kitti_3000
تو هَم خَ
Claude Lévi-Strauss, ethnologue, s'est éteint le 30.10.2009. A lire la presse francophone, l'hommage au 'grand homme' est unanime. Humaniste, universaliste, "chantre de la diversité culturelle", les qualificatifs élogieux ne manquent pas.
Cependant c'est vite oublier qu'il faut émettre certaines réserves sur le personnage. Sa grande ouverture d'esprit (qui lui a permis de mener des travaux fondateurs sur les indiens) connaissait une limite: l'Islam.
Je retranscris ici un passage des Tristes tropiques:
Cétait surtout lIslam dont la présence me tourmentait ( ). Déjà lIslam me déconcertait par une attitude envers lhistoire contradictoire à la nôtre et contradictoire en elle-même: le souci de fonder une tradition saccompagnait dun appétit destructeur de toutes les traditions antérieures. ( )
Dans les Hindous, je contemplais notre exotique image, renvoyée par ces frères indo-européens évolués sous un autre climat, au contact de civilisations différentes, mais dont les tentations intimes sont tellement identiques aux nôtres quà certaines périodes, comme lépoque 19000, elles remontent chez nous aussi en surface.
Rien de semblable à Agra, où règnent dautres ombres: celles de la Perse médiévale, de lArabie savante, sous une forme que beaucoup jugent conventionnelle. Pourtant, je défie tout visiteur ayant encore gardé un peu de fraîcheur dâme de ne pas se sentir bouleversé en franchissant, en même temps que lenceinte du Taj, les distances et les âges, accédant de plain-pied à lunivers des Mille et une Nuits ( ).
Pourquoi lart musulman seffondre-t-il si complètement dès quil cesse dêtre à son apogée? Il passe sans transition du palais au bazar. Nest-ce pas une conséquence de la répudiation des images? Lartiste, privé de tout contact avec le réel, perpétue une convention tellement exsangue quelle ne peut être rajeunie ni fécondée. Elle est soutenue par lor, ou elle sécroule. ( )
Si lon excepte les forts, les musulmans nont construit dans lInde que des temples et des tombes. Mais les forts étaient des palais habités, tandis que les tombes et les temples sont des palais inoccupés. On éprouve, ici encore, la difficulté pour lIslam de penser la solitude. Pour lui, la vie est dabord communauté, et le mort sinstalle toujours dans le cadre dune communauté, dépourvue de participants. ( )
Nest-ce pas limage de la civilisation musulmane qui associe les raffinements les plus rares - palais de pierres précieuses, fontaines deau de rose, mets recouverts de feuilles dor, tabac à fumer mêlé de perles pilées - servant de couverture à la rusticité des moeurs et à la bigoterie qui imprègne la pensée morale et religieuse?
Sur le plan esthétique, le puritanisme islamique, renonçant à abolir la sensualité, sest contenté de la réduire à ses formes mineures: parfums, dentelles, broderies et jardins. Sur le plan moral, on se heurte à la même équivoque dune tolérance affichée en dépit dun prosélytisme dont le caractère compulsif est évident. En fait, le contact des non-musulmans les angoisse. Leur genre de vie provincial se perpétue sous la menace dautres genres de vie, plus libres et plus souples que le leur, et qui risquent de laltérer par la seule contiguïté.
Plutôt que de parler de tolérance, il vaudrait mieux dire que cette tolérance, dans la mesure où elle existe, est une perpétuelle victoire sur eux-mêmes. En la préconisant, le Prophète les a placés dans une situation de crise permanente, qui résulte de la contradiction entre la portée universelle de la révélation et de la pluralité des fois religieuses. Il y a là une situation paradoxale au sens pavlovien, génératrice danxiété dune part et de complaisance en soi-même de lautre, puisquon se croit capable, grâce à lIslam, de surmonter un pareil conflit. En vain dailleurs: comme le remarquait un jour devant moi un philosophe indien, les musulmans tirent vanité de ce quils professent la valeur universelle de grand principes - liberté, égalité, tolérance - et ils révoquent le crédit à quoi ils prétendent en affirmant du même jet quils sont les seuls à les pratiquer.
Un jour à Karachi, je me trouvais en compagnie de Sages musulmans, universitaires ou religieux. A les entendre la supériorité de leur système, jétais frappé de constater avec quelle insistance ils revenaient à un seul argument: sa simplicité. ( ) Tout lIslam semble être, en effet, une méthode pour développer dans lesprit des croyants des conflits insurmontables, quitte à les sauver par la suite en leur proposant des solutions dune très grande (mais trop grande) simplicité. Dune main on les précipite, de lautre on les retient au bord de labîme. Vous inquiétez-vous de la vertu de vos épouses ou de vos filles pendant que vous êtes en campagne? Rien de plus simple, voilez-les et cloîtrez-les. Cest ainsi quon en arrive au burkah moderne, semblable à un appareil orthopédique ( ).
Cependant c'est vite oublier qu'il faut émettre certaines réserves sur le personnage. Sa grande ouverture d'esprit (qui lui a permis de mener des travaux fondateurs sur les indiens) connaissait une limite: l'Islam.
Je retranscris ici un passage des Tristes tropiques:
Cétait surtout lIslam dont la présence me tourmentait ( ). Déjà lIslam me déconcertait par une attitude envers lhistoire contradictoire à la nôtre et contradictoire en elle-même: le souci de fonder une tradition saccompagnait dun appétit destructeur de toutes les traditions antérieures. ( )
Dans les Hindous, je contemplais notre exotique image, renvoyée par ces frères indo-européens évolués sous un autre climat, au contact de civilisations différentes, mais dont les tentations intimes sont tellement identiques aux nôtres quà certaines périodes, comme lépoque 19000, elles remontent chez nous aussi en surface.
Rien de semblable à Agra, où règnent dautres ombres: celles de la Perse médiévale, de lArabie savante, sous une forme que beaucoup jugent conventionnelle. Pourtant, je défie tout visiteur ayant encore gardé un peu de fraîcheur dâme de ne pas se sentir bouleversé en franchissant, en même temps que lenceinte du Taj, les distances et les âges, accédant de plain-pied à lunivers des Mille et une Nuits ( ).
Pourquoi lart musulman seffondre-t-il si complètement dès quil cesse dêtre à son apogée? Il passe sans transition du palais au bazar. Nest-ce pas une conséquence de la répudiation des images? Lartiste, privé de tout contact avec le réel, perpétue une convention tellement exsangue quelle ne peut être rajeunie ni fécondée. Elle est soutenue par lor, ou elle sécroule. ( )
Si lon excepte les forts, les musulmans nont construit dans lInde que des temples et des tombes. Mais les forts étaient des palais habités, tandis que les tombes et les temples sont des palais inoccupés. On éprouve, ici encore, la difficulté pour lIslam de penser la solitude. Pour lui, la vie est dabord communauté, et le mort sinstalle toujours dans le cadre dune communauté, dépourvue de participants. ( )
Nest-ce pas limage de la civilisation musulmane qui associe les raffinements les plus rares - palais de pierres précieuses, fontaines deau de rose, mets recouverts de feuilles dor, tabac à fumer mêlé de perles pilées - servant de couverture à la rusticité des moeurs et à la bigoterie qui imprègne la pensée morale et religieuse?
Sur le plan esthétique, le puritanisme islamique, renonçant à abolir la sensualité, sest contenté de la réduire à ses formes mineures: parfums, dentelles, broderies et jardins. Sur le plan moral, on se heurte à la même équivoque dune tolérance affichée en dépit dun prosélytisme dont le caractère compulsif est évident. En fait, le contact des non-musulmans les angoisse. Leur genre de vie provincial se perpétue sous la menace dautres genres de vie, plus libres et plus souples que le leur, et qui risquent de laltérer par la seule contiguïté.
Plutôt que de parler de tolérance, il vaudrait mieux dire que cette tolérance, dans la mesure où elle existe, est une perpétuelle victoire sur eux-mêmes. En la préconisant, le Prophète les a placés dans une situation de crise permanente, qui résulte de la contradiction entre la portée universelle de la révélation et de la pluralité des fois religieuses. Il y a là une situation paradoxale au sens pavlovien, génératrice danxiété dune part et de complaisance en soi-même de lautre, puisquon se croit capable, grâce à lIslam, de surmonter un pareil conflit. En vain dailleurs: comme le remarquait un jour devant moi un philosophe indien, les musulmans tirent vanité de ce quils professent la valeur universelle de grand principes - liberté, égalité, tolérance - et ils révoquent le crédit à quoi ils prétendent en affirmant du même jet quils sont les seuls à les pratiquer.
Un jour à Karachi, je me trouvais en compagnie de Sages musulmans, universitaires ou religieux. A les entendre la supériorité de leur système, jétais frappé de constater avec quelle insistance ils revenaient à un seul argument: sa simplicité. ( ) Tout lIslam semble être, en effet, une méthode pour développer dans lesprit des croyants des conflits insurmontables, quitte à les sauver par la suite en leur proposant des solutions dune très grande (mais trop grande) simplicité. Dune main on les précipite, de lautre on les retient au bord de labîme. Vous inquiétez-vous de la vertu de vos épouses ou de vos filles pendant que vous êtes en campagne? Rien de plus simple, voilez-les et cloîtrez-les. Cest ainsi quon en arrive au burkah moderne, semblable à un appareil orthopédique ( ).