Nous avons oublié les sagesses anciennes, par Abdenour Bidar
Combien parmi nous aujourd’hui ont une connaissance de cette unanimité des sagesses traditionnelles d’Orient et d’Occident ? De cette rencontre au sommet dans la description de la vocation la plus haute de l’individualité humaine à tendre vers le « Soi » (1) ? Qui, parmi nos philosophes modernes, de Nietzsche à Foucault en passant par Sartre et Heidegger, nous aurait parlé d’une idée comme cela ? Pas un ne l’a fait. Je suis stupéfait de constater la quasi-disparition dans la pensée de ce thème jusque-là central et universel dans la culture humaine. La perte de conscience de cette « possibilité du Soi » est d’ailleurs constatable aussi bien du côté de la religion que du côté de la philosophie et des sciences de l’homme. La plupart des éducations religieuses ne transmettent en effet plus rien de ce sens supérieur de l’humain. Les théologiens, les clercs de toutes confessions, n’évoquent jamais « l’homme dans l’homme » ; ils se contentent de parler des dieux, de leurs lois et de leur amour, et de répéter que face à eux l’homme n’est rien, qu’il doit se soumettre et implorer la miséricorde, le pardon de ses pêchés ou son salut dans l’au-delà… Comment les religions elles-mêmes ont pu oublier à ce point là que le mystère fondamental est celui de la présence en tout être humain d’un « humain plus qu’humain », d’une personnalité humaine dont les dieux sont autant d’images à la fois justes et naïves ? Le culte des dieux, des prophètes et des saints à eu pour résultat catastrophique de persuader qu’il s’agissait là de modèles inaccessibles, et d’éloigner de « l’homme ordinaire » toute idée d’atteindre lui-même la sagesse et de trouver en lui-même une présence supérieure. Même le christianisme, qui parle du Christ comme « Divin et humain », n’enseigne pas à ses fidèles que chacun est appelé en réalité à devenir Christ, c’est à dire à réaliser le « divin » comme sa personnalité propre.