous méprisent", lâche, désabusée, Saidia, 40 ans. Cette mère de deux adolescentes avoue "avoir honte" d'habiter Sidi Moumen. Situé dans le 16e arrondissement de Casablanca, ce bidonville est le plus vaste de la ville. Un condensé de misère et de violence sur 42 km2. Par endroits, on se croirait dans une décharge à ciel ouvert. Les enfants jouent pieds nus au milieu des ordures et des carcasses de voitures. Ici et là déambulent une vache ou des chèvres...
Sidi Moumen, c'est l'envers du décor, l'anti-Anfa. La plupart des kamikazes qui se sont fait sauter le 16 mai 2003 en divers endroits de Casablanca, faisant 45 morts et plus de 100 blessés, venaient de là.
Depuis, les autorités ont accéléré la réhabilitation du bidonville. Des îlots de "normalité" ont fait leur apparition. Des rues, et même des avenues, ont été créées, des immeubles ont poussé. Des bâtiments de 3 ou 4 étages, plutôt beaux et confortables. La moitié des taudis ont été rasés et leurs habitants relogés, souvent sur les lieux. "D'ici à 2012, Sidi Moumen aura totalement changé de visage. Le grand stade de Casablanca va y être installé, et le futur tramway démarrer de là. L'avenir de Casablanca est ici !", assure Mohammed Bourrahim, un membre du conseil municipal de Sidi Moumen.
Pour l'heure, 300 000 personnes vivent encore dans des conditions plus que précaires. Tarik, licencié en sciences économiques, est au chômage depuis dix ans. Il fait partie des innombrables "diplômés chômeurs" que l'on voit manifester quotidiennement, à Rabat et ailleurs. Lui ne se fatigue même plus à chercher un emploi. "C'est trop mal payé pour que ça vaille la peine", grogne-t-il. Alors, il "gaspille" son temps avec ses amis, fume du kif et regarde les chaînes de télévision du Golfe, notamment Al-Manar et Al-Jazeera. A l'inverse de la plupart des jeunes Marocains, il ne rêve pas d'émigrer en Europe ou aux Etats-Unis. "Ici, c'est mon pays, je ne souhaite pas le quitter", dit-il.
Sur le Maroc "Etat policier", Tarik tient des propos désabusés. Il n'apprécie pas Benkirane, le leader du Parti de la justice et du développement (PJD), formation islamiste agréée par le pouvoir. "C'est un renard !", lâche-t-il. A l'écouter, "le seul vrai islamiste, c'est Ben Laden !" Ses autres héros sont Nasrallah, le leader de la communauté chiite au Liban sud, et Kim Il-sung, le dirigeant nord-coréen.
Warda Jardi est elle aussi née à Sidi Moumen. Mais, plutôt que de "rester les bras croisés à attendre un travail", cette jeune licenciée en droit arabe a fondé, en 1998, l'association Arraidat ("les pionnières"), avec quatre amies chômeuses. Ces battantes ont fait le pari avant tout le monde de changer Sidi Moumen. La qualité de leur travail est reconnue, notamment en matière d'alphabétisation et de cours de rattrapage pour les enfants sortis du système scolaire. "Le plus dur, c'est de lutter contre le désespoir ambiant. Le slogan "rien à perdre", est notre principal ennemi", avoue Warda Jardi.
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http://www.lemonde.fr/afrique/artic...-riches-et-des-tres-pauvres_1218998_3212.html
Florence Beaugé - Le Monde
Reda, 30 ans, dit avoir passé ici "une enfance et une jeunesse de rêve". Il a fait sa scolarité au lycée français de Casablanca avant de faire ses études supérieures en France puis aux Etats-Unis, comme tous ses amis. Les jeunes d'Anfa vont se baigner sur la Corniche. Pas de plages publiques. Chacun est inscrit à un club. Le plus prisé est le Sun, surnommé le CCC (club des clubs de Casa). Ses adhérents s'y baignent dans une piscine olympique à l'eau de mer, renouvelée trois fois par semaine. Le soir, on va souvent dîner dans l'un des endroits branchés de Casablanca, le Relais de Paris par exemple, avant de finir dans l'une des boîtes à la mode.
Le Golfe royal, au sommet de la colline d'Anfa, est un autre lieu de rencontres, à deux pas du fameux hôtel d'Anfa, où Churchill, Roosevelt, de Gaulle et Giraud se réunirent en janvier 1943 pour décider de l'après-guerre. Tout près, un ensemble de villas est interdit d'accès. C'est une propriété privée de Mohammed VI.
Ici, chaque famille a au moins "un gardien, un chauffeur et trois femmes de ménage, tous nourris-logés. C'est le truc basique", explique Reda. Les mariages sont l'occasion de réceptions fastueuses. Parfois, tout ce beau monde prend le prétexte d'une noce pour se déplacer à Marrakech. "Le week-end du 1er mai, il y a eu là-bas trois fêtes concurrentes. C'était de la folie ! Une débauche de vêtements de grands couturiers, de bijoux, de voitures de sport...", raconte un témoin.
"Les riches ont leur royaume. Ils restent entre eux et nous méprisent", lâche, désabusée, Saidia, 40 ans. Cette mère de deux adolescentes avoue "avoir honte" d'habiter Sidi Moumen. Situé dans le 16e arrondissement de Casablanca, ce bidonville est le plus vaste de la ville. Un condensé de misère et de violence sur 42 km2. Par endroits, on se croirait dans une décharge à ciel ouvert. Les enfants jouent pieds nus au milieu des ordures et des carcasses de voitures. Ici et là déambulent une vache ou des chèvres...
Sidi Moumen, c'est l'envers du décor, l'anti-Anfa. La plupart des kamikazes qui se sont fait sauter le 16 mai 2003 en divers endroits de Casablanca, faisant 45 morts et plus de 100 blessés, venaient de là.
Depuis, les autorités ont accéléré la réhabilitation du bidonville. Des îlots de "normalité" ont fait leur apparition. Des rues, et même des avenues, ont été créées, des immeubles ont poussé. Des bâtiments de 3 ou 4 étages, plutôt beaux et confortables. La moitié des taudis ont été rasés et leurs habitants relogés, souvent sur les lieux. "D'ici à 2012, Sidi Moumen aura totalement changé de visage. Le grand stade de Casablanca va y être installé, et le futur tramway démarrer de là. L'avenir de Casablanca est ici !", assure Mohammed Bourrahim, un membre du conseil municipal de Sidi Moumen.
Pour l'heure, 300 000 personnes vivent encore dans des conditions plus que précaires. Tarik, licencié en sciences économiques, est au chômage depuis dix ans. Il fait partie des innombrables "diplômés chômeurs" que l'on voit manifester quotidiennement, à Rabat et ailleurs. Lui ne se fatigue même plus à chercher un emploi. "C'est trop mal payé pour que ça vaille la peine", grogne-t-il. Alors, il "gaspille" son temps avec ses amis, fume du kif et regarde les chaînes de télévision du Golfe, notamment Al-Manar et Al-Jazeera. A l'inverse de la plupart des jeunes Marocains, il ne rêve pas d'émigrer en Europe ou aux Etats-Unis. "Ici, c'est mon pays, je ne souhaite pas le quitter", dit-il.
Sur le Maroc "Etat policier", Tarik tient des propos désabusés. Il n'apprécie pas Benkirane, le leader du Parti de la justice et du développement (PJD), formation islamiste agréée par le pouvoir. "C'est un renard !", lâche-t-il. A l'écouter, "le seul vrai islamiste, c'est Ben Laden !" Ses autres héros sont Nasrallah, le leader de la communauté chiite au Liban sud, et Kim Il-sung, le dirigeant nord-coréen.
Warda Jardi est elle aussi née à Sidi Moumen. Mais, plutôt que de "rester les bras croisés à attendre un travail", cette jeune licenciée en droit arabe a fondé, en 1998, l'association Arraidat ("les pionnières"), avec quatre amies chômeuses. Ces battantes ont fait le pari avant tout le monde de changer Sidi Moumen. La qualité de leur travail est reconnue, notamment en matière d'alphabétisation et de cours de rattrapage pour les enfants sortis du système scolaire. "Le plus dur, c'est de lutter contre le désespoir ambiant. Le slogan "rien à perdre", est notre principal ennemi", avoue Warda Jardi.
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http://www.lemonde.fr/afrique/artic...-riches-et-des-tres-pauvres_1218998_3212.html
Florence Beaugé - Le Monde