As-Salâm 'aleikum,
merci pour vos réponses !
Voici donc un petit extrait de mon travail, j'espère que vous l'apprécierez :
3. La dynamique de l’Unité
C'est justement cet aspect essentiellement dynamique de la qu'ignorent ses adversaires mais aussi la plupart de ses défenseurs, et qui est responsable de tant de confusion à son propos. L'essentiel en effet est de comprendre qu'il ne s'agit pas de poser une équivalence plus ou moins complète, mais statique, de type « a = a » entre l'Univers et son Créateur, entre les choses et leur Principe, mais d'envisager le tout comme les d'un graduel de révélation, au cours duquel une certaine forme d'altérité est produite, puis réabsorbée par le Principe afin de manifester Son Identité transcendante. Cette réabsorption, ou plutôt cette réintégration de toute différence et de toute altérité dans l'Identité au terme du processus, supprime l' « autre » en tant que tel pour ne laisser subsister que l'Un pur, mais en le supprimant, il le réalise, il rend effective sa raison d'être, qui était la manifestation de l'Identité et rien d'autre. Ce processus n'est pas de nature essentiellement temporelle, bien que l'image de la succession temporelle soit celle qui se présente le plus naturellement à notre esprit pour envisager la relation entre ses différents « moments ». D'ailleurs, il suffit de rappeler à ce propos que dans les deux versets coraniques analysés ci-dessus, relatifs au mouvement de la révélation, le temps n'était invoqué en rapport avec l'apparition des « signes », que tant que le processus n'était pas complètement achevé, ou, ce qui revient au même, tant que celui à qui s'adressent ces « signes » n'a pas encore pris conscience de leur contingence par rapport à « al-Haqq », la Vérité absolue qui se tient au delà de tout langage. Une fois cette prise de conscience achevée, une fois la « rencontre » opérée avec le « Seigneur », qui est le Référent ultime de tout symbole, toute référence au temps disparaît, et les choses apparaissent en simultanéité comme « enveloppées » dans la Réalité unique, ce qui révèle le caractère foncièrement illusoire de toute succession. Ou, comme le dit encore Ghazâlî à propos du verset de la Face, ce n'est pas dans un futur plus ou moins proche, c'est actuellement que toute chose est « évanescente », qu'elle a déjà réalisé effectivement son « extinction », au moins aux yeux de celui qui en toute chose est parvenu à contempler la Face de la Vérité. Ce n'est donc pas essentiellement un processus d'ordre temporel, mais d'ordre intellectuel. C'est l'intellect qui en est la condition véritable, com
me le témoin privilégié ; d'ailleurs c'est pour lui seul, en quelque sorte, que tout cela existe. Ce qui est assez logique, car tout signe, pour exister véritablement en tant que signe, a besoin d'un « pouvoir de réception », d'un être qui le reçoit, l'interprète, le comprend en tant que signe, sans quoi il ne peut jouer son rôle signifiant. Or, nous avons vu plus haut que signifier voulait dire « présentifier », rendre présent une réalité invisible qui se cache « derrière » le symbole qui la révèle. Le pouvoir de réception à l'égard duquel opère le signe – en l'occurrence symbolique – doit donc d'abord être capable de recevoir la présence du référent lui-même ; ce qui veut dire qu'il doit posséder en lui-même, à titre premier, l'intuition de cette présence que la « lumière du symbole » ne fait qu'actualiser. Dans le cas de l'intellect, en tout cas, il est clair que les êtres de l'univers, matériel ou immatériel, ne jouent à son égard ce rôle de symboles du divin que parce qu'il possède l'intuition du divin en lui, parce qu'il est lui-même un symbole du divin, le Symbole des symboles, le premier resplendissement tourné vers l'extérieur de la Lumière divine (...).
L'intellect pleinement réalisé est celui qui, détaché de toute forme contingente, s'est fixé durablement dans l'intuition de la Présence divine, jusqu'à s'identifier à cette Présence même, dont plus rien ne le distrait, pas même sa propre existence. Il est la Lumière divine universelle, c'est-à-dire Dieu même, en tant qu'Il S'intuitionne Lui-même de façon parfaite et infinie, c'est-à-dire en tant qu'Il est Témoin de sa propre Unité, ce qui revient à réaliser le parfait, pur et universel. Un tel intellect n'a rien à voir avec l'existence contingente d'un être individuel ; il est une réalité universelle, principielle, à laquelle l'homme – et lui seul parmi tous les êtres de l'univers visible – peut s'identifier dans la mesure où il s'est « éteint à lui-même » et aux choses contingentes, par un travail de purification et de transformation qui est l'objet de la discipline initiatique. L'intellect pur, l'intellect « en acte » selon la terminologie consacrée, transcende l'homme lui-même, et constitue d'autre part l'essence de l'homme, l'Homme véritable et transcendant – que seul le Prophète a manifesté intégralement en mode visible. Il n'est d'ailleurs pas une chose à proprement parler, une réalité que l'on pourrait saisir objectivement, mais un acte : l'acte d'auto-dépassement vers le Soi divin de toute réalité objectale, dont la réalisation comme symbole du divin coïncide avec la suppression comme voile de la Réalité divine. C'est dans l'intellect que l'homme, et avec lui l'univers entier, fait retour à Dieu après avoir procédé, et réalise ainsi le but de la procession ; c'est dans l'homme, non pas certes dans tout homme, mais dans l'homme spirituel, en tant qu'intellect en acte, que s'opère la coïncidence entre tous les symboles et leur Référent transcendant universel, entre toute réalité et la Réalité absolue ; c'est en lui que toute chose réintègre l'Unité principielle, par l'acte volontaire d'une pure relativité qui s'abolit elle-même en se rapportant à l'Absolu – rapportant toute chose avec elle par le même mouvement.
Ainsi, en résumé, l’Unité de l’Existence ou de l’Être – selon les différentes acceptions que l’on peut donner au terme arabe – n’est pas quelque chose de statique, figé, et le rapport du Principe à sa manifestation n’est pas non plus celui d’une identité « a = a » ou d’une coïncidence plus ou moins parfaite, mais donnée une fois pour toute ; c’est une relation vivante, dialectique, un procès au cours duquel l’Unité principielle se en mode descendant dans la multiplicité des êtres, qui en retour se réalise en elle en mode ascendant. De telle manière que ce mouvement de déploiement de la révélation à partir de l’Un ineffable et transcendant trouve son accomplissement véritable et (par conséquent) sa possibilité ultime dans le mouvement inverse, symétrique, de repliement et de retour à l’Un. Enfin, il est encore à noter que ce double mouvement cyclique de déploiement-repliement s’effectue autour, à partir de et vers l’Unité, mais sans L’affecter en aucune manière ; c’est pour l’intellect qu’il y a révélation et occultation du Principe ; quant au Principe Lui-même, un hadith célèbre dit qu’ « Allah était (dans la prééternité) tel qu’il n’y ait rien avec Lui, et Il est à présent tel qu’Il était (alors) », autrement dit, le devenir cyclique de la manifestation ne concerne que la manifestation elle-même : il appartient par essence au Principe d’y être totalement soustrait. C’est pourquoi, dans son vaste traité du commentaire des Noms excellents d’Allah, le cheikh ibn Barrajân (illustre soufi andalou) fait dériver le nom même d’Allah d’une racine verbale signifiant « être distrait, détourné » ; et dans son commentaire du nom « l’Un », où il expose la doctrine des cycles, il explique que ce que confère essentiellement le Principe aux choses qui procèdent de Lui – bien qu’en Lui-même Il soit au-delà du mouvement et du repos comme tels – c’est un repos, un pur « rester-en-soi » qui limite la tendance du manifesté à se fragmenter et l’empêche de se perdre dans les brumes de l’indéfini, permettant ainsi à la manifestation d’exister. Du reste l’intellect – dont nous avons vu plus haut le rôle important qu’il joue dans le procès – a pour fonction première et essentielle de lier (selon le sens premier du mot en arabe), d’unifier : en tant que Symbole des symboles, qu’Idée suprême chargée d’unifier tout le manifesté pour le rapporter au Principe non-manifesté, il ne peut jouer ce rôle que par la présence en lui de l’Unité absolue, celle qui n’a même pas eu besoin de s’ « unifier » elle-même car elle était toujours déjà Une et exempte de toute « trace » de multiplicité ; c’est parce qu’il touche de lui-même, par en haut, à cette Unité suprême du Principe qui demeure à jamais en Lui-même, tel qu’en Lui-même, sans avoir besoin d’aucune espèce de « conversion », que l’intellect peut remplir sa fonction, de ramener toute chose et de se ramener lui-même à l’Unité ; et c’est par là aussi que quelque chose peut « procéder » de l’Un, l’intellect, par son enracinement ontologique en ce dernier, assurant la fonction de « retour » sans laquelle il n’y aurait pas de déploiement possible (puisque alors les choses seraient à jamais incapables de réellement « refléter » le divin, c’est-à-dire de conduire à Lui).
Paix et Salut,
L.