Ben l'argument de Voltaire est simple sous son vocabulaire du 18e siècle : l'esprit est, comme le montre l'expérience, dépendant des organes des sens, à tel point que sans eux ils n'aurait aucune pensée (Voltaire nie les idées innées). De même, quand les organes des sens se gâtent, par la maladie, la fatigue, l'ivresse, les privations, le vieillissement, et ainsi de suite, l'esprit s'affaiblit corrélativement. Donc il est logique de faire un pas de plus et de penser que quand l'organe est détruit à la mort, l'esprit s'éteint tout à fait.
Mais il s'agit d'un raisonnement sur des probabilités. On ne peut pas, dans ce domaine, arriver avec des démonstrations. Je ne dirai pas à un croyant en train de mourir qu'il peut être certain que c'est le néant qui l'attend. Il peut toujours raccrocher sa foi à une faible mais irréductible probabilité de survie, à un miracle par exemple.
Par contre, les certitudes absolues avec lesquelles certains croyants professent leurs croyances en l'immortalité et au paradis me rendent quelque peu inconfortable. Je ne trouve pas que pareil dogmatisme, pareille rigidité de la pensée, soit quelque chose de sain.
Je suis bien placé pour en parler, car j'ai été confronté à cela dernièrement, ayant perdu mon père en octobre. J'ai entendu plusieurs fois ce genre de pensées consolatrices dans mon entourage ou chez les religieux qui faisaient les cérémonies. Je veux bien qu'un enterrement religieux ne soit pas le lieu où tenir un débat métaphysique, mais quand même...
Est-ce réellement l'esprit qui s'affaiblit corrélativement aux maux qui touchent le corps ou ne seraient-ce que ses moyens d'expression qui s'affaibliraient en réalité.
Par-exemple, lorsque le corps est frappé par la maladie, les privations, la fatigue et/ou l'ivresse, est-ce mon esprit qui diminue également en étant limité proportionnellement aux dégâts infligés sur le corps (ce qui voudrait dire que l'esprit et le corps sont de la même essence) ou, en réalité, mon esprit demeure t-il intact, disposant de l'intégralité de ses moyens mais serait-ce uniquement mon corps qui m'empêcherait, par son état, d'y avoir pleinement usage et/ou de pleinement "l'exprimer aux gens".
Dans cette optique, l'esprit ne diminuerait pas proportionnellement à la dégradation du corps (ni n'augmenterait proportionnellement au renforcement des capacités corporelles) mais, au contraire, augmenterait "ses capacités" au fil du temps tout en existant parallèlement au corps qu'il transcenderait. Son accès et/ou son "expression" (et non sa "puissance") seraient déterminés par l'état du corps.
Plus mes facultés corporelles seront diminuées, moins j'y aurai accès aisément et/ou moins je serai en capacité de "l'exprimer auprès des gens". Ainsi, le malade, la personne âgée, la personne ivre, la personne fatiguée, la personne souffrant de malnutrition ne seraient pas en capacité moindre de réflexion, d'analyse, de formulation d'idées que la personne dans un état corporel parfait mais, en fonction de la gravité des diminutions qui frapperaient leurs capacités corporelles, seraient plus ou moins dans l'incapacité d'avoir un accès total à leur esprit et/ou de pouvoir lui donner un vecteur d'expression idoine. De même, une personne aveugle et muette (mais non sourde), disposerait-elle d'un esprit moindre comparé au mien du simple fait que ses capacités d'interaction avec le monde extérieur seraient plus faibles que les miennes ou alors ses diminutions corporelles n'impacteraient-elle que sur la capacité d'expression de son esprit, sa faculté à nous transmettre le produit de celui-ci sans n'avoir aucune incidence sur la puissance de celui-ci.
Ainsi, l'esprit pourrait perdurer après la mort. Pour ce qui est des certitudes, certes le doute est parfois nécessaire afin d'évoluer, d'apprendre de ses erreurs, de renforcer ses capacités, de chasser les idées fausses et/ou de se conforter dans nos idées vraies mais bien des croyants ne se posent même plus la question en ce qui concerne la continuité de l'esprit après la mort. Pour eux, il est tout aussi évident que l'esprit perdure après la mort physique qu'il est évident pour toi que le corps finira par mourir un jour (questionnement qui ne peut même plus traverser ton esprit tellement il t'apparaît comme allant de soi).
Partant de là, leur dogmatisme n'est pas malsain dans le sens où il n'est mu que par des mécanismes cognitifs parfaitement rationnels. On affirme, avec précaution, lorsqu'il existe un doute, fut-il minime, dans notre esprit concernant la validité de l'affirmation que l'on s'apprête à faire mais lorsque aucune parcelle de doute ne subsiste en nous, l'on affirme alors "aveuglément" sans même penser qu'il faudrait peut-être réfléchir à la réelle pertinence de cette affirmation.
Ps: Je suis malade donc soit j'ai plus de mal à réfléchir car la douleur, la fatigue m'en empêchent, m'empêchent de me concentrer parfaitement soit (ou les deux) je réfléchis aussi bien qu'auparavant, je suis autant conscient qu'avant mais la maladie m'empêche d'exprimer mes réflexions, de montrer ma conscience.