Irak : « Les États-Unis sèment les graines d’une tragédie à long terme »

petitbijou

Casablanca d'antan
VIB
samedi 18 octobre 2008 - 07h:26

Gilbert Achcar - Inprecor

Dans les conditions actuelles toute tentative de diviser le pays conduirait à une guerre, entraînant la région dans une situation qui serait encore pire pour les États-Unis.

Question : Si nous abordons maintenant l’Irak, quelle est la signification du récent conflit entre les forces loyales au gouvernement Maliki et l’armée du Mehdi de Moqtada al-Sadr ?

Gilbert Achcar : Le conflit résulte de la convergence de deux intérêts. La raison la plus immédiate derrière ces affrontements est que l’influence de l’armée du Mehdi et du mouvement sadriste en Irak a beaucoup augmenté parmi les chi’ites durant la dernière période, et en particulier depuis 2006. Ils sont devenus le courant le plus populaire parmi les chi’ites irakiens. Les deux autres principaux partis chi’ites - le parti de Maliki (le parti Dawa) et le Conseil Suprême Islamique Irakien (SIIC), qui collaborent avec l’occupation états-unienne - étaient donc très inquiets pour le résultat des prochaines élections provinciales prévues pour cet automne. Comme vous le savez, les sadristes avaient initialement formé une coalition avec ces partis, avec lesquels ils avaient mené les précédentes campagnes électorales.

Ils ont ensuite rompu avec la coalition, accusant les autres forces de collaborer avec l’occupant. Le parti Dawa et le SIIC ont estimé que, si rien ne changeait, les sadristes allaient leur faire subir une défaite électorale, et c’est d’abord et surtout pour tenter de marginaliser ou d’affaiblir ces derniers qu’ils ont lancé l’offensive contre Bassorah, puis contre Sadr City à Bagdad.

D’autre part, bien sûr, l’occupant états-unien considère fondamentalement les sadristes comme des ennemis, et serait très heureux de les voir affaiblis. Les forces d’occupation états-uniennes se sont heurtées plus d’une fois aux sadristes. Dans les accrochages les plus récents, les officiers états-uniens ont tenté de jouer aux hypocrites, commençant par prétendre qu’ils n’étaient pas impliqués et que les sadristes ne posaient pas de problème aux forces états-uniennes depuis qu’ils avaient gelé leurs activités militaires.

Or il est évident que les États-Unis étaient très impliqués dans les combats contre les sadristes. Comme je l’ai dit, il y a eu convergence entre deux intérêts : celui de l’occupation états-unienne et celui de l’alliance Dawa-SIIC, soucieuse d’affaiblir les sadristes, son principal concurrent parmi les chi’ites irakiens.

Question : Quels sont les résultats de l’accroissement du nombre de troupes états-unien, ce qu’on appelle « the surge » ? Il y a eu, en tout cas, un déclin relatif de la violence confessionnelle en Irak. Est-ce que cela signifie que l’occupation états-unienne s’améliore ?

Gilbert Achcar : Le « surge » a effectivement obtenu quelques résultats, et, du point de vue de Washington, c’est un succès, puisque dans l’ensemble le niveau de violence confessionnelle a clairement diminué - ce qui est une bonne chose. Mais il vaut la peine de s’interroger sur les raisons de ce fait. La diminution de la violence fait suite à l’augmentation des troupes états-uniennes déployées à Bagdad et au fait que les sadristes ont décidé d’opérer une retraite et de ne pas se battre lorsque le « surge » a commencé. Mais l’élément clé de ce « surge » consiste en un changement de stratégie de la part de l’occupation.

Les États-Unis ont commencé à faire ce que toutes les puissances coloniales ont fait par le passé dans cette partie du monde et notamment ce que les Britanniques ont fait en Irak après la Première Guerre mondiale lorsqu’ils ont pris le contrôle du pays : ils ont joué la carte tribale. Les États-Unis ont ainsi cherché à acheter - littéralement à acheter ou à soudoyer - des tribus sunnites, dans les régions à prédominance sunnite. Ils ont soudoyé des tribus et leur ont fourni des armes en les aidant à former ce qu’on a appelé les « assemblées du réveil », qui sont des forces tribales subventionnées par Washington.

Les membres de ces milices tribales reçoivent des salaires mensuels qui débutent à 300 dollars états-uniens, ce qui représente une somme élevée comparée aux salaires moyens en Irak, mais pas grand-chose lorsqu’on la met en rapport avec le coût de l’occupation. Vous pouvez faire le calcul. Si vous donniez, disons 400 dollars en moyenne à un maximum de 250 000 personnes, cela donnerait 100 millions de dollars, ce qui est négligeable comparé aux 12 milliards par mois que les États-Unis dépensent pour l’occupation de l’Irak. Je ne l’ai pas encore vérifié, mais il se peut très bien que ce soit d’ailleurs avec des fonds gouvernementaux irakiens que les tribus sont soudoyées.

Quoi qu’il en soit, Washington a amplement les moyens de verser pareilles sommes. Mais est-ce que cela peut constituer une solution à long terme pour les États-Unis ? En réalité, sur le long terme, cette stratégie sera un autre facteur important empêchant l’Irak d’atteindre une quelconque stabilité, puisqu’elle renforce la division du pays en tribus et sectes. Paradoxalement, les forces chi’ites au gouvernement sont en train d’attaquer les forces chi’ites de Moqtada al-Sadr sous prétexte de démanteler toutes les milices.





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