De quoi la burqa est elle le nom?

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Une analyse parmis les milles et une que l'on peut lire à ce sujet.

Jean Daniel - éditorialiste au Nouvel Observateur.
De quoi la burqa est-elle le nom ?


A l'heure où j'écris, je ne sais pas comment Nicolas Sarkozy aura bien pu se tirer d'affaire pour dominer le bruit des casseroles qu'il traîne, des réformes auxquelles il renonce et de l'impopularité dont il subit les effets jusque dans son camp.
Je n'ai pas encore entendu non plus - et cela me préoccupe bien davantage - le discours sur l'état de l'Union que Barack Obama doit prononcer ce mercredi. Nous sommes nombreux à avoir avec ce président des rapports véritablement passionnels. Pour ma part, je suis allé jusqu'à remercier le ciel d'avoir pu assister à son émergence, célébrer le miracle racial de son élection et surtout, je dois dire, admirer le bonheur littéraire, intellectuel et politique de ses discours. Je maintiens qu'ils feront date, et je confirme que j'ai trouvé dans certaines formules des accents camusiens.
Mais voici que l'on me reproche aujourd'hui l'aspect définitif que je donnerais à mon désenchantement, la précipitation imprudente avec laquelle j'évoquerais ce que j'appelle ses échecs. Sur chacune des questions qui m'alarment : le Proche-Orient, la maîtrise du capitalisme financier, l'Afghanistan, la Russie et l'Iran, on m'assure que rien n'est joué. Et comme j'aimerais m'en laisser convaincre, je vous envie, lecteurs qui avez déjà la réponse.
Cela dit, il est une autre question sur laquelle je croyais que tout avait été dit, mais qui suscite de nouvelles réactions intéressantes≈: quelle forme devra prendre le désir général de dissuader certaines de nos concitoyennes de porter un voile intégral appelé « burqa » ?
On le sait, il ne s'agit pas des voiles connus au Maghreb et qui étaient destinés à cacher la chevelure, mais de voiles qui ne laissent pratiquement rien apercevoir de la personne. Ainsi vêtue, elle passe telle une ombre, absente et mystérieuse. Celles qui le portent veulent donc se soustraire au regard de tous, ce qui serait une preuve d'austérité monacale si l'on oubliait qu'elles réservent ainsi l'exclusivité de leur visage et de leur corps à l'homme dont elles acceptent d'être la propriété.
Sur le fait que ce travestissement vestimentaire ne soit pas jugé du meilleur goût par la majorité des citoyens parmi lesquels ces femmes ont choisi librement de vivre, il n'y a guère de discussion. Sur le fait qu'il ne s'agit pas d'une obligation religieuse mais d'une coutume, d'ailleurs condamnée par le grand mufti d'Egypte comme, ici même, par les institutions théologiques les plus reconnues de l'islam sunnite, le professeur Abdelwahab Meddeb est catégorique. En revanche, sur le choix qui s'imposerait entre la promulgation d'une loi ou une simple déclaration de l'Assemblée nationale, il y a un débat.
Les autorités religieuses de France (catholiques, protestantes et musulmanes) se sont empressées de garder le silence ou de proclamer leur neutralité, rejoignant ainsi la position de certains mouvements de gauche qui voient dans toute espèce d'interdiction une atteinte à la liberté religieuse. Personnellement, j'ai tendance à penser que la promulgation d'une loi concernant quelques centaines de femmes serait contre-productive, tout en estimant que la société française doit clairement exprimer une condamnation.
 
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Mais une thèse est loin de manquer d'acuité et elle est défendue dans un « point de vue » du « Monde » par le philosophe Abdennour Bidar, dont on peut lire avec intérêt les contributions dans la revue « Esprit ». Pour M. Bidar, la burqa est le symptôme d'un malaise plus profond≈: un désir personnel d'exister. Sans doute l'auteur concède-t-il que ce désir paradoxal est « pathologiquement exprimé et totalement contradictoire ». Il fait cependant observer que les jeunes porteuses de la burqa ne sont guère différentes de tous ces « vrais-faux marginaux » volontaires dont nos sociétés regorgent. L'auteur souligne le vide effroyable que laisse la disparition des grandes images de l'homme, ne proposant comme modèles que les acteurs, sportifs, chanteurs, vedettes des médias qui incitent à paraître, faire de l'argent, être beau, consommer. « Comment penser que ces buts dérisoires, exaltés avec un ridicule confondant par la publicité, pourraient suffire à donner du sens à nos vies. » On ne saurait mieux dire ! Mais de là à établir un lien avec la burqa, qui exprimerait « quelque chose comme le refoulé de la psychologie collective, le refus d'afficher la moindre image de soi », et à conclure que « l'identité totalement cachée derrière la burqa, c'est l'identité profonde du moi moderne devenu introuvable », il y a un saut épistémologique qui n'entraîne pas l'adhésion.
Ces intellectuels éminents n'arrivent décidément pas à se contenter de la simple réalité événementielle. Car enfin, quand le problème du voile - avant celui de la burqa - s'est-il posé en France, alors que des musulmans y vivent en grand nombre depuis un demi-siècle ? D'où vient le désir d'imposer partout le port de toutes les formes de voiles, sinon des mouvements à la fois saoudiens et afghans dont la première cible fut le gouvernement algérien, coupable d'avoir empêché l'arrivée des islamistes au pouvoir en annulant le second tour d'une consultation électorale parfaitement libre ?
A-t-on oublié ce qui s'est passé durant cette dizaine d'années en Algérie, et qui préparait l'irruption des réseaux qui devaient déstabiliser d'abord une partie importante du monde arabo-musulman, en attendant de se couvrir de « gloire » avec les attentats à New York du 11 septembre 2001 ? Comment oublier qu'à partir de ce moment-là des jeunes musulmans ont affirmé leur solidarité avec cette renaissance de l'épopée vindicative des leaders fanatiques d'un certain islam ?
Alors, il se peut que les héritières des pionniers de cette frénétique croisade n'affichent qu'une volonté de s'exclure de la société des infidèles et des mécréants. Il reste que, même éloigné de toute violence, leur geste d'enfermement signifie le contraire de ce qui demeure valable et beau sous tous les régimes - quel que soit leur déclin -, à savoir l'ouverture, le partage, l'échange des regards, l'élan vers l'autre. Il ne s'agit pas d'une question de voile mais de sa signification. Rien n'est plus beau qu'un voile qui orne un visage, comme on le voit dans les tableaux des maîtres hollandais et italiens. Mais entre la tombe itinérante de ces inconnues et le voile qui soulignait la beauté d'une Benazir Bhutto, il y a l'abîme qui sépare le secret des ténèbres et la générosité de la lumière.
J. D.

http://jean-daniel.blogs.nouvelobs.com/archive/2010/01/27/de-quoi-la-burqa-est-elle-le-nom.html
 
Il ne craint l'énormité, le Daniel. S'il y a bien une chose que le voile intégral n'empêche pas, c'est l'échange des regards ! Toute la valeur de son discours tient dans cette aporie de son raisonnement filandreux.
 
Ce qui m'amuse, c'est cette distinction entre le "bon voile" (le voile folklorique, le voile exotique, le voile compatible avec la danse du ventre et les fantasmes vulgaires du bof de base) et le mauvais voile (la revendication individuelle de femmes qui tiennent a user de leur liberte).
Le voile de Benazir Bhutto est une concession: elle voulait complaire, parce qu'elle etait femme politique dans le contexte pakistanais; le voile de nos grand-meres etait une alienation (elles n'avaient pas d'autre choix que de se conformer a la societe). Le voile des jeunes-filles converties et des citoyennes francaises est un choix, voire une revendication... c'est le plein exercice de leur liberte de conscience, que toute constitution democratique est censee assurer et proteger.

Bref... il est temps de mettre fin au delire colonial et sexiste qui se delecte de l'erotisme de la danse des sept voiles, et de la beaute sensuelle des femmes indigenes mais qui leur refuse le droit de s'habiller, et se comporter comme il leur plait.
 
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