Adieu mères candidat aux oscars. De Casa à Hollywood

Par Karim Boukhari
Mohamed Ismaïl croit
à son rêve américain…
(TNIOUNI)
Pour la première fois, un film marocain a de sérieux atouts pour briguer la plus prestigieuse récompense dans le monde du cinéma : un oscar.


“And the winner is…”. Douce et belle phrase, la seule, l’unique, qui introduit le nom des vainqueurs aux oscars. Pour la prochaine édition, dont le palmarès sera proclamé dans la soirée du 22 février 2009, Mohamed Ismaïl, cinéaste marocain revenu de loin, rêve de mettre son plus beau smoking, d’embrasser sa femme, la fidèle Maria, de serrer
des mains d’inconnus, tous des amis d’un jour, un soir. Et de monter lire un discours, un peu en anglais, en français, pourquoi pas en arabe, même si personne n’écoute vraiment. Hollywood. Quand Ismaïl, 57 ans bien sonnés, a mis au point son premier film, Aouchtam, en 1996, assez mal accueilli, assez bancal, il n’avait qu’un rêve : celui de pouvoir réaliser un deuxième film, celui de la dernière chance, sans plus. Venu de la télévision et de la publicité, le cinéaste a dû s’accrocher pour monter ce deuxième film, vite transformé en succès public : Et après, sur le hrig, avec le nord du royaume en toile de fond. La suite s’appelle Ici et là, sur le retour (des MRE) impossible. Le quatrième, Adieu mères, a été mis en circulation en 2008. Si vous ne faites pas partie des 22 000 spectateurs (troisième score au box-office des longs métrages marocains distribués en 2008) rassemblés par ce film depuis sa sortie en salle, en février dernier, on vous résume l’histoire : 1960, deux familles, une musulmane et l’autre juive, sont liées d’amitié. Les deux pères de famille font affaire ensemble. Un jour, le juif dit au musulman : “Je quitte le Maroc pour Israël, je te confie ma famille et mes biens”. Le juif émigre clandestinement, mais le bateau qui le transporte échoue en mer : bilan 44 morts, pas de rescapé. Le scénario est inspiré d’un événement historique, pas du tout enseigné dans les manuels scolaires : à l’indépendance du Maroc, des milliers de juifs ont quitté le Maroc avec la bénédiction de Mohammed V, puis Hassan II. Une des toutes premières embarcations qui ont levé l’ancre à destination de la “terre promise” n’est jamais arrivée à bon port. C’est de cet épisode tragique que le quatrième film de Mohamed Ismaïl nous parle, sur le ton de la chronique, des petits détails de la vie quotidienne, des arrangements réussis ou ratés entre amis (le mariage impossible entre une juive et un musulman, la rétrocession du patrimoine d’un juif arnaqué par ses amis musulmans, etc). Joli film, lecture attachante d’un volet peu connu de l’histoire marocaine, et succès très moyen. Adieu mères, dont il est aujourd’hui question d’une ressortie en salle, n’a pas plus attiré les foules (22 000 spectateurs, donc) que séduit les juges du cinéma (zéro prix au dernier Festival national du film).

Un concurrent venu d’Israël
C’est en septembre 2008 que la nouvelle, dûment relayée par l’agence de presse officielle MAP, a surgi comme un canular : un film marocain candidat aux oscars. Rien que ça. Ce qui n’a pas été dit, c’est que Goodbye mothers fait partie des 67 présélectionnés, de par le monde, pour concourir à l’oscar du meilleur film étranger. Comme un vulgaire jeu télévisuel, les oscars fonctionnent en effet par élimination. Des 67 présélectionnés, 62 devront passer à la trappe d’ici janvier 2009. Seuls cinq films atteindront la “finale” du 22 février, laquelle sera soumise au vote de tous les professionnels (acteurs, réalisateurs, techniciens, au total plus de 5000 personnes) qui font le cinéma américain.

Même si Adieu mères est en route pour Hollywood, il n’en est qu’à la toute première étape. Parmi ses 66 concurrents directs, qui viennent du monde entier, on retient la présence de trois films arabes (Egypte, Liban, Palestine), et même d’un quatrième film “musulman” (Turquie). Mais les favoris, déjà, se nomment Entre les murs du Français Laurent Cantet, déjà Palme d’or au dernier Festival de Cannes, et Valse avec Bachir de l’Israélien Ari Folman. Le premier raconte le quotidien d’une classe d’école et le deuxième montre, en mêlant animation et scènes documentaires, un soldat israélien qui revient sur les massacres de Sabra et Chatila. Les thèmes sont forts, les films fédérateurs. Artistiquement, politiquement. Mais notre Ismaïl national a toutes ses chances, même si les bookmakers pourraient lui prêter la plus grosse cote parmi les 67 candidats aux oscars.

“Au-delà de la qualité du film, pour arriver jusqu’à la cérémonie des oscars, il n’y a pas 36 façons de faire : il faut montrer que l’on existe en multipliant les actions de lobbying”, nous a expliqué Mohamed Ismaïl, joint cette semaine à Rome, où son film venait de rafler les meilleurs prix du Festival du cinéma religieux. “J’ai été reçu, au même titre que tous les VIP du Festival, par le pape au Vatican”, a poursuivi le cinéaste marocain, rongé par le stress, la joie, l’excitation de celui qui a une chance à saisir et qui ne sait pas trop comment s’y prendre.

Adieu mères est un film à thème. Il est un peu l’ambassadeur du Maroc à Hollywood. Deux des plus importants rendez-vous du cinéma arabe, à Beyrouth et à Carthage, ont refusé de programmer le film. La nature du sujet (le chapitre juif dans l’histoire récente d’un pays arabe) doit y être pour beaucoup. Raison politique. Pour le Caire, autre festival-clé pour le marché arabe, Ismaïl a préféré ne pas postuler, ne croyant guère à ses chances d’être pris. Qu’à cela ne tienne, le film, adoubé par la communauté juive au Maroc, a été doublé en hébreu avant une sortie imminente en Israël. Adieu mères devrait aussi bénéficier d’une sortie en Belgique, peut-être en France, et dans d’autres pays européens.

À Bruxelles, le film a été projeté devant un parterre de députés européens. “Avec l’appui de l’ambassade du Maroc en Belgique, qui a été au four et au moulin”, souligne le réalisateur. D’autres actions de lobbying (projections privées, tournées, réceptions) seront sans doute nécessaires, notamment aux Etats-Unis, pour espérer voir Adieu mères parmi les cinq finalistes des oscars. Hollywood, c’est loin, mais l’espoir est permis. Le film peut compter sur ses qualités propres, bien sûr. Et sur un socle que personne n’a envie de voir disparaître : la cohabitation entre musulmans et juifs est et restera possible.





Lobbying. L’exception américaine

Peu avant l’été 2008, le Centre cinématographique marocain (CCM) a reçu une correspondance de l’Académie des Oscars. “Prière de nous transmettre un film pour représenter le Maroc”. La démarche est nouvelle et l’explication double. 1 : les Oscars s’ouvrent sur de plus en plus de pays dans le monde, 2 : le cinéma marocain est pris au sérieux. Même sans récompense majeure (Palme, Lion, Ours d’or), le cinéma marocain apprend à s’exporter, notamment en Europe. Et les festivals organisés au Maroc, malgré leurs insuffisances, gagnent en crédit. “Parmi les conditions imposées par l’Académie des Oscars, la plus incontournable s’appelle indépendance et crédibilité de la commission de visionnage des films locaux”, nous explique Noureddine Saïl, directeur du CCM. Une commission de sept personnes (cinéastes, techniciens, chercheurs) a planché sur 13 films marocains avant d’en dégager le plus représentatif pour concourir aux Oscars. Deux tours ont été nécessaires pour départager les votes et arriver au résultat final, communiqué en septembre dernier : Adieu mères. “Le choix n’a pas été facile, mais il a pris en compte la nature du sujet et son importance dans le contexte mondial actuel”, nous a confié un membre de la commission. Historiquement, Adieu mères est le troisième film à être présélectionné pour les Oscars, et non le deuxième comme cela a été largement répercuté ici et là. En 1997, Nabil Ayouch avait tenté de forcer le passage avec son premier film, Mektoub. En 2007, c’était le tour de La Symphonie marocaine de Kamal Kamal. Les deux ont été recalés avant la finale… “Si nous avons échoué, c’est que nos films n’ont pas été assez vus par les juges américains”, nous résume Kamal Kamal. A Hollywood, comme à Washington, les élections aux Oscars ou aux présidentielles reposent d’abord sur de gigantesques opérations de communication.



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