Le Figaro 09/09/2012
INTERVIEW - S'il met en garde les extrémistes, le président tunisien se dit «scandalisé» par l'image de son pays en France.
Moncef Marzouki, 67 ans, médecin de formation qui a longtemps vécu en France, est président de la République tunisienne depuis décembre 2011.
LE FIGARO. - Vous avez récemment accusé les islamistes d'Ennahda de revenir à des pratiques dignes de l'ère Ben Ali. Y a-t-il dérive autoritaire?
Moncef MARZOUKI. - Je parlerais plutôt de tentation - et de tentative - de mainmise sur un certain nombre de rouages de l'État. Pour la tentation, je leur dis halte! Et pour la tentative, je les avertis que cela ne va pas marcher. Dès qu'on les met en garde, ils reculent. Il existe une tendance, peut-être pas une volonté délibérée, mais une tendance d'une fraction d'Ennahda - car c'est un corps complexe - de reproduire de façon quasi inconsciente les anciennes pratiques. J'ai voulu tirer la sonnette d'alarme en disant que non: si nous sommes là, ce n'est pas pour refaire ce qui a été fait avant, c'est pour faire autre chose, et cela implique de veiller à la neutralité de l'État. Je vais proposer, en veillant même à ce que ce soit inscrit dans la Constitution, que la nomination des grands commis de l'État ne relève plus de la responsabilité du président de la République ou du premier ministre, mais d'une commission dans laquelle il y aurait des représentants du président, du premier ministre et du Parlement ; pour que l'État soit ce qu'il doit être - et qu'il n'a jamais été d'ailleurs en Tunisie: la propriété de la nation et non pas d'un parti politique.
Ennahda est accusé d'avoir phagocyté l'administration. Les deux tiers
des gouverneurs seraient issus de leurs rangs…
Oui, je confirme, et cela m'indispose fortement. Moi, je refuse de m'installer dans une stratégie de partage du gâteau. Tout ce qui relève des grands rouages de l'État n'a rien à faire avec les nominations partisanes.
Les tensions au sein de la coalition sont de plus en plus vives. Est-elle déjà, comme certains l'affirment, une coquille vide?
C'est faux. La troïka au pouvoir fonctionne. Beaucoup de choses ont été faites dans le cadre de cette troïka et, ce que les gens ignorent, beaucoup de choses ont pu être évitées. Des erreurs de gestion, des conflits. C'est comme en médecine. Vous voyez les maladies qui ont été guéries mais pas celles qui ont été évitées. Évidemment, il y a des tensions, des crispations, mais c'est naturel. Nous avons des idéologies différentes, des sensibilités différentes. Des laïcs de gauche avec des islamistes conservateurs, ce n'est pas évident. Cela nécessite beaucoup de subtilité, de patience, d'abnégation. Cette coalition résiste, et c'est un miracle.
INTERVIEW - S'il met en garde les extrémistes, le président tunisien se dit «scandalisé» par l'image de son pays en France.
Moncef Marzouki, 67 ans, médecin de formation qui a longtemps vécu en France, est président de la République tunisienne depuis décembre 2011.
LE FIGARO. - Vous avez récemment accusé les islamistes d'Ennahda de revenir à des pratiques dignes de l'ère Ben Ali. Y a-t-il dérive autoritaire?
Moncef MARZOUKI. - Je parlerais plutôt de tentation - et de tentative - de mainmise sur un certain nombre de rouages de l'État. Pour la tentation, je leur dis halte! Et pour la tentative, je les avertis que cela ne va pas marcher. Dès qu'on les met en garde, ils reculent. Il existe une tendance, peut-être pas une volonté délibérée, mais une tendance d'une fraction d'Ennahda - car c'est un corps complexe - de reproduire de façon quasi inconsciente les anciennes pratiques. J'ai voulu tirer la sonnette d'alarme en disant que non: si nous sommes là, ce n'est pas pour refaire ce qui a été fait avant, c'est pour faire autre chose, et cela implique de veiller à la neutralité de l'État. Je vais proposer, en veillant même à ce que ce soit inscrit dans la Constitution, que la nomination des grands commis de l'État ne relève plus de la responsabilité du président de la République ou du premier ministre, mais d'une commission dans laquelle il y aurait des représentants du président, du premier ministre et du Parlement ; pour que l'État soit ce qu'il doit être - et qu'il n'a jamais été d'ailleurs en Tunisie: la propriété de la nation et non pas d'un parti politique.
Ennahda est accusé d'avoir phagocyté l'administration. Les deux tiers
des gouverneurs seraient issus de leurs rangs…
Oui, je confirme, et cela m'indispose fortement. Moi, je refuse de m'installer dans une stratégie de partage du gâteau. Tout ce qui relève des grands rouages de l'État n'a rien à faire avec les nominations partisanes.
Les tensions au sein de la coalition sont de plus en plus vives. Est-elle déjà, comme certains l'affirment, une coquille vide?
C'est faux. La troïka au pouvoir fonctionne. Beaucoup de choses ont été faites dans le cadre de cette troïka et, ce que les gens ignorent, beaucoup de choses ont pu être évitées. Des erreurs de gestion, des conflits. C'est comme en médecine. Vous voyez les maladies qui ont été guéries mais pas celles qui ont été évitées. Évidemment, il y a des tensions, des crispations, mais c'est naturel. Nous avons des idéologies différentes, des sensibilités différentes. Des laïcs de gauche avec des islamistes conservateurs, ce n'est pas évident. Cela nécessite beaucoup de subtilité, de patience, d'abnégation. Cette coalition résiste, et c'est un miracle.