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« Ce n’est pas un détail, en particulier pour les personnes âgées habituées à des médicaments qu’elles prennent depuis des années. Quand elles passent aux génériques, certaines ne s’y retrouvent plus et confondent leurs médicaments, ce qui peut poser un vrai problème », souligne le docteur Éric Gibert, rhumatologue libéral et attaché à l’hôpital de la Pitié-Salpêtrière à Paris. « De façon quasi quotidienne, je rencontre des patients ayant des problèmes avec un générique. »
Ce changement d’excipient pose aussi un problème pour le professeur Marie-Pierre Teissier, diabétologue au CHU de Limoges. « Cela entraîne des effets indésirables pour certains médicaments contre le diabète, par voie orale, soutient-elle. Des patients se plaignent de maux de ventre, de diarrhées ou disent qu’ils sont “barbouillés”. Du coup, ils arrêtent de prendre leur traitement et sont mal équilibrés. » Le professeur Teissier affirme rencontrer un problème de tolérance ou d’efficacité chez « environ 30 % des patients sous génériques ».
De son côté, le professeur Jean-Paul Stahl, président de la Société de pathologie infectieuse de langue française (Spilf), ne constate pas de problème d’efficacité directe avec les génériques. « Mais nous avons un souci avec certains antibiotiques dont le goût, la présentation ou la consistance ne plaisent pas aux enfants qui, de ce fait, ne peuvent pas les prendre, indique-t-il. L’agence du médicament est alertée du problème mais, pour l’instant, les solutions restent difficiles à trouver. »
Au-delà de ces problèmes liés à l’aspect du médicament, certains praticiens affirment constater une moindre efficacité thérapeutique des génériques. Le professeur Girerd évoque un problème avec des antagonistes calciques, une famille de produits utilisés dans le traitement de l’hypertension. « Je vois de plus en plus de patients qui, après avoir commencé à prendre des génériques de ces produits, ont vu leur tension artérielle remonter, témoigne-t-il. Quand ces patients reprennent le princeps, tout redevient normal. »
Cardiologue au CHU de Dijon, le professeur Yves Cottin assure, lui, constater un phénomène identique avec des bêtabloquants, des produits visant à ralentir la fréquence cardiaque. « C’est une certitude : plusieurs de mes patients, qui étaient bien stabilisés, ont vu leur fréquence cardiaque augmenter avec des génériques avant que tout rentre dans l’ordre avec la reprise du médicament original », assure ce médecin, qui est actuellement en train d’essayer de monter une étude scientifique pour comparer les génériques des bêtabloquants avec les princeps.
Une fronde « anti-génériques » difficile à évaluer
À Nancy, le professeur Juillière s’inquiète, pour sa part, des inhibiteurs de l’enzyme de conversion, des produits utilisés pour traiter l’insuffisance cardiaque. « J’ai déjà vu plusieurs patients, sous génériques, qui présentaient des symptômes un peu inquiétants, notamment un essoufflement, dit-il. Il y en a même certains qui ont dû faire l’objet d’une prise en charge en urgence en raison d’un sub-œdème pulmonaire. »
Ce témoignage, quelque peu alarmant, reste toutefois assez isolé. Les autres médecins, interrogés dans le cadre de cette enquête, indiquent que la moindre efficacité, qu’ils affirment constater avec les génériques, ne met pas directement en danger la santé des patients, à condition de réagir à temps pour rééquilibrer leur traitement.
L’ampleur de cette fronde « anti-génériques » au sein du corps médical demeure cependant difficile à évaluer avec précision. « Honnêtement, je n’ai pas le sentiment d’être la seule à penser qu’il y a un problème, souligne le professeur Teissier. Le week-end dernier, j’animais un atelier sur le diabète avec des généralistes. Et quand j’ai évoqué mes difficultés avec les génériques, tous m’ont fait part de constatations identiques. »
Chez les cardiologues, les avis semblent partagés. Si certains apparaissent très « remontés » contre les génériques, d’autres sont plus en retrait. « J’ai quelques patients qui se plaignent, mais je n’ai pas constaté de réels problèmes d’efficacité avec ces produits », affirme le professeur Gilles Grollier, responsable du pôle cœur-vaisseaux-poumons au CHU de Caen.
« Il est légitime de se poser certaines questions à propos des génériques, en particulier sur leur mode d’évaluation ou les problèmes de confusion chez de nombreuses personnes âgées qui se trompent de médicaments. Mais je n’ai pas constaté dans ma consultation de problèmes d’efficacité majeurs avec les génériques», ajoute le professeur Nicolas Danchin, chef de la division «maladies coronaires et soins intensifs » à l’Hôpital européen Georges-Pompidou à Paris.
Les médecins qui posent des questions sur des génériques se défendent d’être « instrumentalisés » par les fabricants de princeps, les grands laboratoires pharmaceutiques. Pour eux, le seul moyen de «trancher ce débat» est de mettre en place des études scientifiques «indépendantes et incontestables».
Pierre BIENVAULT