Testé sur les entreprises, un programme de détection des tricheries développé par le fisc s'intéresse désormais aux ménages.
Dans ces austères bâtiments aux abords de la gare de Lyon, à Paris, se nichent d'étranges créatures. Ces monstres ont pris vie et grandissent peu à peu, cachés aux yeux de tous, nourris depuis des mois par chaque ligne de votre déclaration d'impôts, par le détail de votre patrimoine, par chacune de vos données financières et même par vos éventuels comptes bancaires à l'étranger, grâce à la coopération avec d'autres pays. Ces bêtes engloutissent tout, digèrent chaque chiffre et apprennent de toute cette masse d'informations collectées à détecter des indices de fraude.
Installée au sixième étage de l'immeuble Sully du ministère de l'Economie et des Finances depuis 2013, une cellule d'analyse a enfanté et entraîné ces algorithmes voraces. Initialement constituée de quatre personnes, l'équipe dirigée par Philippe Schall compte aujourd'hui 22 collaborateurs - ils devraient être une trentaine l'année prochaine. Informaticiens, fiscalistes, spécialistes de la donnée, des profils divers s'y côtoient, y compris, bientôt, des universitaires. "Jusqu'ici, les vérificateurs se penchaient sur certains critères précis pour déceler une fraude, explique Philippe Schall. Notre approche est différente. Entraînés avec les éléments du passé, les algorithmes arrivent par eux-mêmes à identifier de nouveaux critères, qui sont appliqués aux dossiers d'aujourd'hui."
D'abord testé sur une partie des 2,2 millions d'entreprises imposables - des cas plus complexes à analyser mais dont le montant des redressements est plus lucratif -, le principe a ensuite été étendu en 2017 aux particuliers, soit 37,8 millions de foyers fiscaux. "Les analyses de données permettent actuellement de détecter des fraudes sur 10 000 dossiers professionnels et plusieurs dizaines de milliers de ménages chaque trimestre, détaille-t-il. Ces cas sensibles sont ensuite envoyés à la direction du contrôle, qui décide de donner suite ou non à nos propositions."
100 millions d'euros de redressement grâce aux algorithmes
Aujourd'hui, près de la moitié de ces dossiers suspects sont ensuite passés au crible par les enquêteurs de Bercy, contre de 10 à 20 % avec les procédés habituels. Près de 23 000 contrôles ont été ainsi réalisés dans des entreprises en 2017 faisant entrer plus de 100 millions d'euros dans les caisses de l'Etat. "L'identification de ces affaires n'aurait pas été possible avec les méthodes traditionnelles de programmation", se félicite la Direction générale des finances publiques (DGFIP). Ce chiffre, s'il reste une goutte d'eau au regard du montant énorme des fraudes - 70 milliards d'euros chaque année en France, selon certaines estimations -, devrait toutefois croître très rapidement, surtout, en y ajoutant désormais les particuliers.
Afin d'étendre ce dispositif aux personnes physiques à titre expérimental entre 2017 et 2019, Bercy a dû demander une autorisation à la Commission nationale de l'informatique et des libertés, notamment pour croiser des fichiers jusqu'ici isolés. L'autorité a donné son aval, mais a rappelé qu'un contrôle fiscal ne pouvait se diligenter sans l'analyse préalable d'un agent. Concrètement, la bête informatique ne décidera jamais toute seule de s'attaquer à un contribuable, car la machine peut se tromper et ne répond en aucun cas aux recours. La matière fiscale ne cesse de se modifier au gré des lois de finances, et les algorithmes doivent évoluer en conséquence. Un exemple ? Hier imposés sur leur fortune, les plus aisés doivent désormais s'acquitter de l'impôt sur la fortune immobilière (IFI), dont le mode de calcul diffère de celui réalisé jusqu'ici. Or, les algorithmes ont été entraînés sur les schémas du passé, basés uniquement sur le calcul de l'ISF. "Oui, il existe des bugs, que nous devons corriger", admet Philippe Schall.