adaghar
Yemmac tadehcurt...
Il me reste à parler de deux tentatives de création d'une religion qui aurait été le complément de l'Islam comme celui-ci prétend l'être du judaïsme et du christianisme. La première eut lieu chez les Ghomara du Rif, dans les environs de Tétouan, sur le territoire des Medjeska, chez les B. Oudjefoul. L'on n'est pas d'accord sur la date exacte de l'apparition de cette nouvelle religion : elle flotte entre 313 et 325 de l'hégire, en tout cas, au commencement du IVè siècle h., Xè siècle de notre ère. Un certain Ha-Mim, fils de Mann Allah (Grâce de Dieu), fils de Hariz, fils de `Amr, fils d'Ou-Djefoul, fils d'Ou-Zeroual, apparut dans cette tribu et prêcha une nouvelle religion. Il retrancha trois des prières canoniques, n'en conservant que deux, l'une au lever, l'autre au coucher du soleil : en les faisant, ses adeptes devaient se prosterner jusqu'à toucher la terre du plat de leurs deux mains. Il supprima aussi le jeûne du ramadhân, à l'exception des trois derniers jours, ou suivant d'autres, de dix jours, mais il établit chaque semaine un jeûne du mercredi jusqu'à midi et du jeudi toute la journée, ainsi que deux jours en chawâl. Quiconque y manquait devait payer une amende de cinq ou de trois boeufs. Il abolit le pèlerinage, la purification et l'ablution totale, permit l'usage du porc, mais interdit le poisson qui n'avait pas été égorgé (ou vidé), la tête de tout animal et les oeufs de toute espèce d'oiseaux. De nos jours encore, une tribu des environs de Tipasa et les Touaregs s'abstiennent d'oeufs de poules. Il composa en berbère, à l'usage de ses partisans, un Qôran : c'est du moins le nom que lui donnent les écrivains arabes. Quelques fragments nous ont été conservés. L'un d'eux commencaient par la formule de l'unité de Dieu; puis continuait : "Délivre-moi de mes péchés, ô toi qui as permis du regard de contempler le monde; tire-moi de mes péchés, comme tu as tiré Jonas du ventre du poisson et Moïse du fleuve". En se prosternant, chacun répétait : "Je crois en Tanguit (var. Talyah. Teba`ih), tante de Ha-Mim". Celle-ci était devineresse comme Dadjdjou, soeur du nouveau prophète. Ha-Mim, surnommé El Mofteri (le faussaire) fit de nombreux prosélytes jusqu'à ce qu'il pérît, en 315 suivant les uns, en 325 d'après les autres, dans un combat livré aux Masmouda sur le territoire de Tanger. Sa secte ne disparut pas avec lui. Plus tard, un certain `Asim ben Djamil se donna encore pour prophète dans cette tribu.
Une autre tentative eut plus d'importance. A l'Ouest du Maghrib, dans le temesna (la Chaouia actuelle qui entoure Casablanca, Rabat, Chella) étaient établis les Berghouata.
Un de leur chefs, Tarif, qui parait s'être donné une origine juive (fils de Siméon, fils de Jacob, fils de d'Isaac) avait, ainsi que son peuple, embrassé les doctrines Kharedjites-sofrites et combattu avec Maisara. Après la défaite des Berbères, il se retira dans la Temesna et y demeura indépendant. Il resta fidèle aux doctrines de l'islam, mais son fils, distingué par son savoir et ses vertus, et qui avait aussi combattu dans les rangs des Sofrites, se donna pour Prophète et composa un Qôran berbère. Toutefois, il ne répandit pas sa doctrine; il la confia à son fils Elyas et partit pour l'Orient, annonçant qu'il reviendrait lorsque le septième roi de sa dynastie serait sur le trône. La nouvelle religion resta cachée jusqu'au règne de Younos qui la proclama et la fit adopter de gré ou de force par les populations. La doctrine de Sâlih, qui se donnait pour le Sâlih el Mouminin mentionné dans le Qôran (sourate LXVI, verset 4) consistait à reconnaitre la mission divine de tous les prophètes et celle de Sâlih lui-même, à jeûner pendant le mois de redjab à la place de ramadhân, et de plus, un certain jour de la semaine et même les semaines suivantes, à prier cinq fois par jour et cinq fois par nuit, à célébrer la fête des sacrifices le 11 de moharram (et non le 12 de d'ou'lihidjdja). La manière de faire les ablutions était également définie. Il n'y avait ni appel (ad'an) ni introduction à la prière (iqâmah). Tantôt celle-ci se faisait avec des prosternations, tantôt elle se faisait sans elles : dans le premier cas, les fidèles levaient de terre le front et les mains à la hauteur d'une demi-palme. Comme proclamation de la grandeur de Dieu (tekbir), ils prononçaient en plaçant les mains l'une sur l'autre : A esm en Iakoch (au nom de Dieu); puis Mokkor Iakoch (Dieu est grand). C'est à tort que certains orientalistes ont cru reconnaître dans ce mot, ou dans une variante Bakoch, le nom de Bacchus et en ont tiré les conclusions les plus extraordinaires sur l'étendue de son culte et de ses mystères. M. de Motylinski a démontré que ce nom de Iakoch est dérivé de la racine berbère OUKCH qui signifie donner; c'est une épithète correspondant à l'arabe El Wahhâb, le généreux, une des épithètes de Dieu.
La prière publique avait lieu le jeudi de grand matin. Quand ils prononçaient la profession de foi, ils tenaient les deux mains ouvertes et appuyées sur le sol; ils récitaient la moitié (?) de leur Qôran debout et l'autre en se prosternant. A la fin de la prière, ils prononçaient dans leur langue cette formule : "Dieu est au-dessus de nous; rien de ce qui est sur la terre et au ciel ne lui est caché". Ils répétaient ensuite en berbère : Moqqor Iakoch (Dieu est grand); autant de fois Ihan (Ian) Iakoch (Dieu est un) et Our d'am Iakoch (personne comme Dieu). L'aumône légale consistait dans la dîme de tous les grains. Comme dans la religion de Ha-Mim, il était défendu de manger des oeufs, la tête d'aucun animal et le poisson s'il n'avait été égorgé. La chair du coq était interdite, cet animal annonçant la prière par son chant; celle des poules n'était permise qu'en cas d'extrême nécessité. Le menteur était chassé du pays; le voleur, convaincu par des preuves ou son propre avoeu, était mis à mort; la fornication était punie de lapidation. Le prix du sang était fixé à cent têtes de bétail. Tout homme pouvait épouser autant de femmes que ses moyens le lui permettaient, excepté ses cousines jusqu'au troisième degré, les répudier et les reprendre autant de fois qu'il lui plaisait; mais il était interdit aux fidèles d'épouser des femmes musulmanes ou de donner leurs filles à des Musulmans. La salive de leur prophète attirait les bénédictions divines et était considérée comme un remède infaillible, croyance qui existe encore chez certains musulmans d'Algérie en ce qui concerne les marabouts. Enfin, ils étaient très savants en astronomie et très versés dans l'astrologie judiciaire. Le Qôran, que Sâlih composa en berbère, comprenait quatre-vingts sourates, ayant pour la plupart comme titre le nom d'un prophète. La première était appelée Ayoub (Job, cf. Qôran, XXI, 83), la dernière Younos (Jonas, titre de la sourate X du Qôran). Les noms montrent bien qu'il s'agit d'une imitation du Qôran. Il y avait la sourate de Fira'oun (Pharaon, cf. Qôran, XLIII, v. 45-55); celle de Qâr'oun (Coré, Qôran, XXVIII, v.74); celle de Haman (Aman, cf. Qôran, XXVIII); celle de Yadjoudj et Madjoudj (Gog et Magog, Qôran, XVIII, v.93; XXI, v. 96); celle d'El Dadjal (l'Antichrist, Qôran, XXVII, v.84); celle d'El 'Idjl (le veau d'or, cf. Qôran II); celle de Harout et Marout (cf. Qôran II, v. 96); celle de Talout (Saul, cf. Qôran, II, v. 245-250); celle de Nemrod, celle du coq, celle de la perdrix, celle de la sauterelle, celle du chameau, celle du serpent à huit pattes et celle des Merveilles du monde qui renfermait la science la plus sublime. Un fragment de celle de Job nous a été conservé dans une traduction arabe :
"Au nom de Dieu ! Celui par qui Dieu a envoyé son Livre aux hommes, c'est le même par qui il leur a manifesté ses nouvelles. Ils disent : Iblis a connaissance du destin; à Dieu ne plaise ! Iblis ne peut avoir la science comme Dieu. Demande quelle est la chose qui triomphe des langues dans les discours : Dieu seul le peut par son décret. Par la langue par laquelle Dieu a envoyé la vérité aux hommes, cette vérité s'est établie. Regarde Mamet (en berbère : imouni Mamet, c'est-à-dire Mohammed). Pendant sa vie, ceux qui étaient ses compagnons se conduisirent avec droiture jusqu'à ce qu'il mourût. Alors les gens se corrompirent. Il a menti celui qui dit la vérité se maintient là où il n'y a pas d'envoyé de Dieu".
Les berghouata résistèrent longtemps et avec succès aux diverses dynasties qui se succédèrent dans le Maghrib et leur secte ne fut anéantie que par les Almohades.
Une autre tentative eut plus d'importance. A l'Ouest du Maghrib, dans le temesna (la Chaouia actuelle qui entoure Casablanca, Rabat, Chella) étaient établis les Berghouata.
Un de leur chefs, Tarif, qui parait s'être donné une origine juive (fils de Siméon, fils de Jacob, fils de d'Isaac) avait, ainsi que son peuple, embrassé les doctrines Kharedjites-sofrites et combattu avec Maisara. Après la défaite des Berbères, il se retira dans la Temesna et y demeura indépendant. Il resta fidèle aux doctrines de l'islam, mais son fils, distingué par son savoir et ses vertus, et qui avait aussi combattu dans les rangs des Sofrites, se donna pour Prophète et composa un Qôran berbère. Toutefois, il ne répandit pas sa doctrine; il la confia à son fils Elyas et partit pour l'Orient, annonçant qu'il reviendrait lorsque le septième roi de sa dynastie serait sur le trône. La nouvelle religion resta cachée jusqu'au règne de Younos qui la proclama et la fit adopter de gré ou de force par les populations. La doctrine de Sâlih, qui se donnait pour le Sâlih el Mouminin mentionné dans le Qôran (sourate LXVI, verset 4) consistait à reconnaitre la mission divine de tous les prophètes et celle de Sâlih lui-même, à jeûner pendant le mois de redjab à la place de ramadhân, et de plus, un certain jour de la semaine et même les semaines suivantes, à prier cinq fois par jour et cinq fois par nuit, à célébrer la fête des sacrifices le 11 de moharram (et non le 12 de d'ou'lihidjdja). La manière de faire les ablutions était également définie. Il n'y avait ni appel (ad'an) ni introduction à la prière (iqâmah). Tantôt celle-ci se faisait avec des prosternations, tantôt elle se faisait sans elles : dans le premier cas, les fidèles levaient de terre le front et les mains à la hauteur d'une demi-palme. Comme proclamation de la grandeur de Dieu (tekbir), ils prononçaient en plaçant les mains l'une sur l'autre : A esm en Iakoch (au nom de Dieu); puis Mokkor Iakoch (Dieu est grand). C'est à tort que certains orientalistes ont cru reconnaître dans ce mot, ou dans une variante Bakoch, le nom de Bacchus et en ont tiré les conclusions les plus extraordinaires sur l'étendue de son culte et de ses mystères. M. de Motylinski a démontré que ce nom de Iakoch est dérivé de la racine berbère OUKCH qui signifie donner; c'est une épithète correspondant à l'arabe El Wahhâb, le généreux, une des épithètes de Dieu.
La prière publique avait lieu le jeudi de grand matin. Quand ils prononçaient la profession de foi, ils tenaient les deux mains ouvertes et appuyées sur le sol; ils récitaient la moitié (?) de leur Qôran debout et l'autre en se prosternant. A la fin de la prière, ils prononçaient dans leur langue cette formule : "Dieu est au-dessus de nous; rien de ce qui est sur la terre et au ciel ne lui est caché". Ils répétaient ensuite en berbère : Moqqor Iakoch (Dieu est grand); autant de fois Ihan (Ian) Iakoch (Dieu est un) et Our d'am Iakoch (personne comme Dieu). L'aumône légale consistait dans la dîme de tous les grains. Comme dans la religion de Ha-Mim, il était défendu de manger des oeufs, la tête d'aucun animal et le poisson s'il n'avait été égorgé. La chair du coq était interdite, cet animal annonçant la prière par son chant; celle des poules n'était permise qu'en cas d'extrême nécessité. Le menteur était chassé du pays; le voleur, convaincu par des preuves ou son propre avoeu, était mis à mort; la fornication était punie de lapidation. Le prix du sang était fixé à cent têtes de bétail. Tout homme pouvait épouser autant de femmes que ses moyens le lui permettaient, excepté ses cousines jusqu'au troisième degré, les répudier et les reprendre autant de fois qu'il lui plaisait; mais il était interdit aux fidèles d'épouser des femmes musulmanes ou de donner leurs filles à des Musulmans. La salive de leur prophète attirait les bénédictions divines et était considérée comme un remède infaillible, croyance qui existe encore chez certains musulmans d'Algérie en ce qui concerne les marabouts. Enfin, ils étaient très savants en astronomie et très versés dans l'astrologie judiciaire. Le Qôran, que Sâlih composa en berbère, comprenait quatre-vingts sourates, ayant pour la plupart comme titre le nom d'un prophète. La première était appelée Ayoub (Job, cf. Qôran, XXI, 83), la dernière Younos (Jonas, titre de la sourate X du Qôran). Les noms montrent bien qu'il s'agit d'une imitation du Qôran. Il y avait la sourate de Fira'oun (Pharaon, cf. Qôran, XLIII, v. 45-55); celle de Qâr'oun (Coré, Qôran, XXVIII, v.74); celle de Haman (Aman, cf. Qôran, XXVIII); celle de Yadjoudj et Madjoudj (Gog et Magog, Qôran, XVIII, v.93; XXI, v. 96); celle d'El Dadjal (l'Antichrist, Qôran, XXVII, v.84); celle d'El 'Idjl (le veau d'or, cf. Qôran II); celle de Harout et Marout (cf. Qôran II, v. 96); celle de Talout (Saul, cf. Qôran, II, v. 245-250); celle de Nemrod, celle du coq, celle de la perdrix, celle de la sauterelle, celle du chameau, celle du serpent à huit pattes et celle des Merveilles du monde qui renfermait la science la plus sublime. Un fragment de celle de Job nous a été conservé dans une traduction arabe :
"Au nom de Dieu ! Celui par qui Dieu a envoyé son Livre aux hommes, c'est le même par qui il leur a manifesté ses nouvelles. Ils disent : Iblis a connaissance du destin; à Dieu ne plaise ! Iblis ne peut avoir la science comme Dieu. Demande quelle est la chose qui triomphe des langues dans les discours : Dieu seul le peut par son décret. Par la langue par laquelle Dieu a envoyé la vérité aux hommes, cette vérité s'est établie. Regarde Mamet (en berbère : imouni Mamet, c'est-à-dire Mohammed). Pendant sa vie, ceux qui étaient ses compagnons se conduisirent avec droiture jusqu'à ce qu'il mourût. Alors les gens se corrompirent. Il a menti celui qui dit la vérité se maintient là où il n'y a pas d'envoyé de Dieu".
Les berghouata résistèrent longtemps et avec succès aux diverses dynasties qui se succédèrent dans le Maghrib et leur secte ne fut anéantie que par les Almohades.