Les fantastiques gisements à Vertébrés des phosphates du Maroc

L'exploitation des phosphates au Maroc​



Avec le tourisme, les phosphates sont une des grandes richesses du Maroc. Quelques chiffres le montrent facilement : premier pays exportateur, 75 % des réserves mondiales, production de 23 millions de tonnes par an, soit 18 trains ou 62 500 tonnes par jour. L'exploitant, l'Office Chérifien des Phosphates (OCP), créé en 1920, est la plus grande société du pays. Conscient de l'intérêt fossilifère des gisements, et soucieux de la préservation de ce patrimoine, l'OCP a signé une convention avec le Muséum national d'Histoire naturelle en 1997. Ce partenariat permet aux paléontologues du MNHN de travailler régulièrement dans les mines ; les fouilles et les études sont franco-marocaines mais les fossiles sont la propriété du Maroc et restent sur place. Un projet de musée visant à conserver et mettre en valeur ce patrimoine est en cours.
Les premiers dépôts phosphatés ont été découverts au début du XXe siècle entre Marrakech et Agadir par un géologue français, Abel Brives et la première exploitation, suite à la découverte en 1917 de gigantesques gisements près de Khourigba était souterraine.
De nos jours, les mines sont à ciel ouvert et couvrent des surfaces gigantesques, les épaisseurs des couches exploitées étant relativement limitées (suivant les bassins), parfois ne dépassant pas quelques mètres. Les paysages de ces mines sont lunaires, on y voit d'impressionnants engins d'excavation et des norias d'énormes dumpers qui transportent le matériau extrait. La teneur du minerai en P2O5 varie de 5 à 45 %. Le matériau est trié, broyé, et acheminé vers des usines de traitement ou des ports, le plus important étant Safi. Le phosphate est essentiellement utilisé pour la production d'engrais. Les deux plus grands sites exploités de nos jours sont dans le Bassin des Oulad Abdoun, près de la ville de Khouribga et le Bassin des Ganntour, situé à une heure de route au Nord de Marrakech.

0422_Conf_phosphates_Maroc_carte_gisements_Tethys_378_240.jpg Gisements de phosphates d'âge Crétacé supérieur
sur les marges de la Téthys


0423_Conf_phosphates_Maroc_carte_gisements_Maroc_336_350.jpgGisements de phosphates au Maroc


Géologie​

L'Europe possède quelques gisements de phosphates qui correspondent à la marge Nord de la Téthys mais ils ne sont plus exploités depuis longtemps. On en trouve beaucoup plus sur la marge Sud, en Afrique du Nord et au Moyen Orient, par exemple en Syrie, Jordanie, Egypte, Tunisie et Algérie.
Mais c'est le Maroc qui possède, et de loin, les réserves les plus importantes. Les sédiments phosphatés se sont déposés en marge du craton africain, dans un (ou plusieurs) golfe ouvert sur l'Atlantique, en eau peu profonde et sous un climat chaud (~ 20°C). Ils couvrent une période de 25 Ma sur l'échelle stratigraphique, entre le début du Maastrichtien (- 70 Ma) et la fin de l'Yprésien (- 45 Ma). La période inclut la limite K/T, ce qui donne un grand intérêt à ces sites qui permettent d'observer des séries continues de part et d'autre de l'extinction biologique de la fin du Crétacé.

0425_Conf_phosphates_Maroc_Vertebres_407_240.jpgLes groupes de Vertébrés représentés
dans les phosphates du Maroc
 

Les fossiles​

Le premier paléontologue qui a étudié ces gisements est un ancien professeur du MNHN, Camille Arambourg (1885 - 1969). A partir de la récolte de plusieurs milliers de dents de Sélaciens, il a établi une stratigraphie précise et détaillée des différentes couches phosphatées qui étaient très mal différenciées avant ses travaux. Les paléontologues qui étudient aujourd'hui ces formations complètent et précisent les résultats de ce précurseur. Les fossiles trouvés dans ces gisements sont essentiellement des Vertébrés marins, les Vertébrés continentaux sont très rares et les Invertébrés et Microfossiles pratiquement inexistants, du fait de conditions physico-chimiques propres aux phosphates qui détruisent leurs coquilles/tests. Le MNHN travaille sur deux sites qui ont des caractéristiques différentes :
  • dans le Bassin des Oulad Abdoun, la couche fossilifère fait une dizaine de mètres d'épaisseur, on y trouve de grands squelettes de Vertébrés marins, souvent en connexion anatomique. C'est un lieu privilégié pour l'anatomie et la phylogénie.
  • dans le Bassin des Ganntour, la couche fossilifère est plus puissante, mais on ne trouve que des os et des dents isolés. C'est un lieu privilégié pour la biostratigraphie.
Dans la suite de la conférence, Natahalie Bardet nous donne un aperçu des différents groupes de Vertébrés que l'on trouve dans les gisements et des nouvelles découvertes faites par l'équipe du MNHN.
Les Sélaciens (Requins et Raies) sont bien représentés, on trouve des dizaines de milliers de dents et même des vertèbres, ce qui est rare pour des poissons cartilagineux. On compte environ 250 espèces réparties sur l'ensemble de la série phosphatée. L'intérêt de ces fossiles est surtout biostratigraphique. Les poissons osseux ne sont pas absents mais beaucoup plus rares et encore mal étudiés.
Les Plésiosaures, reptiles marins caractérisés par leur long cou terminé par une petite tête, disparaissent totalement dans les niveaux postérieurs à la crise K/T. L'espèce Plesiosaurus mauritanicus décrite par Camille Arambourg en 1952 a été invalidée, mais une nouvelle a été récemment identifiée, Zarafasaura oceanis (arabe zaraf = girafe et grec saurus = lézard).
Dans le groupe des Squamates, on a recensé une dizaine d'espèces de Mosasauridae dans le Maastrichtien ; la plupart ont été découverts et décrits lors des fouilles récentes : Halisaurus arambourgi, Globidens phosphaticus, Eremiasaurus heterodontus sont des exemples. Certains de ces fossiles sont presque complets avec tous les os en connexion. L'ensemble représente une des faunes les plus diversifiées de ce groupe de reptiles fossiles au monde.
D'autres Squamates sont également présents, on peut citer par exemple deux fossiles identifiés par Camille Arambourg, un lézard du Maastrichtien, Pachyvaranus crassispondylus et un serpent de l'Yprésien, Palaeophis maghrebianus, dont l'anatomie et les relations de parenté ont été précisées récemment.

0426_Conf_phosphates_Maroc_Mosasauridae_crane_203_240.jpgCrane d'un Mosasauridae
 
A la crise K/T, les Mosasaures disparaissent et sont peu à peu remplacés dans les niveaux du Paléogène par un autre groupe de grands prédateurs, peu représentés au Maastrichtien, les Crocodyliformes : Dyrosauridae (sans équivalents actuels), Gavialoidea et Crocodylidae, apparentés aux gavials et crocodiles actuels.
Comme les Crocodyliformes, les Chéloniens (les tortues) passent la frontière K/T et on trouve les deux grands groupes actuels qui se différencient par leur manière de plier le cou : les Cryptodires, présentent dans les phosphates du Crétacé au Tertiaire et les Pleurodires, essentiellement au Tertiaire.
Les oiseaux sont présents dans les niveaux de l'Yprésien. Ils font partie des groupes, avec les Mammifères, les Dinosaures et les Ptérosaures qui n'ont pas été découverts à l'époque d'Arambourg et qui ont été mis au jour par l'équipe du MNHN. On peut en particulier citer une famille éteinte, les Odontopterygiformes. Ces oiseaux ressemblaient à de grands albatros avec des becs munis d'excroissances osseuses rappelant des dents, d'où leur nom "oiseaux à pseudo-dents".
Bien que la faune continentale soit bien moins représentée que la faune marine, il faut tout de même signaler qu'on a découvert des Ptérosaures comme Phosphatodraco mauritanicus (5 mètres d'envergure), des Dinosaures saurischiens, et des Mammifères tels que Phosphaterium escuilliei et Eritherium azzouzorumun, considérés actuellement comme les plus vieux Proboscidiens connus au monde.


0428_Conf_phosphates_Maroc_Mosasauridae_complet_445_100.jpgUn Mosasauridae complet



Conclusion​

Pour les paléontologues, les gisements de phosphates du Maroc sont des sites privilégiés qui :
  • constituent un hot spot de paléodiversité ;
  • permettent de suivre l'évolution de la faune à l'époque critique de la crise biologique Crétacé/Tertiaire ;
  • permettent d'étudier le domaine de la marge Sud de la Téthys encore mal connu.
Enfin, ils constituent un important patrimoine paléontologique pour le Maroc. Si les fossiles sont bien inventoriés, ils sont malheureusement conservés actuellement dans des conditions relativement sommaires. La réalisation du musée projeté à Khouribga est encore incertaine. Espérons qu'il voit le jour pour la préservation et la valorisation de ce patrimoine.
Pour terminer, Nathalie Bardet insiste sur le fait que les découvertes qu'elle a citées dans cette conférence sont le résultat d'un travail d'équipe et ont impliqué un grand nombre de ses collègues français et étrangers : Emmanuel Gheerbrant pour les Mammifères, Stéphane Jouve pour les Crocodiles, Estelle Bourdon pour les Oiseaux, Xavier Pereda-Suberbiola pour les Dinosaures et les Ptérosaures, Peggy Vincent pour les Plésiosaures, Alexandra Houssaye et Jean-Claude Rage pour les Squamates, France de Lapparent pour les Tortues, Henri Cappetta pour les Sélaciens, et bien d'autres...
Pendant cette conférence, Nathalie Bardet nous a fait partager son enthousiasme et sa passion pour le Maroc et son métier. A sa manière, à travers plusieurs anecdotes et évocations, elle nous a montré que les paléontologues professionnels ne font pas que jongler avec des noms compliqués d'espèces disparues et inconnues du commun des mortels, mais qu'ils (ou elles) peuvent également être très sensibles aux choses humaines et actuelles. Nous la remercions et l'applaudissons chaleureusement.




 
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