Arnaque: la vérité sur les dérives du trading en ligne

De plus en plus d’internautes sont victimes d’arnaques sur le marché des changes, via des sites souvent pilotés en sous-main depuis Israël. Enquête sur un fléau qui aurait coûté 4 milliards d'euros aux Français.C’est une opération coup de poing menée par les policiers français et le Lahav 433, surnommé le "FBI israélien", spécialisé dans la criminalité organisée. Fin mars, quinze personnes ont été interpellées et emmenées dans les locaux de l’unité d’élite, près de l’aéroport de Tel-Aviv, pour être interrogées par la juge Aude Buresi et un membre du parquet de Paris. Objectif: trouver les vrais responsables de faux sites de trading (FXGM, 4XP, Beforex…), qui faisaient miroiter aux internautes des rendements allant de 20 à 88%! Dans ce dossier révélé par Le Journal du dimanche, le magot amassé par les escrocs s’élèverait à 105 millions d’euros. Cette affaire est loin d’être un cas isolé. Depuis 2010, les épargnants français auraient perdu la bagatelle de 4 milliards d’euros à cause de ce type d’arnaque. Un chiffre donné par le procureur de Paris François Molins le 31 mars, lors d’une conférence de presse avec l’Autorité des marchés financiers (AMF), qui multiplie les actions de sensibilisation. Le ministre des Finances Michel Sapin a aussi introduit dans son projet de loi anticorruption, examiné à l’Assemblée à partir du 25 mai, un article pour limiter la publicité des sites de trading. Une preuve que le fléau inquiète au plus haut niveau.

89 % des clients sont perdants
Les sites incriminés proposent d’acheter et de revendre des devises sur le Forex, le marché des changes, ou de prendre des "options binaires": vous pariez sur l’évolution d’un actif dans l’heure et remportez la mise si le pari se réalise ou perdez tout dans le cas contraire, du pur casino. Et l’effet de levier permet de gagner ou de perdre bien plus que la mise de départ (jusqu’à 400 fois!). L’activité a explosé depuis une directive de 2007, qui permet aux sociétés ayant un agrément dans un pays européen de proposer leurs services sur tout le continent.
Plusieurs acteurs reconnus sont agréés par les autorités françaises (Saxo Bank) ou britanniques (IG Markets et FXCM), même s’ils n’échappent pas aux critiques : selon une étude de l’AMF, 89 % de leurs clients sont perdants ; Saxo assure, lui, que ce chiffre oscille entre 49 et 68 %. Une association de particuliers, victimes de la hausse du franc suisse, ATPF Trading, a même porté plainte pour tromperie et escroquerie. Mais le problème vient surtout des sites non autorisés ou agréés par la CySEC, la très laxiste autorité des marchés chypriote. Si la ville de Limassol, qui accueille la messe annuelle du secteur, fait office de paradis du trading, les sites sont souvent pilotés en sous-main depuis Israël. Le secteur emploierait 5 000 à 10 000 personnes dont de nombreux immigrants français, selon leTimes of Israël, qui dénonce les "loups de Tel-Aviv".
 
Une partie des sites investissent bien les fonds des clients sur les marchés, mais n’hésitent pas à les harceler ou à manier la publicité mensongère. Certains utilisent même des logiciels pirates pour piper les dés. "Ils décalent les variations de cours par rapport à la réalité, retardent les ordres pour limiter les gains, voire provoquer des pertes", explique un courtier. "Il est difficile de prouver que leurs logiciels sont faussés, pointe Camilla Pariso, de l’association de victimes Aven Europe. Et quand les clients veulent récupérer leur argent, ils prélèvent 10 %."

"Un nom bien français"
Pire, certains sites sont purement fictifs. "L’interlocuteur se présente avec un nom bien français pour obtenir un premier virement ou un numéro de carte bancaire", alerte Benoît de Juvigny, secrétaire général de l’AMF. Les escrocs font d’abord croire aux clients qu’ils gagnent et leur laissent retirer une partie des fonds pour mieux les convaincre de miser encore. Mais, en fait, l’argent n’est jamais investi et va dans leur poche. "Ils sont forts pour mettre les gens en confiance, demandant aux personnes âgées ce qu’elles font pour Noël ou comment vont leurs enfants", raconte Gaël Collin, du cabinet Veil Jourde. Il y a même des arnaques dans l’arnaque. "Les escrocs rappellent leurs victimes en se faisant passer pour des avocats ou des agents de l’AMF, pour prétendument les aider à récupérer leur argent moyennant une commission", ajoute l’avocate Hélène Feron-Poloni.
"Ces sociétés sont souvent liées à la criminalité organisée, avec des équipes fortement structurées et de puissants mécanismes de blanchiment", souligne François Molins. Dans l’enquête de la juge Buresi, le principal protagoniste mis en examen est un Franco-Israélien de 45 ans, Yigal Félix Haddad, patron d’Aston Invest, qui chapeautait plusieurs sites. La société était immatriculée au Belize, disposait de bureaux à Ramat Gan près de Tel-Aviv et d’un compte en Géorgie à son nom. "Mon client, qui est présumé innocent, n’était que le gérant de droit, il n’a pas l’envergure d’être l’organisateur de l’escroquerie", assure son avocat Franck Cohen.
 
"Endormir" le banquier
Il est vrai que l’opération policière en Israël visait à "taper" au-dessus. Parmi les personnalités interrogées, les frères Shamal, d’anciens forains comme Haddad, déjà croisés dans un dossier de fraude aux quotas carbone. Mais les enquêteurs n’ont pas encore remonté toute la filière. Une tâche ardue. "Quand les clients finissent par se rendre compte de l’arnaque, il s’est généralement passé plusieurs mois et l’argent a disparu, explique Corinne Bertoux, la chef de l’Office central pour la répression de la grande délinquance financière (OCRGDF). Il part vers des banques en Israël via des comptes rebonds en Allemagne, au Royaume-Uni ou dans les pays de l’Est."
Les victimes tentent alors de se retourner contre les banques pour récupérer les fonds. "Elles ont un devoir de vigilance sur la tenue des comptes des escrocs et de ceux des victimes", attaque Hélène Feron- Poloni, qui défend douze particuliers dans l’affaire Aston Invest et a assigné au civil la filiale française de la Royal Bank of Scotland, par laquelle a transité l’argent des escrocs. Il arrive que ces derniers fournissent même à leurs clients des fausses factures pour "endormir" le banquier. "Une grande banque française a laissé un retraité faire un virement de 300 000 euros sur le compte chypriote d’une société anglaise alors que les factures étaient de toute évidence fausses", déplore l’avocat David Dana, qui a déposé plusieurs assignations. Aven Europe, qui gère 150 dossiers de victimes, envisage de faire de même. Pour l’association, le Forex et les options binaires devraient surtout être interdits aux particuliers.
 
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