La première a pour objet le lien entre réforme, acteurs de la réforme (associations et
technocrates) et ce qu’il est convenu d’appeler l’antipolitique, c’est-à-dire une vision
radicalement négative du politique par les politiques eux-mêmes, une posture qui prétend
bannir tout ce qui est reconnu comme politique et par conséquent qui veut donner toute la
latitude aux acteurs qui se disent extérieur au politique d’investir ce champ4. Au Maroc,
l’antipolitique prend une forme particulière : les réformes ne sont pas impulsées par les partis
politiques mais bien davantage par le Souverain et ses conseillers ; et de facto, ce sont des
acteurs non politiques, des technocrates secondés par des associations, qui les mettent en
oeuvre, dans des tentatives simultanées de contournement de l’administration publique et
des partis. Ces réformes, et la façon dont elles ont été pensées et mises en oeuvre, ont
modifié les représentations de l’État et de l’espace politique et, ce faisant, les processus de
légitimation. De facto, il y a eu « dépolitisation » des affaires politiques importantes, ce qui équivaut à placer le politique dans des lieux qui sont des « non-lieux », qui sont des espaces
sans polémiques, sans conflits5. Ce consensus sur le rejet du politique est révélateur,
comme ailleurs, d’un certain exercice de la domination. Il masque et révèle le grand souhait
des gouvernants, celui de gouverner sans le peuple, de gouverner sans politique ; ce que,
du reste, le concept de gouvernance traduit bien6. De « nouveaux » lieux apparaissent, tels
les marchés de l’expertise, les agences ou les commissions, qui sont autant de « nouvelles »
arènes de pouvoir. Mais ces nouveaux lieux ne sont pas forcément investis par de nouveaux
acteurs. Au contraire, ce sont souvent les mieux établis - grâce à leurs richesses matérielles
et humaines, monétaires et sociales - qui saisissent le plus rapidement et de la façon la plus
efficace les potentialités que leur offrent ces nouvelles configurations et les opportunités de
redéploiement. Au nom de la modernité et du renouveau à venir, ces anciennes élites
n’hésitent pas à rejeter les arrangements antérieurs et, concrètement, à se présenter comme
technocrates ou acteurs associatifs. C’est une configuration banale de l’antipolitique qui veut
que la critique des politiques passées, la construction de la « crise » et l’espoir de
construction d’un « nouvel » ordre se réalisent souvent, le plus souvent même, au profit de
ceux qui énoncent ce discours, non nécessairement au profit d’un nouveau personnel
politique et administratif