Quelles sont les raisons qui peuvent motiver un retour (ndlr des "compétences") ?

Un extrait d'un article intéressant
Auteur - Hicham Jamid, docteur en sociologie et spécialiste des migrations


Comme je l’explique dans mon travail doctoral, le retour des migrants hautement qualifiés au Maroc, qu’il soit ponctuel ou définitif, et leur circulation entre leur pays d’immigration et leur pays d’origine n’est pas un épiphénomène, mais bien une réalité tangible. En marge de cas de retours occasionnellement dépeints dans des émissions de chaînes de radio et de télévision marocaines, souvent rapportés sous forme de success stories mettant en valeur leur parcours professionnel via la création d’entreprises notamment, plusieurs formes de réinstallation de ce profil de migrants marocains existent, mais restent toutefois peu visibilisées.

Ainsi, si la fonction publique, premier employeur par le passé, ne recrute plus autant et n’attire pas non plus comme auparavant les Marocains hautement qualifiés formés à l’étranger, une grande variété de secteurs économiques porteurs leur offrent aujourd’hui des perspectives de carrière au Maroc. Le secteur privé, notamment grâce à l’afflux des Investissements Directs Étrangers (IDE), demeure un acteur majeur de l’économie marocaine qui présente des opportunités d’emploi pour ce profil de migrants marocains. Dès lors, au regard de l’essor qu’a connu ce secteur économique au cours des dernières années, et en raison de l’installation croissante de plusieurs firmes multinationales amplement insérées dans les chaînes de valeur mondiales (les industries automobile et aéronautique, agroalimentaire, pharmaceutique, électronique, offshoring, etc.), il existe une réelle migration de retour des Marocains hautement qualifiés, certes peut documentée, mais qui va à l’encontre de ce que laisse penser le débat politico-médiatique sur la «fuite des cerveaux».

En tout cas, les résultats de ma thèse montrent que la forte préoccupation qu’accordent ce profil de migrants à leurs carrières et à leur devenir professionnelles sont des facteurs déterminants dans le choix de s’installer à l’étranger ou de retourner dans le pays d’origine. En effet, si occuper un emploi en rapport avec la formation suivie et travailler dans un environnement jugé plus propice en termes de progression et d’épanouissement professionnel sont invoqués comme des facteurs pesant dans la décision d’installation à l’étranger, et bien le retour au pays d’origine peut également s’inscrire dans une stratégie de valorisation du diplôme et de l’expérience professionnelle accumulée à l’étranger.

Dans le cas des migrants marocains que j’ai rencontré, en effet, compte tenu des débouchés professionnels qui s’offrent à eux au Maroc, et au regard des perspectives de carrière qui y sont possibles, plusieurs d’entre eux envisagent leur retour dans la continuité de leur carrière, mais aussi dans la perspective d’atteindre des postes auxquels ils n’auraient pas forcément eu accès à l’étranger. Dans ce cadre, plusieurs personnes que j’ai rencontrées ont pointé du doigt la problématique de «plafond de verre» comme facteur ayant pesé sur leur décision de retourner au Maroc. Avec leur retour, ils ont pu accéder à des postes de responsabilité et de management. Je me souviens d’un cadre supérieur qui me disait : «En France on est des cadres, mais pas des cadres dirigeants». Cela pour dire que le retour des Marocains hautement qualifiés n’est donc pas toujours le fruit d’une décision volontaire, appréhendée comme une opportunité ou comme un acte «allant de soi» pour reprendre Abdelmalek Sayad. Dans certains cas, le retour au pays d’origine peut aussi être involontaire, subi et imposé par les obstacles que rencontrent ces migrants hautement qualifiés à l’étranger. Ceux-ci peuvent relever de leur statut juridique, de l’état du marché du travail et parfois des traitements discriminatoires auxquels ils ont été confrontés dans le pays d’immigration.

Par ailleurs, si toutes les personnes que j’ai interrogées indiquent qu’elles ont globalement réussi leur insertion professionnelle au Maroc, dans les nouveaux secteurs porteurs de l’économie marocaine et avec des perspectives de carrière plus avantageuses qu’en France, plusieurs d’entre elles soulignent que leur retour implique également des dimensions et des considérations plus personnelles. Par exemple, le besoin d’être auprès de la famille, le désir de ne pas vouloir laisser les parents seuls au Maroc et la volonté de vivre dans le pays où l’on a été socialisé et dont on maitrise les références culturelles et religieuses, sont parmi les facteurs personnels les plus souvent invoqués.
 
Ainsi, au cours des entretiens menés avec eux, certains ingénieurs et cadres supérieurs diplômés en France expliquent que leur retour au Maroc a été à la fois un devoir auquel ils ne pouvaient déroger et un moyen de s’acquitter d’une «dette morale» qu’ils estimaient avoir vis-à-vis de leur famille, principalement envers leurs parents. En effet, plusieurs d’entre elles et eux aspirent, à travers leur retour, à «rendre la pareille» à leur famille, dans une relation diffuse de don contre don pour reprendre la formule de Marcel Mauss (1925).

La formation du couple et les préoccupations liées à l’éducation des enfants, notamment en ce qui concerne la transmission de certaines valeurs, sont aussi parmi les facteurs personnels qui expliquent le retour de certains diplômés interrogés au Maroc. Les considérations «matérielles» sont également à prendre en compte. En effet, plusieurs d’entre eux qualifient la vie en France comme étant stressante, dure et individualiste. Ils considèrent alors leur retour au Maroc comme une opportunité de pouvoir vivre dans un pays connu pour son climat ensoleillé et pour sa qualité de vie. Grace aux emplois occupés, ils ont un pouvoir d’achat important, leur permettant d’accéder à un bien-être économique et à une position sociale plus valorisante qu’en France.



...Suite : https://www.yabiladi.com/articles/d...tences-l-etranger-mobilisation-inachevee.html
 
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