Comment le monde actuel a privatisé le silence...

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Date limite de consommation : 26/01/2033
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Les technologies modernes nous sollicitent de plus en plus, et chacun semble s’en réjouir. Or, cela épuise notre faculté de penser et d’agir, estime le philosophe-mécano Matthew B. Crawford. « Tout le malheur des hommes vient d'une seule chose, qui est de ne pas savoir demeurer en repos dans une chambre », écrivait déjà Pascal en son temps. Mais que dirait l'auteur des Pensées aujourd'hui, face à nos pauvres esprits sursaturés de stimulus technologiques, confrontés à une explosion de choix et pour lesquels préserver un minimum de concentration s'avère un harassant défi quotidien ? C'est cette crise de l'attention qu'un autre philosophe, cette fois contemporain, s'est attelé à décortiquer.

Matthew B. Crawford est américain, chercheur en philosophie à l'université de Virginie. Il a la particularité d'être également réparateur de motos. De ce parcours de « philosophe mécano », il a tiré un premier livre, Eloge du carburateur. Essai sur le sens et la valeur du travail, best-seller aux Etats-Unis. Il y raconte comment, directeur d'un think tank de Washington où il lui était demandé de résumer vingt-trois très longs articles par jour — « un objectif absurde et impossible, l'idée étant qu'il faut écrire sans comprendre, car comprendre prend trop de temps... » —, il en a claqué la porte pour ouvrir un garage de réparation de motos. Dans ce plaidoyer en faveur du travail manuel, il célèbre la grandeur du « faire », qui éduque et permet d'être en prise directe avec le monde par le biais des objets matériels.

“Notre espace public est colonisé par des technologies qui visent à capter notre attention.”

C'est en assurant la promotion de son best-seller que Crawford a été frappé par ce qu'il appelle « une nouvelle frontière du capitalisme ». « J'ai passé une grande partie de mon temps en voyage, dans les salles d'attente d'aéroports, et j'ai été frappé de voir combien notre espace public est colonisé par des technologies qui visent à capter notre attention. Dans les aéroports, il y a des écrans de pub partout, des haut-parleurs crachent de la musique en permanence. Même les plateaux gris sur lesquels le voyageur doit placer son bagage à main pour passer aux rayons X sont désormais recouverts de publicités... »
 
Le voyageur en classe affaires dispose d'une échappatoire : il peut se réfugier dans les salons privés qui lui sont réservés. « On y propose de jouir du silence comme d'un produit de luxe. Dans le salon "affaires" de Charles-de-Gaulle, pas de télévision, pas de publicité sur les murs, alors que dans le reste de l'aéroport règne la cacophonie habituelle. Il m'est venu cette terrifiante image d'un monde divisé en deux : d'un côté, ceux qui ont droit au silence et à la concentration, qui créent et bénéficient de la reconnaissance de leurs métiers ; de l'autre, ceux qui sont condamnés au bruit et subissent, sans en avoir conscience, les créations publicitaires inventées par ceux-là mêmes qui ont bénéficié du silence... On a beaucoup parlé du déclin de la classe moyenne au cours des dernières décennies ; la concentration croissante de la richesse aux mains d'une élite toujours plus exclusive a sans doute quelque chose à voir avec notre tolérance à l'égard de l'exploitation de plus en plus agressive de nos ressources attentionnelles collectives. »

“L’autorégulation est comme un muscle, il s’épuise facilement.”
Bref, il en va du monde comme des aéroports : nous avons laissé transformer notre attention en marchandise, ou en « temps de cerveau humain disponible », pour reprendre la formule de Patrick Le Lay, ex-PDG de TF1 ; il nous faut désormais payer pour la retrouver. On peut certes batailler, grâce à une autodiscipline de fer, pour résister à la fragmentation mentale causée par le « multitâche ». Résister par exemple devant notre désir d'aller consulter une énième fois notre boîte mail, notre fil Instagram, tout en écoutant de la musique sur Spotify et en écrivant cet article... « Mais l'autorégulation est comme un muscle, prévient Crawford. Et ce muscle s'épuise facilement. Il est impossible de le solliciter en permanence. L'autodiscipline, comme l'attention, est une ressource dont nous ne disposons qu'en quantité finie. C'est pourquoi nombre d'entre nous se sentent épuisés mentalement. »
 
Cela ressemble à une critique classique de l'asservissement moderne par la technologie alliée à la logique marchande. Sauf que Matthew Crawford choisit une autre lecture, bien plus provocatrice. L'épuisement provoqué par le papillonnage moderne, explique-t-il, n'est pas que le résultat de la technologie. Il témoigne d'une crise des valeurs, qui puise ses sources dans notre identité d'individu moderne. Et s'enracine dans les aspirations les plus nobles, les plus raisonnables de l'âge des Lumières. La faute à Descartes, Locke et Kant, qui ont voulu faire de nous des sujets autonomes, capables de nous libérer de l'autorité des autres — il fallait se libérer de l'action manipulatrice des rois et des prêtres. « Ils ont théorisé la personne humaine comme une entité isolée, explique Crawford, totalement indépendante par rapport au monde qui l'entoure. Et aspirant à une forme de responsabilité individuelle radicale. »
C'était, concède tout de même le philosophe dans sa relecture (radicale, elle aussi) des Lumières, une étape nécessaire, pour se libérer des entraves imposées par des autorités qui, comme disait Kant, maintenaient l'être humain dans un état de « minorité ». Mais les temps ont changé. « La cause actuelle de notre malaise, ce sont les illusions engendrées par un projet d'émancipation qui a fini par dégénérer, celui des Lumières précisément. » Obsédés par cet idéal d'autonomie que nous avons mis au coeur de nos vies, politiques, économiques, technologiques, nous sommes allés trop loin. Nous voilà enchaînés à notre volonté d'émancipation.

Suite de l'article:

http://www.telerama.fr/idees/comment-le-monde-actuel-a-privatise-le-silence,138904.php
 
J'ai fait plusieurs " Burn Out ", déjà dès le collège, j'étais investi(e) dans tant de choses différentes.
J'ai toujours plein de centres d'intérêts, attiré(e) de tous les côtés, c'est difficile de se limiter à un ou deux.

On a accès à pleins de possibilités, des sources d'infos de toutes sortes, des lieux pour discuter de tas de choses.

En plus on est sollicité chaque jour, j'ai été déconnecté du net 1 ans, au début c'est comme un syndrome de manque.
Ensuite ça passe un peu, mais on sent toujours cet appel, l'humain est un être sociable, le net, les mobiles ..... tous ça ne fait répondre que à un appel naturel.

Aujourd'hui il est difficile de se déconnecter de tout ça, de cet ultra connectivité ambiante, tant elle répond à un besoin naturel.

Mais à trop se disperser, on finit épuisé, l'isolement, la tranquillité, l'anonymat véritable sont devenus un luxe, nous sommes tous devenus des personnes publiques sans nous en rendre compte.
 
J'ai fait plusieurs " Burn Out ", déjà dès le collège, j'étais investi(e) dans tant de choses différentes.
J'ai toujours plein de centres d'intérêts, attiré(e) de tous les côtés, c'est difficile de se limiter à un ou deux.

On a accès à pleins de possibilités, des sources d'infos de toutes sortes, des lieux pour discuter de tas de choses.

En plus on est sollicité chaque jour, j'ai été déconnecté du net 1 ans, au début c'est comme un syndrome de manque.
Ensuite ça passe un peu, mais on sent toujours cet appel, l'humain est un être sociable, le net, les mobiles ..... tous ça ne fait répondre que à un appel naturel.

Aujourd'hui il est difficile de se déconnecter de tout ça, de cet ultra connectivité ambiante, tant elle répond à un besoin naturel.

Mais à trop se disperser, on finit épuisé, l'isolement, la tranquillité, l'anonymat véritable sont devenus un luxe, nous sommes tous devenus des personnes publiques sans nous en rendre compte.

Effectivement, il s'agit de dispersion et ce qui est suggéré ici c'est de revenir aux loisirs manuels ou alors de maniére radicale de se reconvertir dans une profession de l'artisanat, pour se réapproprier sa présence au monde, le besoin de tranquillité et la concentration que l'on perd dans tout ce brouhaha virtuel. Je sais par exemple, pour ma part que j'ai aussi ce besoin vital de plaisirs "connectés" à l'espace réel qui m'entoure comme le jardinage, le bricolage ou la randonnée pour m'éviter l'intoxication dûe au flux incessant de nouvelles et de sollicitation virtuelle. Ce n'est pas facile.
 
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