Pied noir resté en Algerie

Dans une passionnante enquête historique, « Ni valise, ni cercueil», publiée chez Actes sud, le journaliste Pierre Daum déconstruit le mythe d’un départ de tous les Européens d’Algérie en 1962. En retraçant les parcours des pieds noirs restés dans le pays après l’indépendance, il esquisse une histoire singulière de l’Algérie algérienne.

Vous avancez dans votre ouvrage, « Ni valise, ni cercueil. Les pieds noirs restés en Algérie », le chiffre de 200.000 pieds-noirs encore présents sur le sol algérien en 1963. Pourquoi le mythe d'un départ de tous les pieds-noirs en 1962 est-il si enraciné ?

Pierre Daum. J'ai établi ce chiffre de 200.000 pieds-noirs encore présents en Algérie en janvier 1963 en confrontant plusieurs sources d'archives. Je précise que le 5 juillet 1962, jour de la fête de l'indépendance, 400.000 pieds-noirs se trouvaient encore en Algérie. Je n'ai pas voulu mettre en avant ce chiffre, car la situation à cette date était encore très confuse et tendue : c'était encore une phase de départs.

La présence de pieds-noirs dans l'Algérie indépendante est un fait historique largement ignoré depuis 50 ans. En fait, dès la fin de la guerre d'Algérie, les Français, soulagés, ont voulu tourner radicalement la page. D'où l'enfouissement brutal du passé colonial dans les mémoires. Mais surtout, depuis 50 ans, le discours médiatique sur les pieds-noirs est monopolisé par une poignée de responsables d'associations de rapatriés. Ceux-là ne sont pas du tout représentatifs de l'ensemble des pieds-noirs, car seuls les nostalgiques, héritiers des ultras de l'Algérie française, se sont véritablement organisés. Ils ne représentent pas la diversité des pieds-noirs, qui ne constituent pas du tout un groupe social et politique monolithique. Or ces responsables d'associations assènent depuis 50 ans le même discours : « Nous sommes tous partis en 1962, nous n'avions pas le choix, c'était la valise ou le cercueil ». Sous-entendu : « Nous étions tous des victimes pures et innocentes et ceux d'en face, c'est à dire le FLN, voire l'ensemble des Arabes étaient des assassins en puissance dont la seule idée fixe était de massacrer les Français jusqu'au dernier ».

Quels rôles tiennent, dans ce raisonnement, la fusillade de la rue d'Isly le 26 mars 1962 et le massacre d'Européens à Oran le 5 juillet 1962 ? En quoi ces évènements ont-ils été instrumentalisés, selon vous ?

Pierre Daum. Dans le discours de ces représentants autoproclamés des rapatriés, trois événements historiques sont sans cesse invoqués et instrumentalisés: la fusillade de la rue de Isly le 26 mars 1962, le massacre d'Européens à Oran le 5 juillet 1962 et enfin les enlèvements et assassinats d'environ 3000 Européens et Juifs.
 
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