Après 15 ans de travaux, l'Éthiopie inaugure son mégabarrage controversé sur le Nil

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Un gage de « prospérité ». Après quatorze ans de travaux, l’Éthiopie a officiellement inauguré son Grand barrage de la Renaissance (Gerd) sur le Nil, mardi 9 septembre 2025.

Lancé en 2011 pour un montant de 4 milliards de dollars, le Gerd est un immense ouvrage de près de deux kilomètres de large pour 170 mètres de haut, et d’une contenance totale de 74 milliards de mètres cubes d’eau, selon les derniers chiffres communiqués par l’entreprise italienne Webuild, maître d’œuvre du barrage. Des chiffres vertigineux qui font de l’édifice le plus grand ouvrage hydroélectrique d’Afrique.
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Un milliard de dollars de recettes par an​

Pour le deuxième pays le plus peuplé d’Afrique, où quelque 45 % des 130 millions d’habitants n’ont pas accès à l’électricité, le barrage est un gage de « révolution énergétique », selon des experts. Le Gerd « change la vie de 30 à 40 millions de personnes » en Éthiopie, a qui il donnera accès à l’électricité, s’est félicité le patron de Webuild, Pietro Salini, interrogé par l’Agence France-Presse. « Notre objectif est que d’ici à 2030, au moins 90 % de notre population ait accès à l’électricité », a espéré le ministre de l’Eau et de l’Énergie, Habtamu Ifeta à la BBC .

Plusieurs turbines sur les 13 prévues sont déjà en activité depuis 2022. Le mégabarrage doit atteindre à terme une capacité de production de 5 150 mégawatts (MW), soit plus du double de ce que l’Éthiopie produit actuellement. En ordre de grandeur, 1 000 mégawatts correspondent à la puissance délivrée par un réacteur nucléaire en France (entre 900 et 1 450 MW). Une telle capacité permet d’alimenter quelque 500 000 foyers européens de façon continue.

Cette production d’énergie va également permettre à Addis Abeba de générer d’importantes recettes grâce à l’électricité vendue à ses voisins. Le Premier ministre a estimé, la semaine dernière, ses retombées à 1 milliard de dollars par an. Le président sud-soudanais Salva Kiir, présent lors de l’inauguration de l’édifice à Guba, mardi 9 septembre 2025, a ainsi déjà indiqué qu’il allait signer un accord avec l’Éthiopie pour l’achat d’électricité.

Le Gerd, une « menace existentielle » pour l’Égypte​

Mais si le mégabarrage est l’un des rares sujets faisant l’unanimité dans cet état déchiré par des conflits armés, les pays en aval ne cachent leurs inquiétudes. L’Égypte, fer de lance de cette contestation depuis 2011, qualifie même l’ouvrage de « menace existentielle » pour sa souveraineté hydrique et agricole.

Pour cause : le Gerd se trouve sur le Nil Bleu, qui prend sa source en Éthiopie et s’écoule jusqu’au Soudan, où il rencontre le Nil Blanc pour former le Nil. Le Nil Bleu fournit jusqu’à 85 % des eaux du Nil. Or, l’Égypte et ses environ 110 millions d’habitants dépendent à 97 % du fleuve pour leurs besoins hydriques, notamment pour l’agriculture.

Le président américain Donald Trump, solide allié du Caire, a déclaré que les États-Unis avaient « stupidement financé » la construction du barrage, qui réduit « considérablement » le débit du Nil, faisant en écho aux préoccupations de l’Égypte. L’Éthiopie a rejeté cette affirmation, la qualifiant de « fausse » et insistant sur le fait que le barrage avait été autofinancé.

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En aval du fleuve, le Soudan a partagé les inquiétudes du Caire. Mais son ton est plus modéré : le barrage pourrait permettre à l’État une meilleure gestion des inondations et un accès à une énergie bon marché. « Le Soudan est l’un des principaux bénéficiaires du barrage, mais aussi l’un des grands perdants si les risques ne sont pas limités », avait estimé, en 2020, le Premier ministre soudanais de l’époque, Abdallah Hamdok.

Les différentes tentatives de médiation entre les trois pays – sous l’égide successivement des États-Unis, de la Banque mondiale, de la Russie, des Émirats arabes unis et de l’Union africaine – ont toutes échoué.
 

« L’Éthiopie mène une politique de contre hégémonie »​

Mardi 9 septembre, dans une lettre de protestation adressée au conseil de sécurité de l’Onu, le ministère des Affaires étrangères égyptien a dénoncé la décision « unilatérale » de l’Éthiopie d’exploiter le Gerd « en violation du droit international ».

Le Caire invoque un droit historique sur le fleuve, garanti par un traité signé en 1929 entre l’Égypte et le Soudan, alors représenté par le Royaume-Uni, puissance coloniale. L’Égypte avait obtenu un droit de veto sur la construction de projets sur le fleuve. En 1959, après un accord avec Khartoum sur le partage des eaux, l’Égypte s’était attribué un quota de 66 % du débit annuel du Nil, contre 22 % pour le Soudan.

N’étant pas partie prenante de ces accords, l’Éthiopie estime ne pas être juridiquement contrainte de les respecter. D’autant qu’en 2010, un nouveau traité signé par les pays du bassin du Nil a supprimé le droit de veto égyptien et autorisé des projets d’irrigation et de barrages hydroélectriques.

Au-delà des questions techniques de remplissage du barrage et de débit du Nil, le Gerd remet donc en question les équilibres géopolitiques de la région. Car l’ouvrage Éthiopien détrône l’Égypte dans son rôle de puissance hydro-hégémonique qui a longtemps affirmé sa domination sur le bassin du Nil.

Comme l’explique à nos confrères de France Culture David Blanchon, agrégé de géographie, « l’Éthiopie mène une politique de contre hégémonie et dit que tous les États du bassin sont égaux et qu’elle a le droit de maîtriser les eaux dans son territoire avec ce grand barrage ». L’auteur de Géopolitique de l’eau : entre conflits et coopérations (Le Cavalier bleu, 2024) ajoute : « Pour l’Éthiopie, il s’agit de s’affirmer comme la grande puissance hydroélectrique, énergétique, de cette partie du continent […] et comme une puissance industrielle émergente. »

Un conflit ouvert est « peu probable »​

En amont de l’inauguration de l’édifice, l’Égypte a averti qu’elle se réservait le droit de « prendre toutes les mesures appropriées pour défendre et protéger les intérêts du peuple égyptien ». En parallèle, Le Caire a renforcé ses liens avec l’Érythrée et la Somalie, deux pays qui entretiennent des relations tendues avec l’Éthiopie.

Le barrage pourra-t-il déclencher un conflit ouvert entre l’Éthiopie et l’Égypte ? C’est « peu probable », selon les différents chercheurs interrogés par l’AFP. D’autant que l’Éthiopie, qui remplit le réservoir par étapes depuis 2020, se veut rassurante. « À nos frères : l’Éthiopie a construit ce barrage pour faire prospérer, pour électrifier toute la région et pour changer l’histoire des peuples noirs, a assuré Abiy Ahmed aux pays en aval lors de l’inauguration. Il ne s’agit absolument pas de nuire à ses frères. »

Les barrages « libèrent de l’eau pour produire de l’énergie. Ce ne sont donc pas des systèmes d’irrigation qui consomment de l’eau », a acquiescé Pietro Salini de Webuild, pour qui il n’y aura « pas de changement dans le débit » du Nil. Des recherches indépendantes citées par Reuters indiquent que, jusqu’à présent, aucune perturbation majeure du débit en aval n’avait été enregistrée.
 
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