Comment la charia a transformé le Mali

Attirés par les perspectives d’emplois, l’eau et l’électricité gratuites et, dans certaines régions, les prix relativement faibles des denrées alimentaires, des centaines d’habitants du nord qui avaient fui dans le sud choisissent de rentrer chez eux malgré l’imposition de la charia, ont dit à IRIN des Maliens du nord et du sud.

Selon des commerçants de la région, les groupes islamistes ont supprimé les taxes sur de nombreux biens de première nécessité et fixé le prix de certaines denrées alimentaires de base. Ils approvisionnent par ailleurs gratuitement la population en eau et en électricité, même si les coupures sont fréquentes. Face à la perspective d’une intervention de la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO), ils promettent également un salaire aux jeunes qui rejoignent leurs rangs.

Gaoussou Traoré, chauffeur d’autobus pour Binké Transport, qui dessert le trajet Bamako-Gao-Tombouctou, a dit qu’entre mars et juin, ses autobus étaient remplis d’habitants du nord qui fuyaient vers le sud, mais que la tendance s’était inversée depuis. Les autobus se dirigeant vers le sud sont maintenant vides alors que les 52 sièges sont pris au retour. « C’est la même chose tous les jours », a-t-il dit à IRIN.

En avril dernier, lorsque les rebelles touaregs du Mouvement national pour la libération de l’Azawad (MNLA) ont pris le contrôle de sa région, Issa Mahamar, un professeur de français à l’école Yanna Maigo, à Gao, a fui à Sevaré, dans le centre du Mali, pour aller vivre chez un oncle. Il a récemment décidé de retourner chez lui, dans le nord, une région qui est désormais contrôlée par les islamistes, parce que le coût de la vie y est moins élevé et pour protéger sa mère qui est restée là-bas. « Je suis aussi revenu parce que la vie est moins chère ici. Nous n’avons pas de facture d’électricité ou d’eau… Avant, je payais 15 000 et 8 000 francs CFA par mois (30 et 16 dollars) pour l’électricité et l’eau, mais c’est gratuit maintenant. »

C’est la même chose pour les céréales. « Imaginez-vous qu’un sac de riz coûte maintenant 20 000 francs CFA (40 dollars), alors qu’il se vendait entre 40 000 et 50 000 francs CFA (entre 80 et 100 dollars) avant », a-t-il dit à IRIN.

Le prix de la baguette de pain est maintenant fixé à 200 francs CFA [0,40 dollar], alors qu’elle coûtait 0,60 dollar avant, ont dit les locaux. Les brigades islamistes font la tournée des boulangeries pour s’assurer que tout le monde respecte les prix. « Ceux qui ne le font pas sont punis conformément aux principes de la charia », a dit à IRIN Tata Haidara, un ancien hôtelier de Tombouctou.

« J’ai retrouvé ma maison et mon emploi »
 
Parmi ceux qui ont fui vers le sud et n’ont pas trouvé de travail là-bas, plusieurs reviennent pour récupérer leur ancien emploi. Moussa Touré, 35 ans, travaillait comme infirmier dans un hôpital public de Gao avant de fuir à Bamako en mars. Il est retourné à Gao le 27 juillet et gagne maintenant 600 dollars par mois, soit le double de son ancien salaire, a-t-il dit à IRIN.

« À Bamako, je ne travaillais pas… J’avais des collègues qui étaient restés à Gao. Ce sont eux qui m’ont dit de revenir… Je ne le regrette pas. J’ai retrouvé ma maison et mon emploi.

« J’ai fait un choix en fonction de mes propres intérêts, comme tout le monde. Tous les jours, des médecins et des infirmiers reviennent travailler à l’hôpital », a-t-il dit à IRIN.

Certains jeunes sont également rentrés chez eux, attirés par la perspective de gagner 150 dollars par mois (ou beaucoup plus, selon certains) en rejoignant les rangs des groupes islamistes pour contrer l’intervention envisagée par la CEDEAO. On ignore toutefois quelle est l’ampleur de ces retours.

Des compromis difficiles

Selon des personnes retournées et des analystes, le retour exige des compromis difficiles. « Il est vrai que les islamistes appliquent la charia et procèdent à des amputations, des lapidations ou des flagellations en fonction de la nature des crimes commis », a dit Badra Macalou, un politologue qui vit dans la capitale, Bamako, « mais si vous respectez leurs règles, ils vous laisseront tranquille. »

http://www.malijet.com/actualte_dan...chent-a-ramener-au-bercail-les-habitants.html
 
Haut