Aborder la relation entre l'Islam et alcool impose toujours, d'abord, de faire un détour par la réalité historique et la chronologie de la Révélation. Lorsqu'on étudie la séquence des paroles du Prophète dans la révélation, on observe que l'interdiction de la consommation d'alcool est venue de manière progressive. Au début de la prophétie, l'alcool n'était pas interdit aux premiers musulmans. Ensuite, l'interdiction a concerné la consommation d'alcool pendant les moments de prière pour, finalement, se muer en une interdiction inconditionnelle passible de 40 coups de fouet, l'alcool étant considéré comme péché grave. De cette évolution et de ses raisons intrinsèques, l'orthodoxie sunnite dominante n'a retenu que l'interdiction finale, pour l'appliquer dans sa doctrine officielle. Ceci appuyé par la foi dans le fait que la révélation était parachevée à la mort du prophète et que toutes les lois qu'il avait données étaient de ce fait parfaites et ne permettaient pas de retour en arrière.
Or, quelques savants modernes de l'islam, qui osent bousculer un peu les idées reçues et revenir sur les circonstances historiques particulières qui ont eu cours dans la Révélation, étudient les raisons à l'œuvre dans cette évolution et y voient avant tout une conséquence aux dérives (sociales, conjugales…

dus à la 'faiblesse' humaine des consommateurs d'alcool de l'époque, qui parvenaient mal à se modérer par eux-mêmes, et devant laquelle une mise en garde ne suffisait sans doute pas. Face à cette dérive, l'avis sur l'alcool est progressivement passé d'un avertissement vers une interdiction formelle. Si l'on y regarde cependant de plus près, on voit que les intentions prophétiques peuvent aussi se comprendre par rapport à ce contexte et ces circonstances, et par rapport à l'insuffisance d'une simple mise en garde sur ses sujets.
Si les méfaits de l'alcool est une réalité que personne ne niera, certains savants modernes estiment cependant, au vu d'une lecture critique de l'histoire, que son interdiction totale peut être considérée davantage comme une contingence liée aux cadre particulier dans lequel elle est apparue, que comme une finalité en elle-même, celle-ci demeurant toujours, au-delà de la forme qu'elle revêt, d'éviter la dérive et la dépendance face à l'alcool.
L'interdiction totale d'alcool est-elle aujourd'hui de mise ? Oui, si l'on considère à la base que personne ne se portera plus mal de ne pas boire plutôt que de boire. Non, si la motivation première est de considérer que la moindre goutte d'alcool est néfaste. Le vin rouge possède certaines qualités qui le font être recommandé par des médecins dans le traitement ou même la prévention de certaines maladies cardio-vasculaires. Ces connaissances n'existaient pas à l'époque de la révélation, et on peut considérer aujourd’hui que ceux qui boivent un verre de temps en temps, pour ces raisons, ou pour le simple plaisir gustatif, tout en veillant à être modérés et à ne pas sombrer dans la dépendance, ne font pas forcément acte de péché dans la mesure où leur attitude ne rentre pas dans les finalités que cherchait à condamner le Prophète par rapport à sa communauté.
Bien sûr, ce débat rejoint en filigrane celui qui consiste à se demander si on a le droit ou non de porter ce genre d'interprétation critique des lois coraniques, ce à quoi les gardiens de la tradition islamique traditionnelle répondront par la négative. On sait cependant le débat ouvert sur ce sujet, et, dans le contexte de la modernité, de manière croissante.
Aujourd'hui, il y a une diversité parmi les pays arabes au sujet de l'alcool. L'Arabie saoudite l'interdit explicitement (le punissant même), alors que d'autres tolèrent la vente de boissons alcoolisées. Un paradoxe amusant est aussi que ce sont les chimistes musulmans qui, en ayant perfectionné la technique de distillation, et en l'ayant fait connaître en Europe via l'Espagne, ont contribué à développer l'industrie de l'alcool en Occident. Même le mot « alcool » vient de l'arabe al-kuhul, ou poudre fine.