"Arabe", la démocratie ne sera que prison des peuples

Lors de toute théorie relative à la démocratisation des pays "arabes", il est question de reconnaissance des minorités. Ce qui n'est faux au demeurant. Mais est-ce une thèse sans grief compte que même l'Europe s'uniformise sans prendre garde aux spécificités des peuples comprenant ses 27 membres?
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A la faveur des mouvements contestataires qui bouleversent actuellement certains pays d'Afrique du Nord et du Moyen-Orient, analystes, journalistes et hommes politiques usent fréquemment d'une étrange expression : "démocratie arabe". Ce vocable apparemment inoffensif est cependant gros de conflits à venir. Pourquoi la démocratie, appliquée aux régions sus-citées, devrait-elle se voir ethnicisée ? En quoi la Tunisie, l'Égypte, la Libye ou la Syrie requièrent-elles une forme particulière de démocratie, laquelle ne saurait être autre qu'"arabe"?

L'arabité posée en constante essentielle à tout système politique nord-africain ou moyen-oriental constitue une concession de taille aux idéologies dont les révolutions actuelles marquent pourtant la faillite. Une démocratie "arabe" se révèlera n'être que la continuation des idéologies nationalistes arabes, dans leurs variantes nasséristes ou baasistes. Au XXe siècle, le nationalisme arabe a agrégé à une conception de la nation et de la langue héritée de Fichte, des notions de socialisme (Michel Aflak) et d'islamité (Chekib Arslan). Selon lui, l'Islam, en tant que religion née en Arabie et révélée en langue arabe, joue un rôle de ciment de la "nation arabe"..

Des régimes dont le caractère central est la promotion de l'arabité s'imposent dans les années 1950 et 1960. Loin de favoriser l'éclosion démocratique, chaque régime se réclamant de l'une ou l'autre branche de la "renaissance arabe" a immanquablement basculé dans la dictature policière ou militaire. Cette obsession ethnique contredit un des piliers de la démocratie moderne: les droits garantis des minorités. De fait, contrairement au rêve panarabiste d'une seule nation, de l'Atlantique au Golfe d'Oman, la réalité fait cohabiter de multiples peuples sur les terres revendiqués par la "Nation arabe". Les intellectuels fondateurs du nationalisme arabe ne l'ignoraient pas: Michel Aflak évoque le cas des Kurdes de Syrie et d'Irak qui, selon lui, devront s'assimiler à l'environnement arabe. Quant à Chekib Arslan, il dénonce le "dahir berbère" qui accorde en 1930 aux populations berbères du Maroc la possibilité d'être jugées selon leur droit coutumier et non par les caïds du sultan.

Source:Le Monde

http://www.lemonde.fr/idees/article...sera-que-prison-des-peuples_1569077_3232.html
 
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