"Fallait-il pour autant rejoindre le FN ? Fallait-il perdre la raison ? Fallait-il se laisser envahir par l'amertume, au point de devenir aveugle et sourd ?" ND
Je me rappelle encore très bien des visages de ces deux Gnoules, je les avais déjà croisés plusieurs fois mais sans vraiment prêter attention à eux. Ils avaient la vingtaine patriotique, étaient bien sapés, propres sur eux, beaux parleurs, donc dangereux, presque beaux gosses. Du charme à revendre. Deux bruns d’un mètre 80, taillés comme des athlètes. Ils portaient avec élégance une petite barbe bien taillée. L’un d’entre eux avaient les yeux noirs, un regard dur. L’autre semblait, en apparence, plus apaisé, ses yeux avaient la couleur d'un fleuve.
Il restait encore quelques jours avant le début des élections municipales et chaque parti essayait de convaincre les indécis. Les sondages prédisaient un fort taux d’abstention. Ces deux jeunes Gnoules n’étaient pas là par hasard, ils étaient en service commandé. Ils étaient présents dans ce quartier de Seine-Saint-Denis, pour assurer la promo du Front national new look, qui avait fini par comprendre, que sans Gnoules, ils ne gagneraient jamais les élections. Ils devaient pour ça tenir un autre discours, ne plus être facho primaire, mais patriotique. "Le FN est le seul parti qui vous acceptera en tant que Français", clamaient-ils. Tous Français donc, tous unis derrière un même drapeau, derrière la République, quelle que soit ta face ou ta religion.
Le FN n’avait rien contre vous, il ne voulait pas des autres Gnoules (Français ou pas) qui volaient, trichaient, vivaient au crochet de la société, creusaient le déficit de la Sécu, ou ceux qui venaient s’échouer en France sans papiers officiels. Tous les autres étaient les bienvenus. Enfin, surtout ceux qui étaient prêts à s’assimiler, à oublier leur Gnoulitude, à devenir plus royaliste que le Roi. Tous ces gens-là avaient en commun de ressentir la même rage contre la gauche, la droite, « l’UMPS », qui avaient plongé le pays dans le chaos et qui les avaient relégués eux aussi, tout en bas de l’échelle sociale. En même temps, c’était pas faux : oui, les Gnoules n’avaient rien gagné en 30 ans. Mais les Français « dits de souche », non plus.
Fallait-il pour autant rejoindre le FN ? Fallait-il perdre la raison? Fallait-il se laisser envahir par l'amertume, au point de devenir aveugle et sourd ? Les deux Gnoules parlaient fort, comme si ils étaient en terrain conquis, ouvertement, ostensiblement. En mode prêcheur. En mode "Je détiens la vérité". Sans honte, sans crainte de se faire tabasser. Sans contradicteurs aussi… Le camp d’en face avait lâché prise. Il y a 30 ans, ils avaient voulu construire la France de toutes les couleurs et les politiques les avaient abandonnés. Alors, fallait pas compter sur eux aujourd'hui pour la défense de la République et de ses valeurs.
Un petit attroupement s’était créé autour de ces jeunes Gnoules d'extrême droite. Les plus jeunes, qui ne croyaient plus en rien, surtout pas aux politiciens blancs à cravate, ces politicards qui venaient leur rendre visite seulement au moment des élections, les écoutaient religieusement.
"Le FN n'est pas raciste. Il aime juste son pays, comme vous, vous pouvez aimer l'Algérie, le Maroc ou la Tunisie. On est tous patriotique. Si vous viviez dans le pays de vos parents, vous seriez comme les gens du FN, vous ne tôleriez pas une immigration massive", disaient les deux jeunes garçons. Ils rappelaient que c'était Rocard, l'ancien Premier ministre socialiste qui avait dit que La France ne pouvait pas accueillir toute la misère du monde. Que c'étaient les communistes qui disaient que les sans-papiers faisaient baisser le coût du travail. Des arguments qui semblaient faire mouche à l'intérieur de ces cerveaux dépolitisés. Les jeunes semblaient approuver ces discours de rejet de l’autre, de renfermement sur soi, oubliant par là même leurs propres histoires, celles de leurs parents. Ne voyant pas combien leur place dans cette France, devenue de plus en plus intolérante était sérieusement compromise.
Les temps avaient bien changé. Il y a vingt ans, les mecs du FN, souvent des blancs aux crânes rasés, venaient coller leurs affiches dans le 93, à 3h du matin, en se planquant, la peur au ventre, et munis de cran d’arrêt et de base-ball. Aujourd’hui, le parti de Marine La Haine envoyait des Gnoules de service. Quelques-uns avaient traduit leurs promesses en actes et avaient voté Front national aux dernières municipales ! Même les Gnoules s'en cachaient plus !
Le week-end dernier, j'avais de nouveau croisé ces deux Gnoules, rabatteurs du FN. Et huit mois après les élections, ils la ramenaient moins. Normal. Ils avaient vu, compris la carotte. Comme tout le monde, ils avaient appris les premières mesures qu'avaient prises les maires FN. Tu parles qu’ils l’ouvraient moins. Le FN leur avait menti. Les avait bernés jusqu’au cou. Raciste un jour, raciste toujours. Peu importe l'emballage...
A Fréjus, ou Mantes-la-Ville, les maires FN avaient stoppé net les projets de construction de mosquée. A Béziers, Ménard se prenait pour un historien : il espérait rebaptiser la rue du "19 mars 1962", date marquant le cessez-le-feu en Algérie, en rue du "commandant Hélie Denoix de Saint-Marc", un militaire pro-Algérie française. Dans la plupart des villes FN, c’était la fin des subventions aux associations "communautaires". Dans tes chicos, le Gnoule ! A Cogolin, dans le Var, les Maghrégnoules n’avaient plus de créneau pour jouer au foot, et pour le gala des associations, le maire avait même demandé qu’il n’y ait plus de danse orientale au programme ! Ecoute Mireille Mathieu et ferme là !
A Marseille, le maire FN des 13e et 14e arrondissement, Stéphane Ravier offrait un spectacle de Noël aux enfants dont les parents ont une carte nationale d'identité ! Les autres, les étrangers!, auront droit à wallou. Des villes frontistes prévoyaient d’arrêter les repas sans porc dans les cantines. Tes enfants doivent bouffer du ralouf, inchallah ils deviendront rose bonbon ! Au Pontet, dans le Vaucluse, la cantine qui était gratuite pour les familles pauvres ne l'était plus. A Villers-Cotterêts, en Picardie, le prix avait été largement augmenté pour les familles les plus modestes.
Et oui, ducon, le FN c’était d’abord un parti de droite, il était d'abord contre les pauvres comme toi. Alors que fallait-il faire ? Juste se rappeler, malgré notre colère légitime, ce que disait Churchill : "la démocratie, c'est le pire des régimes,.... à l'exception de tous les autres"....
Nadir Dendoune
