Une tribune paru dans le Monde , ce Week end, écrite par Hakim el Karoui, qui était conseiller de Raffarin, quand il était Premier Ministre et chargé également de la rédaction de ses discours ( oui, oui, son nom est Hakim, et il est dorigine maghrébine) où il explique pourquoi il ne va pas voter sarkozy, mais plutot Royal
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Chiraquien mais pas sarkozyste !
J'étais chiraquien tendance "France d'en bas" et j'ai travaillé dans plusieurs gouvernements entre 2002 et 2006. J'étais fier d'appartenir à une équipe menée par Jacques Chirac, président humaniste dont les mandats ont été marqués par plusieurs décisions majeures : la reconnaissance de la culpabilité de la France dans les crimes de Vichy, l'opposition à la guerre en Irak, un regard non occidentalo-centré sur les affaires du monde, l'engagement contre les discriminations, la réforme des retraites.
Au-delà des contingences politiques, les actes de Jacques Chirac ont été guidés par une idée forte : l'égalité entre les hommes dont son grand oeuvre, le Musée du quai Branly, est l'emblème. "Il n'existe pas plus de hiérarchie entre les arts qu'il n'existe de hiérarchie entre les peuples" (20 juin 2006, discours d'inauguration du Quai Branly). Aucune culture, aucun homme n'est supérieur aux autres. Qu'il soit français ou immigré, catholique, juif ou musulman.
Nicolas Sarkozy a choisi une autre voie. Je ne la partage pas. Il a le mérite de proposer un choix clair, un programme cohérent, résolument "de droite" fondé sur une idée : celle de l'inégalité parmi les hommes. Ce conflit entre égalité et inégalité est, je crois, structurant. Les uns croient en l'inégalité, en l'inné plus qu'en l'acquis, en l'ordre établi, en la discrimination positive, en l'immanence d'une nation qui est une tradition à laquelle il faut se soumettre, ils portent haut et fort les valeurs de l'Occident et refusent les droits de succession "égalitaristes". Les autres se retrouvent autour de l'idée d'égalité des hommes et des cultures, croient en la capacité de réinvention continue de la nation que l'immigration enrichit plutôt qu'elle ne menace et admettent que le contexte familial, social et culturel a une part majeure dans l'évolution des individus.
Le conflit entre Jacques Chirac et Nicolas Sarkozy était donc bien plus qu'un conflit de filiation, une opposition entre César et Brutus. C'était le conflit entre deux idées de l'homme. Et aussi, plus accessoirement, entre deux analyses de la société. Là où Jacques Chirac voulait d'abord assurer la cohésion, la cohérence, le rassemblement, Nicolas Sarkozy crée du conflit, oppose les uns aux autres (ceux qui se lèvent tôt à ceux qui se lèvent tard, les Français aux immigrés, les fonctionnaires aux salariés du privé...), croit toujours que l'on n'en fait pas assez.
Il est vrai qu'il ne semble jamais rassasié d'actions... et de provocations. Se poser en victime du "front des haines" après la campagne qu'il vient de faire, c'est quand même culotté !
Côté socialiste, que s'est-il passé ? Le même conflit - atténué - entre égalité et inégalité que les héritiers de la "deuxième gauche" ont voulu justifier avec l'idée empruntée à John Rawls (1921-2002) selon laquelle l'inégalité est justifiée dès lors qu'elle profite à tous. C'était un peu le débat entre Laurent Fabius et Dominique Strauss-Kahn que Ségolène Royal a posé différemment en emportant tout sur son passage.
Et c'est à elle aujourd'hui que revient la responsabilité de moderniser le logiciel socialiste et de choisir entre égalité et inégalité. Son engagement politique issu du féminisme, sa vision d'une "République métissée", sa capacité à interroger le consensus libre-échangiste laissent penser qu'elle orientera le Parti socialiste vers le choix de l'égalité.
Dès lors, la question se pose : peut-on, quand on a apprécié la politique de Jacques Chirac et partagé cette idée d'égalité, peut-on voter pour celui qui porte l'idée opposée ? La réponse me semble claire. C'est non.
Ségolène Royal peut-elle être à sa manière porteuse de cette idée de l'homme qui est à mes yeux plus importante que tout ? La réponse n'est pas certaine, mais j'en fais le pari. Je voterai Ségolène Royal.