Beurette ****** !"02/07/2007
Fatima Aït Bounoua
Parue dans Libération le 20 février 2007
Je croyait naïvement que « Beurette » était simplement le féminin du terme argotique « beur », lui même verlan d’arabe. Mais ce suffixe « –ette » change bien plus que le genre du nom.
En effet, si vous tapez « beur » sur Google vous trouverez le site Beur FM, la définition du mot ainsi que des sites variés…. Par contre, tapez « beurette », et là, vous aurez uniquement une liste de sites pornographiques… Et alors ? me direz-vous. Alors…le problème n’est pas l’existence de ces sites pornos mais le fait qu’il n’y ait QUE ces sites. Autrement dit, « la beurette » est devenue, de fait, une catégorie sexuelle. Elle est classée parmi les autres catégories : « gros seins », « fétichiste », « partouze » etc… Etrange, non ?
D’un point de vue pragmatique, on peut me répondre que les sites pornos, en général, sont souvent bien référencés. Ils apparaissent donc en premiers sans être les seuls pour autant. Mais, je ne parle pas de la première page Google, mais des dix premières ! L’abondance des sites pornos au sujet des beurettes est le résultat d’une demande reposant sur plusieurs clichés tenaces. Tout d’abord, la recherche de l’exotisme, de la fille venue d’ailleurs. La beurette ayant cette particularité d’incarner l’exotisme à proximité. En effet, les sites parlent des « beurettes des banlieues » avec l’idée que cette fille typée peut habiter l’immeuble d’en face. On peut penser que le phénomène est le même pour toutes filles dites « exotiques » mais pas exactement. En tapant « asiatiques », « femmes noires » ou « femmes des îles », le phénomène n’a pas la même ampleur.
En effet, pour la jeune femme d’origine magrébine s’ajoute une dimension supplémentaire, toujours présente d’une façon implicite ou non : la transgression de l’interdit religieux. C’est cette transgression qui est mise en scène pour susciter désir et excitation. Ainsi de jeunes femmes voilées se font « baiser » avec comme sous-titre: « Leila n’est pas si coincée ». On notera que pour jouer la « beurette » être brune et bronzée suffit si le nom inventé sonne « arabe » comme Safia, Fatima, ou Leïla. Les sites jouent sur les fantasmes de la prude-****** en utilisant des termes comme « dépravées » qui insistent sur des critères moraux dévoyés. Tout se passe comme si les beurettes étaient forcement des musulmanes, des musulmanes prisonnières et celles du site seraient celles qu’on est parvenu à « libérer » des contraintes religieuses. Les petites histoires racontées vont toutes dans ce sens et les pratiques, souvent la *******, les doubles pénétrations, sont en contraste avec les premières images où la jeune femme est présentée comme chaste et réservée. Les beurettes passent alors pour des femmes assoiffées de sexe qui, comme quelqu’un qui aurait été privé de nourriture depuis longtemps, se jetterait dessus dès que l’accès serait permis. Ces sites seraient donc dans une certaine mesure le revers, la face cachée d’une représentation, caricaturale, de l’islam. Ces représentations reposent sur des clichés largement présents dans l’imaginaire collectif reposant en partie sur des réalités (la rigueur de l’islam) mais aussi et surtout sur des fantasmes reposant sur la peur et la méconnaissance de la communauté concernée.