Les Marocains ne pensent pas être racistes. Pourquoi ce peuple ferait-il exception dans le monde? Le racisme est une caractéristique de l’être humain.
Les Marocains ne pensent pas être racistes. Pourquoi ce peuple ferait-il exception dans le monde? Le racisme est une caractéristique de l’être humain. De tout temps, l’homme a eu peur de l’étranger, de l’inconnu, du différent. Avec l’éducation et un peu de clairvoyance, on parvient à se débarrasser de cette peur et on fait l’effort de faire taire nos instincts les plus bas.
Il est vrai que le Marocain est un citoyen ouvert sur l’étranger. L’hospitalité et la générosité sont des valeurs que les Marocains pratiquent souvent surtout si l’étranger est de passage. Mais quand il est pauvre, noir et désespéré, (souvent les victimes de racisme sont des candidats malheureux à l’immigration illégale), le Marocain n’est pas à l’aise. C’est ce que nous vivons depuis 1990, date de l’apparition dans les rues de Tanger des Africains trompés par des passeurs mafieux et abandonnés au seuil du port. Au début, on ne les voyait pas. On disait qu’ils sortaient la nuit et certains laissaient entendre qu’ils se nourrissaient de chats. Des ombres, des silhouettes vouées au malheur. Avec le temps, ils sont devenus de plus en plus nombreux. On le constate par le nombre de mendiants et de mendiantes avec des bébés aux feux rouges de la ville. Les gens leur donnent quelques dirhams tout en les plaignant.
Certains se sont définitivement installés dans des squats, des immeubles inachevés, des habitations de fortune dans de nouveaux quartiers destinés aux pauvres.
Une vérité est à dire: les pauvres n’aiment pas les pauvres; personne ne les aime, c’est-à-dire ne vient à leur secours. Au contraire, des préjugés infamants, des insultes, des bagarres allant jusqu’au meurtre sont devenus fréquents. On note 4 morts d’Africains en une année, dont trois à Tanger dans le quartier de Boukhalef. Il y a de quoi s’alarmer et demander aux autorités d’intervenir pour que le racisme ne tue plus. Oui, le racisme tue aussi chez nous. Ainsi, le 29 août, Charles Ndour, un étudiant sénégalais résident à Casablanca, a été tué à l’arme blanche à Tanger où il était venu rendre visite à des amis.
En 2013, Moussa Seck, lors d’une visite de la police, s’est jeté du quatrième étage et mourut sur le coup; Alain Toussaint, Congolais, est tombé d’un fourgon de la police et fut écrasé; Ismaël Faye est mort lors d’une rixe à la gare d’El Kamra. Il faut ajouter à ce tableau noir des agressions organisées par des Marocains qui refusent de laisser ces Africains en paix. Ils leur reprochent le simple fait d’être là. Cette intolérance qui se traduit parfois par de la violence physique s’appelle du racisme. C’est inadmissible de laisser se développer dans notre société ce fléau aux conséquences tragiques. Le Conseil national des droits de l’homme est très préoccupé par cette situation.
En 1984, j’ai publié "Hospitalité française", un ouvrage où je recense les crimes racistes commis en France. Il y en avait plus de 150. Des lecteurs français n’avaient pas aimé ce palmarès tragique. Des libraires avaient refusé de vendre le livre. Pourtant tout ce qu’il contient est vrai et authentifié par des documents. Je me disais à l’époque, "jamais au Maroc on ne tuerait des immigrés". Trente plus tard, c’est ce qui vient d’arriver. Il y a de quoi avoir honte et pousser un grand cri. Je sais que les Marocains, dont certains ont la peau noire ou métisse, n’aiment pas les Noirs. Beaucoup de témoignages ont été publiés dans ce sens. On ne loue pas à un Noir, on ne se marie pas avec un Noir. Pourtant, dans les années 20-50, des commerçants fassis ramenaient du Sénégal, du Mali ou de Guinée des concubines noires et les installaient chez eux comme domestiques. On l’a oublié. Mais cela a bel et bien existé.
Que faire? Eduquer avec une pédagogie efficace. Les médias doivent en parler et organiser des débats. Et, bien sûr, la justice doit s’emparer de ce dossier au plus vite et le traiter avec justice et fermeté.
Au moment où notre pays renoue avec l’Afrique, au moment où des investissements ont lieu dans certains pays, il est intolérable de laisser se développer un racisme anti-Noir. Cela relève de l’ignorance, de la stupidité et de la peur. Il faut réagir et ne pas laisser s’installer chez nous ce malaise qui a des relents nauséabonds.
Par Tahar Ben Jelloun
Les Marocains ne pensent pas être racistes. Pourquoi ce peuple ferait-il exception dans le monde? Le racisme est une caractéristique de l’être humain. De tout temps, l’homme a eu peur de l’étranger, de l’inconnu, du différent. Avec l’éducation et un peu de clairvoyance, on parvient à se débarrasser de cette peur et on fait l’effort de faire taire nos instincts les plus bas.
Il est vrai que le Marocain est un citoyen ouvert sur l’étranger. L’hospitalité et la générosité sont des valeurs que les Marocains pratiquent souvent surtout si l’étranger est de passage. Mais quand il est pauvre, noir et désespéré, (souvent les victimes de racisme sont des candidats malheureux à l’immigration illégale), le Marocain n’est pas à l’aise. C’est ce que nous vivons depuis 1990, date de l’apparition dans les rues de Tanger des Africains trompés par des passeurs mafieux et abandonnés au seuil du port. Au début, on ne les voyait pas. On disait qu’ils sortaient la nuit et certains laissaient entendre qu’ils se nourrissaient de chats. Des ombres, des silhouettes vouées au malheur. Avec le temps, ils sont devenus de plus en plus nombreux. On le constate par le nombre de mendiants et de mendiantes avec des bébés aux feux rouges de la ville. Les gens leur donnent quelques dirhams tout en les plaignant.
Certains se sont définitivement installés dans des squats, des immeubles inachevés, des habitations de fortune dans de nouveaux quartiers destinés aux pauvres.
Une vérité est à dire: les pauvres n’aiment pas les pauvres; personne ne les aime, c’est-à-dire ne vient à leur secours. Au contraire, des préjugés infamants, des insultes, des bagarres allant jusqu’au meurtre sont devenus fréquents. On note 4 morts d’Africains en une année, dont trois à Tanger dans le quartier de Boukhalef. Il y a de quoi s’alarmer et demander aux autorités d’intervenir pour que le racisme ne tue plus. Oui, le racisme tue aussi chez nous. Ainsi, le 29 août, Charles Ndour, un étudiant sénégalais résident à Casablanca, a été tué à l’arme blanche à Tanger où il était venu rendre visite à des amis.
En 2013, Moussa Seck, lors d’une visite de la police, s’est jeté du quatrième étage et mourut sur le coup; Alain Toussaint, Congolais, est tombé d’un fourgon de la police et fut écrasé; Ismaël Faye est mort lors d’une rixe à la gare d’El Kamra. Il faut ajouter à ce tableau noir des agressions organisées par des Marocains qui refusent de laisser ces Africains en paix. Ils leur reprochent le simple fait d’être là. Cette intolérance qui se traduit parfois par de la violence physique s’appelle du racisme. C’est inadmissible de laisser se développer dans notre société ce fléau aux conséquences tragiques. Le Conseil national des droits de l’homme est très préoccupé par cette situation.
En 1984, j’ai publié "Hospitalité française", un ouvrage où je recense les crimes racistes commis en France. Il y en avait plus de 150. Des lecteurs français n’avaient pas aimé ce palmarès tragique. Des libraires avaient refusé de vendre le livre. Pourtant tout ce qu’il contient est vrai et authentifié par des documents. Je me disais à l’époque, "jamais au Maroc on ne tuerait des immigrés". Trente plus tard, c’est ce qui vient d’arriver. Il y a de quoi avoir honte et pousser un grand cri. Je sais que les Marocains, dont certains ont la peau noire ou métisse, n’aiment pas les Noirs. Beaucoup de témoignages ont été publiés dans ce sens. On ne loue pas à un Noir, on ne se marie pas avec un Noir. Pourtant, dans les années 20-50, des commerçants fassis ramenaient du Sénégal, du Mali ou de Guinée des concubines noires et les installaient chez eux comme domestiques. On l’a oublié. Mais cela a bel et bien existé.
Que faire? Eduquer avec une pédagogie efficace. Les médias doivent en parler et organiser des débats. Et, bien sûr, la justice doit s’emparer de ce dossier au plus vite et le traiter avec justice et fermeté.
Au moment où notre pays renoue avec l’Afrique, au moment où des investissements ont lieu dans certains pays, il est intolérable de laisser se développer un racisme anti-Noir. Cela relève de l’ignorance, de la stupidité et de la peur. Il faut réagir et ne pas laisser s’installer chez nous ce malaise qui a des relents nauséabonds.
Par Tahar Ben Jelloun