antiphoiê
Prince of Atlas
Cuisine et marketing
- 16 novembre 2008 - par FOUAD LAROUI
Lun des meilleurs ambassadeurs dun pays, cest sa cuisine. Si on aime dinstinct les Italiens, ce nest pas seulement à cause de Venise ou des milliers de monuments historiques parsemés dans la péninsule, cest surtout grâce aux pâtes et aux pizzas. Et si la Thaïlande est devenue à la mode, cest pour ce quelle propose aux palais gourmands, et non à cause des uvres complètes du grand écrivain X (vous en connaissez, vous, des écrivains thaïs ?).
Donc, le meilleur ambassadeur dun pays, cest sa cuisine. À cette aune-là, nous autres Marocains navons eu dans le Benelux, pendant des années, que léquivalent diplomatique du néant. Pendant des décennies : rien. Il y avait bien des restaurants qui prétendaient sappeler « Marrakech » ou « Les délices de Nador », mais cétait la Bérézina dès quon prenait place parmi les poufs. La première génération dimmigrants en provenance du Maroc se composait de rudes montagnards, sobres et travailleurs, qui avaient quitté leur village natal justement parce quils narrivaient pas à y faire bouillir la marmite. Leurs enfants non plus nétaient pas très calés en cuisine, et quand ils ouvrirent des restos, dans les années 1980, ils y proposèrent des pizzas. Parfois, il y avait aussi dans le menu une soupe atroce, de couleur orange, qualifiée abusivement de harira ainsi que quelques méchantes sardines de la mer du Nord, baignant encore dans leur huile de vidange, et pourvues de faux papiers didentité (« sardines dEssaouira ») pour abuser le client.
Cétait lépoque où mes collègues, pris de pitié, me proposaient parfois de manger chez eux pour échapper à cette cuisine indigente quils croyaient être la mienne. Javais beau leur expliquer que la vraie table marocaine était riche, goûteuse et raffinée, ils hochaient la tête en pensant : « Le pauvre, il délire, cest la folie des grandeurs. »
Et puis le vent a tourné, dautres Marocains se sont installés dans le Benelux, en provenance des villes millénaires et des plaines prospères. Et voilà quon commence à bien manger dans cette partie de lEurope. Le bouche-à-oreille fonctionne, ou plutôt le bouche-à-estomac. Du coup, à Liège ou à Maastricht, on regarde dun autre il ces étrangers qui les régalent. Le Maroc commence à prendre les traits dune civilisation quil nest pas interdit dapprécier.
La seule chose qui manque encore à ces ambassadeurs des fourneaux, cest le sens du marketing. La preuve : lun des meilleurs restaurants marocains, le plus authentique, le plus traditionnel sappelle Paloma Blanca (publicité gratuite). Paloma Blanca ! Quest-ce qui leur a pris ? LEuropéen y mange divinement et sen va raconter que la cuisine espagnole est encore plus délicieuse quon ne le croit. Je passe mon temps à rectifier : Paloma Blanca, non, non, cest nous, cest pas les Espagnols ! Parce quil fournit une pitance savoureuse, le chef sest pris pour un grand communicant. Il a dû se payer une séance de brainstorming denfer, tout seul dans ses casseroles, avant darriver à ce nom quil croit être très beau : Paloma Blanca. Mais non, mais non ! Il fallait choisir « lhmama lbeïda », en marocain dialectal ; ou, à la rigueur, « Le Pigeon Blanc », en flamand : De Witte Duif ! Et tant pis pour les mauvais esprits qui passeraient leur chemin en se disant : je ne tiens pas à me faire pigeonner

- 16 novembre 2008 - par FOUAD LAROUI
Lun des meilleurs ambassadeurs dun pays, cest sa cuisine. Si on aime dinstinct les Italiens, ce nest pas seulement à cause de Venise ou des milliers de monuments historiques parsemés dans la péninsule, cest surtout grâce aux pâtes et aux pizzas. Et si la Thaïlande est devenue à la mode, cest pour ce quelle propose aux palais gourmands, et non à cause des uvres complètes du grand écrivain X (vous en connaissez, vous, des écrivains thaïs ?).
Donc, le meilleur ambassadeur dun pays, cest sa cuisine. À cette aune-là, nous autres Marocains navons eu dans le Benelux, pendant des années, que léquivalent diplomatique du néant. Pendant des décennies : rien. Il y avait bien des restaurants qui prétendaient sappeler « Marrakech » ou « Les délices de Nador », mais cétait la Bérézina dès quon prenait place parmi les poufs. La première génération dimmigrants en provenance du Maroc se composait de rudes montagnards, sobres et travailleurs, qui avaient quitté leur village natal justement parce quils narrivaient pas à y faire bouillir la marmite. Leurs enfants non plus nétaient pas très calés en cuisine, et quand ils ouvrirent des restos, dans les années 1980, ils y proposèrent des pizzas. Parfois, il y avait aussi dans le menu une soupe atroce, de couleur orange, qualifiée abusivement de harira ainsi que quelques méchantes sardines de la mer du Nord, baignant encore dans leur huile de vidange, et pourvues de faux papiers didentité (« sardines dEssaouira ») pour abuser le client.
Cétait lépoque où mes collègues, pris de pitié, me proposaient parfois de manger chez eux pour échapper à cette cuisine indigente quils croyaient être la mienne. Javais beau leur expliquer que la vraie table marocaine était riche, goûteuse et raffinée, ils hochaient la tête en pensant : « Le pauvre, il délire, cest la folie des grandeurs. »
Et puis le vent a tourné, dautres Marocains se sont installés dans le Benelux, en provenance des villes millénaires et des plaines prospères. Et voilà quon commence à bien manger dans cette partie de lEurope. Le bouche-à-oreille fonctionne, ou plutôt le bouche-à-estomac. Du coup, à Liège ou à Maastricht, on regarde dun autre il ces étrangers qui les régalent. Le Maroc commence à prendre les traits dune civilisation quil nest pas interdit dapprécier.
La seule chose qui manque encore à ces ambassadeurs des fourneaux, cest le sens du marketing. La preuve : lun des meilleurs restaurants marocains, le plus authentique, le plus traditionnel sappelle Paloma Blanca (publicité gratuite). Paloma Blanca ! Quest-ce qui leur a pris ? LEuropéen y mange divinement et sen va raconter que la cuisine espagnole est encore plus délicieuse quon ne le croit. Je passe mon temps à rectifier : Paloma Blanca, non, non, cest nous, cest pas les Espagnols ! Parce quil fournit une pitance savoureuse, le chef sest pris pour un grand communicant. Il a dû se payer une séance de brainstorming denfer, tout seul dans ses casseroles, avant darriver à ce nom quil croit être très beau : Paloma Blanca. Mais non, mais non ! Il fallait choisir « lhmama lbeïda », en marocain dialectal ; ou, à la rigueur, « Le Pigeon Blanc », en flamand : De Witte Duif ! Et tant pis pour les mauvais esprits qui passeraient leur chemin en se disant : je ne tiens pas à me faire pigeonner