Après la chute des dictateurs, les élections... Entre optimisme démocratique et crainte d'un islamisme trop radical, les sociétés arabes avancent vers une nouvelle ère incertaine. L'édito de Christophe Barbier.
C'est une peur qui chemine alors que les armes se taisent et que s'élève le brouhaha des urnes. Une peur un peu honteuse, tant l'irénisme est de rigueur, et tenace aussi, le remords d'avoir si longtemps soutenu des dictateurs, avec, pour seule raison, cynique mais valable, d'être en sécurité sur nos rives. Une peur nourrie par les cris des coptes massacrés en Egypte, les premières élections en Tunisie et l'engagement du Conseil national de transition libyen à faire de la charia la "source première de la loi". Cette peur, c'est celle de l'islamisme, celle d'un pouvoir barbu et liberticide, dont les imams psychopathes remplaceraient les militaires d'opérette et les despotes débauchés d'hier.
Jamais cette crainte n'a abandonné les esprits occidentaux, même si le vacarme de la fête droits-de-l'hommiste l'a reléguée depuis janvier dans l'arrière-boutique de la foire-fouille sondagière. Elle ressort aujourd'hui parce que nous sommes dans un marécage idéologique, un entre-deux politique où les potentats sont déchus, mais les démocraties, pas encore installées. Balbutiantes et vacillantes, elles sont comme un enfant effrayé par ses premiers pas dans un monde vertigineux. Arabes et Occidentaux, tous épris de paix et de liberté, nous sentons que quelque chose a gagné, qui était juste, mais qu'autre chose aujourd'hui menace, qui est terrible. Et si rebelles et révoltés avaient oeuvré, à leur insu, pour préparer le règne des imams? Et si nous avions fourni, enfants béats de Danton et de Rousseau, le moteur démocratique au véhicule islamiste? S'imposer par une révolution ou une guerre civile n'est rien à côté d'élections gagnées: l'islamisme pourrait bien, demain, affirmer être légitime selon les critères mêmes de l'Occident. Que répondrons-nous?
Craintes d'un nouveau scénario algérien
Aujourd'hui, les sirènes de l'optimisme chantent à tue-tête qu'il n'y a rien à craindre, que c'est un islam modéré, "intermédiaire", qui donne le la des nouveaux régimes, qu'il ne s'agit que d'invoquer des principes sans corseter la vie quotidienne ni bâillonner les libertés au berceau. Elles n'ont à la bouche que l'exemple de la Turquie, où islamisme et démocratie barbotent en harmonie dans le bain de miel de la prospérité économique. C'est oublier la cure de laïcité imposée jadis à son peuple par Kemal Atatürk, ce vaccin longue durée. Plutôt que le modèle turc, c'est le scénario algérien qui risque d'advenir. Il y a vingt ans, l'Algérie faillit tomber dans l'intégrisme par la fente des urnes, il fallut interrompre le processus électoral et engager la bataille armée.
http://www.lexpress.fr/actualite/monde/apres-le-printemps-arabe-l-hiver-islamiste_1044350.html
C'est une peur qui chemine alors que les armes se taisent et que s'élève le brouhaha des urnes. Une peur un peu honteuse, tant l'irénisme est de rigueur, et tenace aussi, le remords d'avoir si longtemps soutenu des dictateurs, avec, pour seule raison, cynique mais valable, d'être en sécurité sur nos rives. Une peur nourrie par les cris des coptes massacrés en Egypte, les premières élections en Tunisie et l'engagement du Conseil national de transition libyen à faire de la charia la "source première de la loi". Cette peur, c'est celle de l'islamisme, celle d'un pouvoir barbu et liberticide, dont les imams psychopathes remplaceraient les militaires d'opérette et les despotes débauchés d'hier.
Jamais cette crainte n'a abandonné les esprits occidentaux, même si le vacarme de la fête droits-de-l'hommiste l'a reléguée depuis janvier dans l'arrière-boutique de la foire-fouille sondagière. Elle ressort aujourd'hui parce que nous sommes dans un marécage idéologique, un entre-deux politique où les potentats sont déchus, mais les démocraties, pas encore installées. Balbutiantes et vacillantes, elles sont comme un enfant effrayé par ses premiers pas dans un monde vertigineux. Arabes et Occidentaux, tous épris de paix et de liberté, nous sentons que quelque chose a gagné, qui était juste, mais qu'autre chose aujourd'hui menace, qui est terrible. Et si rebelles et révoltés avaient oeuvré, à leur insu, pour préparer le règne des imams? Et si nous avions fourni, enfants béats de Danton et de Rousseau, le moteur démocratique au véhicule islamiste? S'imposer par une révolution ou une guerre civile n'est rien à côté d'élections gagnées: l'islamisme pourrait bien, demain, affirmer être légitime selon les critères mêmes de l'Occident. Que répondrons-nous?
Craintes d'un nouveau scénario algérien
Aujourd'hui, les sirènes de l'optimisme chantent à tue-tête qu'il n'y a rien à craindre, que c'est un islam modéré, "intermédiaire", qui donne le la des nouveaux régimes, qu'il ne s'agit que d'invoquer des principes sans corseter la vie quotidienne ni bâillonner les libertés au berceau. Elles n'ont à la bouche que l'exemple de la Turquie, où islamisme et démocratie barbotent en harmonie dans le bain de miel de la prospérité économique. C'est oublier la cure de laïcité imposée jadis à son peuple par Kemal Atatürk, ce vaccin longue durée. Plutôt que le modèle turc, c'est le scénario algérien qui risque d'advenir. Il y a vingt ans, l'Algérie faillit tomber dans l'intégrisme par la fente des urnes, il fallut interrompre le processus électoral et engager la bataille armée.
http://www.lexpress.fr/actualite/monde/apres-le-printemps-arabe-l-hiver-islamiste_1044350.html